Je m’appelle Mohamed MKHAITIR, Administrateur Civil de formation. J’ai fréquenté l’école primaire à Guerou, ma ville natale, le collège de Kiffa, les lycées d’Aioun et de Nouakchott, après mon Baccalauréat, lettres modernes en 1981, j’étais admis au concours de l’ENA de Nouakchott où j’y ai fait le cycle A long pour sortir en 1985 après un stage à l’ENA de Tunis, avec mon diplôme d’Administrateur Civil.
J’ai servi de 1987 à 2015 aux postes de Commandement Territorial (Préfet, Chef d’Arrondissement et Wali Mouçaid…).J’ai décidé en 2016, après que le pays devînt le théâtre d’un obscurantisme géré lâchement par un militaire inculte et peu soucieux de la cohésion de ce pays devenu arène de lutte entre des Communautés qui se replient chacune derrière un discours identitaire.
Les Haratines ressassent, à raison assurément, les litanies récriminatoires d’un passé dont les anachronismes restent indélébiles sur le plan économique, social et culturel. Les negro mauritaniens déplorent le racisme d’un État qui, depuis l’avènement des militaires en 1978, les a systématiquement exclus à travers une arabisation à outrance, à travers des liquidations extra judiciaires, des déportations forcées et un état civil prosaïquement ciblé à dessein !!!
Au sein de la communauté maure, l’explosion des particularismes menace de ses éclats.
1-Vous avez quitté la Mauritanie en décembre 2016 sous prétexte que vous êtes menacé en permanence avec votre famille, vous étiez menacé par qui et pourquoi le régime de Mohamed Ould Abdel Aziz n’a pas assuré votre protection ?
Il ne s’agissait pas d’une menace qui planait sur ma seule personne mais plutôt sur tout le pays. Je suis sorti pour mobiliser l’opinion internationale sur le cas de mon fils .Celle ci a fortement influencé le cours des événements : grâce à mon départ le dernier jugement rendu était pour le libérer. L’Islam n’a pas changé de version et les magistrats et Vaghihs qui l’ont libéré sont ceux là mêmes qui le condamnaient à mort : réfléchissez y bien !!!!
Les mouvements politiques d’obédience islamiste procèdent, par le blanchiment d’argent et l’intelligence avec des pays et organisations étrangers, à dénaturer le paysage socio-culturel du pays ; ce qui finira, à coup sûr, par dresser les mauritaniens, les uns contre les autres : Quand on nous dit qu’il y a un parti pour l’Islam ça laisse croire que tout celui qui n’y adhère pas serait contre l’Islam ce qui n’est pas le cas nécessairement !!
2- Mohamed Ould Abdel Aziz a toujours cultivé l’image d’un combat sans merci qu’il mène contre le terrorisme, l’extrémisme, l’obscurantisme religieux, mais bizarrement, il adopte une attitude d’un radicalisme religieux sans précédent dans l’histoire du pays, allant jusqu’à supprimer le droit à se repentir, comment expliquez-vous ce paradoxe en tant que haut fonctionnaire de l’état ?
Ould Abdel Aziz n’est pas à un niveau intellectuel ou culturel qui le prédispose à se situer par rapport à la lutte contre telle idée ou à défendre une autre ! Il était venu par coup d’État et en récidive de surcroît. Pour galvaniser les populations qui ont mal accueilli son coup de force, il a parlé de la lutte contre le terrorisme et la gabegie. Alors que d’aucuns prétendent qu’il aurait lui-même des rapports suspects avec des mouvances de cette obédience et pour s’engager dans sa propre politique d’enrichissement illicite et sans cause, il a voulu feindre et leurrer les gens en prétendant qu’il lutte contre ce qu’il pratique lui-même : Népotisme, marchés de gré à gré, réforme et vente des édifices et immeubles publics etc……
3-Comment avez-vous vécu la condamnation à mort de votre fils sur une accusation d’apostasie ? Qui sont ceux qui ont porté plainte contre votre fils dans cette affaire ?
