S’il y a un acteur qui a marqué la scène politique et droit de l’hommiste en Mauritanie durant la décennie 2008-2019, c’est bien Birame Dah Abeid. Deux périodes peuvent être distinguées dans la vie de cet illustre personnage. Une période que certains qualifient de provocatrice et de radicale dans son combat contre l’esclavage qui va de 2008 à 2014, et la période suivante où son discours évolue compte tenu de son statut de présidentiable qui cherche à brasser plus large. Outre l’électorat haratine et négro-africain qui forme l’essentiel de son contingent politique, il aspire désormais à séduire l’électorat arabe.
Sa popularité dépasse les frontières de la Mauritanie et son aura en fait aujourd’hui le politique et l’activiste des droits de l’Homme qui a le plus marqué la décennie 2008-2019, en particulier l’année 2019. Son élection comme député à l’Assemblée Nationale à partir d’une cellule de prison en septembre 2018 et son arrivée en 2ème position aux élections présidentielles du 22 juin 2019, face à des ténors politiques, un ancien Premier ministre, une coalition de Halaybé et un leader historique, sans structure politique et sans soutiens financiers forts, constitue un exploit inédit. Il, c’est Birame Dah Abeid, président de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), député à l’Assemblée nationale, deuxième sur les deux dernières élections présidentielles (2014 et 2019), et l’un des défenseurs des droits de l’homme le plus titré du continent.
En somme, la vie de Birame Dah Abeid ressemble à s’y méprendre à celle des grandes figures noires de l’Histoire contemporaine, à l’image de Martin Luther King, Malcom X, Nelson Mandela, pour ne citer que ces hommes aux destins si croisés et semés d’embûches. Des destins tissés autour de combats pour un idéal, l’égalité des races et la justice sociale, notamment en Mauritanie, pays traversé par des courants et des idéologies qui s’entrechoquent autour de questions aussi controversées que l’esclavage, le racisme d’Etat, l’exclusion des descendants d’esclaves et la stigmatisation de la composante négro-africaine, mais aussi la pauvreté et les injustes qui n’épargnent aucune communauté. Jamais homme n’a été aussi combattu, haï, voué aux gémonies, embastillé et pourchassé au cours de la dernière décennie. Jamais également acteur mauritanien n’a été aussi décoré et distingué sur les plus prestigieuses tribunes du monde, en Irlande, en Belgique, jusque dans l’hémicycle des Nations Unies.
Cependant, l’évolution de Birame Dah Abeid, peut-être scindée en deux grandes périodes, celle du défenseur des droits de l’homme qui passe par l’ultra-radicalité pour nourrir sa confrontation contre la société maure, ce qui lui vaudra plusieurs séjours en prison, et celle de la recherche du consensus et du rassemblement autour de questions non plus communautaristes, mais d’envergure nationale, pour nourrir de nouvelles ambitions politiques.
Birame, « l’impénitent provocateur«
Le combat premier de Birame Dah Abeid sera d’abord circonscrit dans son propre ensemble, celui de la communauté maure, où sa frange, celle des Haratines à laquelle il appartient, se sent oppressée, exploitée et oubliée dans le partage du pouvoir politique et des prébendes économiques. Les militants d’IRA commencent le combat par la revendication d’une nouvelle identité, l’identité Harratine, pour se démarquer de leurs tribus. Le tout servi par un discours jugé subversif et diviseur de l’ensemble maure.
Birame quitte SOS Esclaves, une organisation non gouvernementale qui combat l’esclavage et dans laquelle il militait. Son président, Boubacar Messaoud et les siens ne peuvent cependant être accusés de n’avoir pas servi loyalement et engagement la cause antiesclavagiste. Ils ont eu leur lot de brimades et d’emprisonnement, connue des succès et essuyé des échecs plus d’une décennie durant pour la défense de la cause, avant d’être officiellement reconnue en 2005, après la chute de Ould Taya.
Mais Birame trouvait sans doute que les moyens de lutte de SOS Esclaves étaient peu énergiques et molles à son goût. Il décide de fonder une organisation radicale au discours percutant. Le premier noyau dur est formé de quelques compagnons, de jeunes intellectuels révoltés par la situation des communautés noires, haratines et négro-africaiines, notamment Brahim Ould Ramdhane, Hamady Lehbouss, Ahmed Hamdy, Balla Touré et d’autres qui l’ont rejoint, persuadés que sans une secousse violente contre la muraille féodale, l’esclavage aura encore de beaux jours devant lui.
