Les questions de croissance économique et de développement sont d’une importance majeure pour l’Afrique. Les chefs d’Etat et de gouvernement du continent qui viennent de se réunir à l’occasion du sommet de l’Union africaine doivent impérativement intégrer à leur politique de croissance l’action urgente à mener contre le réchauffement climatique – un problème mondial. C’est crucial pour l’Afrique qui est particulièrement vulnérable sur ce terrain : depuis quelques années, les tempêtes tropicales, les inondations et les sécheresses qui la frappent se font de plus en plus fréquentes et sévères.
Il n’est donc pas surprenant que le continent joue un rôle moteur en faveur d’un avenir durable. Parmi les 108 pays qui ont déjà indiqué qu’ils vont rehausser leurs objectifs en faveur du climat cette année (ce que prévoit l’Accord de Paris), 47 sont africains. Ils ont conscience de la nécessiter de basculer vers un modèle de croissance propre et efficace – et du risque qu’il y aurait à ne pas le faire.
En novembre dernier, la Banque africaine de développement a annoncé qu’elle cesserait de financer la construction de nouvelles centrales à charbon. Ce choix illustre la compétitivité croissante des énergies renouvelables et l’émergence de nouveaux modèles économiques. Si l’on y ajoute les investissements dans les équipements, les logements et les bâtiments commerciaux qui limitent les pertes d’énergie, l’Afrique pourrait se passer de nouvelles centrales à charbon.
La Banque africaine de développement se joint aux organisations spécialisées dans l’aide au développement qui encouragent de plus en plus vivement le basculement vers une économie à faible émission de carbone et l’abandon du charbon comme source d’énergie. Chaque jour plus préoccupées par les risques climatiques, plus d’une centaine d’institutions financières à travers le monde (dont16 des 40 plus grandes banques internationales) ont restreint leur investissement ou cessé d’investir dans les centrales à charbon. Et elles sont encore plus nombreuses à limiter leur investissement dans de nouvelles centrales à charbon.
L’abandon du charbon est non seulement bénéfique au climat, mais aussi à l’économie et à la population africaine. Dans beaucoup de régions, les énergies renouvelables reviennent maintenant moins chères que le charbon – ceci même en l’absence de subventions. L’abandon du charbon est encore plus intéressant sur le plan financier si l’on prend en compte le coût caché des pathologies liées au charbon, le risque d’actifs déclassés et les investissements préalables pour parvenir à ce que l’on appelle « le charbon propre ». Autrement dit, investir dans de nouvelles centrales à charbon est un non-sens économique.
Par ailleurs, 42% des centrales à charbon dans le monde ne sont pas rentables, et l’Afrique n’échappe pas à cette tendance. Ainsi le fournisseur d’électricité sud-africain Eskom a vu le coût de son énergie primaire multiplié par 3 en termes réels au cours des 20 dernières années, ce qui a conduit à des hausses des prix pour le consommateur et amené la société au bord du gouffre. Une analyse du projet de Plan de ressource intégré de 2016 pour l’énergie en Afrique du Sud montre que l’option la moins chère n’est pas le charbon, mais une combinaison du photovoltaïque solaire, de l’éolien et de sources d’énergie plus flexibles comme l’hydroélectrique, le biogaz ou le gaz. Le Plan de ressource intégré de 2018 confirme l’évolution en faveur des énergies renouvelables. Si d’autres pays africains suivent les traces de l’Afrique du Sud, ils en recueilleront probablement aussi les bénéfices.
Enfin, la transition vers les énergies renouvelables permet d’améliorer l’accès à l’énergie rapidement et pour un coût abordable, sans entraîner de pollution de l’air. Entre 1990 et 2013, le nombre de décès dus à la pollution de l’air extérieur a augmenté de 36%, pour atteindre 250 000 en 2013. Les sources d’énergie renouvelable hors réseau peuvent diminuer la pollution et répondre aux besoins de la population rurale. Un accès plus large à l’électricité peut aussi favoriser l’égalité hommes-femmes en encourageant l’entreprenariat des femmes, ce qui peut décupler leurs revenus.
Les bénéfices d’une sortie du charbon sont clairs. Au moment où l’Afrique prend le chemin d’une économie à faible émission de carbone, elle doit investir davantage dans l’efficacité énergétique et éviter de devenir trop dépendante du gaz naturel, du pétrole ou même des grands barrages, car ce sont des solutions exposées aux risques financiers liés au climat. Une politique ambiguë pourrait conduire d’ici 2035 au déclassement d’actifs liés aux combustibles fossiles dont le montant pourrait s’élever à des milliers de milliards de dollars – une perte pouvant aller jusqu’à 15% du PIB actuel. Le réchauffement climatique présente déjà des risques pour certains grands barrages hydroélectriques africains, ce qui remet en question leur fiabilité à long terme et leur viabilité économique.
Pourtant, malgré les arguments économiques et sociaux en faveur des énergies renouvelables, de nouvelles centrales à charbon restent programmées à travers l’Afrique. Au niveau du continent, la capacité de ces centrales devrait passer de 3 GW aujourd’hui à 17 GW en 2040 si l’on y inclut celles qui devraient entrer en service au Zimbabwe, au Sénégal, au Nigéria et au Mozambique !
L’Afrique est à la croisée des chemins en matière de développement. Elle devrait renforcer sa politique et sa stratégie en faveur de la transition vers une nouvelle économie climatique et encourager les investissements dans l’énergie propre.
Pour que l’Afrique atteigne les objectifs ambitieux de l’Agenda 2063 en faveur d’un développement durable et inclusif, elle doit basculer vers une économie résiliente à faible émission de carbone. En abandonnant les énergies fossiles, elle peut donner l’exemple et prendre la tête de la lutte mondiale contre le réchauffement climatique.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz depuis le site www.project-syndicate.org/
Carlos Lopes est le haut représentant de l’Union africaine pour le partenariat avec l’Europe. Il est également membre de la Commission mondiale sur l’économie et le climat et professeur à l’Ecole Nelson Mandela de gouvernance publique à l’université du Cap.