Cette affaire de mon fils est une scène à double scénario :
D’un côté, elle intervint dans le contexte de ce qu’on a appelé le printemps arabe où des régimes plus sordides et stratégiquement plus présents sur la scène internationale furent déracinés : Egypte, Tunisie, Lybie etc….Devant ce fléau Aziz et les islamistes se sont inconsciemment ralliés contre mon fils, l’un pour montrer aux mauritaniens qu’il est plus musulman que les islamistes et les autres pour trouver un cheval de Troie comparativement au cas du tunisien Bouzizi dont la mort donna la première étincelle de la révolution tunisienne qui finit par balayer Ben Ali. De l’autre, une partie des islamistes, celle que gère Aziz l’invita, dans un premier temps à exécuter le jeune et en fin du scénario, il leur demanda de justifier sa libération. Aziz était entre deux feux : exécuter le jeune c’était l’acte de décès d’Aziz lui même, pas par insoumission aux verdicts de la justice, mais parce que des cas similaires et même pires que la forfaiture du fils étaient commis par d’autres sans que l’on ne les inquiète ce qui pourrait certainement créer des remords d’injustice et amener un frère, un parent ou un membre de la tribu à le venger sauvagement ;le libérer, ça aura été l’acte de décès de son régime par soulèvements populaires qui avaient des agendas plutôt politiques que religieux. C’est pourquoi il ne l’a libéré que la dernière semaine de son règne peu glorieux.
4- Donnez aux lecteurs les nouvelles de votre fils ? Souffre-t-il de problèmes sanitaires liés aux conditions de sa détention? Vous a-t–il avoué des tortures physiques?
Il se porte très bien malgré six ans de prison. Physiquement il est bien portant. Concernant les tortures il n’en a jamais subies. Mais je m’en presse ici de vous dire : »A quelque chose malheur est bon ». Son calvaire et celui de Biram ne se répéteront jamais en Mauritanie.
Hier, avant-hier et les semaines passées des gens ont dit, écrit et publié des propos pires que lui et les autorités ne les ont pas inquiétés. Peut-être que mon fils et Biram ont payé la facture des autres.
5-L’Association des Haratine de Mauritanie en Europe (A.H.M.E ) a été créée en 2001,elle a toujours dénoncé le système de castes en Mauritanie, l’esclavage par ascendance au sein de toutes les couches mauritaniennes, que pensez-vous du comportement de différents dirigeants du pays face au fléau ?
Cette Association mène une lutte héroïque que je salue de passage. Les droits ne se donnent pas mais s’arrachent. Les régimes politiques ne sont que le produit de la société. L’éveil intellectuel et la prise de conscience s’ancrent dans nos esprits avec beaucoup de retard. Mais il ne faut pas perdre de vue que l’esclavage est une responsabilité commune entre les bourreaux et les victimes : La domination n’est possible que quand il y a soumission.
Je vous raconte ici une anecdote. Un jour un Hartani me visita dans mon bureau de Préfet, il me déclina son identité en précisant qu’il était propriété de telle famille. Je lui dis : Ses propos sont inacceptables et la loi interdit l’esclavagisme. Il rétorque en disant : » C’est mon identité et j’en suis fier. Rien ne sert de nous engager dans une lutte que la religion nous déconseille et nous en dissuade ». Le mal habite et l’esprit de l’esclave et de l’esclavagiste en même temps.
6- Que pensez-vous de l’interdiction de l’ONG IRA-Mauritanie par les autorités alors qu’elle fait un extraordinaire travail pacifiquement sur le terrain? Pourquoi l’état Mauritanien est toujours réticent à reconnaître les organisations abolitionnistes depuis au temps du mouvement El-Hor ?
L’interdiction de l’IRA, du projet du Parti RAG et du projet de Parti des Flam est une injustice avérée. On autorise des partis de discours nationalistes arabistes et d’autres d’obédience islamiste, ce que la loi interdit et on refuse aux Haratines et Negro mauritaniens opprimés de s’organiser ça relève non seulement de l’injustice mais aussi d’un apartheid qui ne dit pas son nom !!! L’État reste réticent pour pratiquer une Politique d’autruche éculée.
Conscient que les communautés noires, une fois organisées, le paysage politique du pays ira inéluctablement changeant. C’est pourquoi les régimes militaires continuent de pousser le pays vers des lendemains lourds de l’on ne sait quels drames !!!
7-Les autorités Mauritaniennes aiment crier l’unité nationale, cohésion nationale pendant qu’elles discriminent, excluent les populations noires, la communauté Haratine n’est même pas reconnue dans la constitution qui garantit l’égalité entre les différentes populations, est-ce que logique selon vous?
Les Communautés negro mauritaniennes et Haratines ont été et restent encore victimes de l’injustice. Tant qu’il n y a pas une Conférence Nationale au cours de laquelle s’abordent les questions de la cohabitation et de l’unité Nationale, le pays va rester entre les mains de cette poignée de militaires et des ZOULOU negro mauritaniens et Haratines qui vendent leurs causes : En Afrique du Sud il y avait des noirs qui collaboraient avec les blancs, en Algérie, les pieds noirs et les Harakis ont leur histoire avec le FLN. L’histoire récente et celle reculée nous enseignent sur l’avenir des États qui ne se ressaisissent pas et ceux qui ne font pas des lectures à la fois introspectives et rétrospectives de leur parcours. Je crois que la tempête balancerait ce pays en lambeaux si les sages ne prenaient leur responsabilité !!!!
8-Il y a des veuves, les orphelins, les victimes de graves tortures qui traînent leurs lourdes séquelles depuis les années 1989 à 1992 qui réclament justice, Ould Abdel Aziz avait promis des sépultures pour les défunts mais rien n’a été fait, pourquoi l’état fait souffrir autant ces populations ?
Pour les évènements malheureux des années de braises, je crois qu’il faut réparer les torts. C’est la Conférence Nationale que j’ai évoquée plus haut qui devrait aborder cette question de veuves, d’orphelins et des mères éplorées, des terres confisquées, des déportations forcées et des liquidations extrajudiciaires. Réparation des victimes et sanctions ou pardon des tortionnaires !!!!
9- L’arabisation a été imposé aux mauritaniens alors que le pays était bilingue et on s’en sortait bien, les mauritaniens ne comprennent pas l’arabe à vrai dire sans l’avoir appris à l’école, cela s’est soldé par une éducation nationale désastreuse qui régresse d’année en année, pourquoi l’état persiste et signe dans cette erreur d’arabisation? Ne dit on pas qu’un pays sans une éducation fiable est un pays sans avenir ?
Cette arabisation n’était rien d’autre qu’un moyen d’exclusion d’une Communauté.
Ceux qui ont arabisé à outrance, les militaires en l’occurrence, ne pratiquent l’arabe que peu ou pas. Ils ont inconsciemment dressé la communauté negro mauritanienne contre un arabe dont ils ont toujours été fiers et religieusement attachée. Si la réforme de l’enseignement était concertée, on aurait pu trouver une solution de transition de bilinguisme vers une officialisation de l’arabe à côté de nos langues nationales tout en gardant le français comme langue d’ouverture. L’on constate aujourd’hui que ceux qui combattent le français parmi les arabistes engagent leurs enfants à l’école française en payant des sommes colossales pour leurs scolarisation. C’est à dire qu’il s’agit d’une velléité d’exclusion des noirs et d’arrivisme des nationalistes arabistes.
10- Parmi les réclamations de l’apprentissage des langues nationales et dans l’institut des langues pourquoi l’absence total du Hassaniya ? Le Sénégal a mis à la disposition des maures (Naar ) l’alphabet Hassaniya malgré que le Hassaniya vient de leur voisin, pourquoi la Mauritanie discrimine officiellement une langue que maîtrise 80% de sa population ?
Pourquoi les nationalistes arabistes ne réclament pas la promotion du Hassanya ? C’est un complexe identitaire : les mauritaniens d’obédience arabiste sont plus arabistes que les arabes de souche des moyen et proche Orients. Réclamer le Hassanya qui est le dialecte des tribus arabes Mauritaniennes est inacceptable par la communauté berbère qui, depuis longtemps, nie ses origines berbères et s’agrippe à une arabité peu ou mal acceptée. Ce complexe me rappelle celui de la Turquie qui, étant pays à 99% de son territoire asiatique, réclame l’adhésion à l’Union Européenne à laquelle elle n’est liée que par la seule ville D’ISTANBUL, ancienne Byzance.
11-Tout dernièrement, nous avons su que vous avez mis en place un mouvement nouveau avec d’autres mauritaniens, expliquez nous vos objectifs ?
Effectivement nous venons de créer une alliance dénommée : ALLIANCE POUR LA REFONDATION DE L’ ÉTAT MAURITANIEN. Elle se veut une entité qui regroupe les mauritaniens de tous bords. Les communautés nationales se regardent en chiens de faïence, le repli identitaire et l’instinct grégaire gagnent les esprits. Nous voulons réparer les torts, montrer aux mauritaniens que les maures et les negro mauritaniens ont toujours cohabité pacifiquement et que les régimes militaires ont dressé les communautés les unes contre les autres pour mieux pérenniser leurs pouvoirs. Nous proposons une réforme de l’enseignement où les langues nationales seront mutuellement apprises : l’élève maure commencera à l’école primaire par apprendre les autres langues nationales et l’élève negro mauritanien commencera par l’arabe. Au secondaire le français sera enseigné pour les deux communautés avec le même coefficient. La réconciliation Nationale sera notre premier chantier !!!
Guidumakha.com félicite chaleureusement Mohamed MKHAITIR pour sa disponibilité et d’avoir répondu aux questions du site.
Source : Guidumakha (Mauritanie)