Une organisation ultra-radicale est née, l’Initiative de Résurgence du mouvement Abolitionniste (IRA). L’objectif de ce mouvement, obliger les autorités à appliquer la feuille de route des Nations Unies et la loi 2O07-048 criminalisant l’esclavage qui venait d’être adoptée. Très vite, l’organisation prend de l’ampleur, plusieurs jeunes harratines et négro-africains, séduits par le discours rugueux et radical d’IRA s’engouffrent dans la brèche. Les discours d’IRA choquent par leur nature crue et provocatrice. Les militants traquent les cas d’esclavage, forcent la police à interpeller les suspects de pratiques esclavagistes, organisent des sit-in devant les commissariats de police pour éviter que les coupables ne soient mis en liberté in petto. SOS Esclaves et IRA exigent la révision de la loi 2007 et parviennent avec la pression internationale à faire adopter une loi plus répressive en 2015. Les peines sont doublées et la société civile peut désormais se porter partie civile.
Des dossiers commencent à défrayer la chronique. Janvier 2012, le cas d’esclavage à Aïn Farba.
En 2013, une autre affaire éclate à Atar. C’est «l’affaire Oùmoulkheiry Mint Yarba »..
La même année, c’est l’affaire Noura, 18 ans, cette fois à Boutilimit. Les militants d’IRA observeront le plus long sit-in dans l’histoire du mouvement devant la brigade de gendarmerie pour exiger la traduction en justice des présumés maîtres. Puis, sans résultat après plus de quinze jours de sit-in, ils organisent une marche de 150 kilomètres pour rejoindre Nouakchott et exprimer leur indignation face à l’impunité.
Plusieurs autres dossiers suivront, dont celui de Yarg et son frère. Le mouvement IRA jugé subversif par les autorités sera ainsi l’organisation la plus réprimée dans l’histoire des droits de l’homme en Mauritanie. Les sit-in d’IRA se terminent toujours par des séries d’arrestations, des charges policières, de plus en plus violentes, répressives et ciblées. Cela se termine souvent aux urgences des hôpitaux,..
En 2012, IRA engage un autre combat. Idéologique cette fois. C’est l’incinération des livres du rite malékite, considérés par le mouvement comme le fondement théologique de la perpétuation de l’esclavage en Mauritanie, «base de formation des administrateurs et des magistrats » soutient-on. L’incident créé un séisme et soulève un large débat, des marches de colère organisées, vite instrumentalisées. C’est la fin de Birame et de IRA, prédisent déjà la plupart des observateurs. Birame est arrêté et emprisonné avec quelques militants. Ils seront libérés quelques mois plus tard et le cortège triomphal de leurs admirateurs s’étire sur des kilomètres, de la prison civile de Nouakchott jusqu’à son domicile au P.K 9. Un rassemblement monstre, populaire, inédit, qui fait trembler des certitudes. La même année, Birame Dah Abeid reçoit deux prestigieux prix, le Front Line Award for Human Rights Defenders at Risk de l’ONG Irlandaise Front Line Defender et le Prix des Nations Unies pour les droits de l’Homme.
En 2014, sans parti politique qui soutient sa candidature, Birame décide de se lancer en politique et participe en indépendant à l’élection présidentielle boycottée par la Coordination de l’opposition démocratique. A la surprise générale, il rafle la deuxième place devant deux chefs de partis politiques. Aux lendemains du scrutin, Birame décide de se mettre dans la peau d’un homme politique et commence à changer de discours. Au cours d’une conférence de presse largement médiatisée, il prône la modération et l’ouverture, se dit prêt à un compromis social. Le pouvoir de Mohamed Abdel Aziz semblait plutôt préférer un Birame ultra radical qu’un Birame pacifiste.
Il est arrêté en novembre 2014, en marge d’une caravane contre l’esclavage foncier qui avait sillonné la Vallée et à laquelle il n’avait même pas participé. Cette fois, Ould Abdel Aziz semblait vouloir en finir avec lui. Il est conduit à la prison d’Aleg, puis condamné le 15 janvier 2015 à 2 ans de prison fermes au cours d’un procès qu’il avait boycotté.
Birame, le présidentiable au discours rassembleur
Birame Dah Abeid, dans la peau du présidentiable qui se donne pour ambition de fédérer tous les Mauritaniens autour d’un projet politique, celui de l’après 2014, a enterré à quelques nuances près le Birame défenseur des droits de l’homme, celui dont le discours percutant avait longtemps catalysé les ressentiments et égratigné une Mauritanie qui ne voulait plus voir son image associée à celui du dernier «bastion négrier du monde»,. Birame ira plus loin. Il s’allie au parti arabe Baath, Sawab, l’ennemi numéro 1 de la communauté négro-africaine qui le rend responsable des épurations ethniques des années 89-91.
Le choix est d’autant plus dangereux que la plupart des militants d’IRA appartiennent à cette communauté dont la majeur parti l’avait rallié pour son courage, celui d’avoir porté en bandoulière leur cause, jusqu’à organiser les fameux pélerinages d’Inal, Wothié, Sory Mallé, ainsi que d’autres fausses communes dont aucun leader négro-africain n’avait osé foulé les pieds. Mieux, Birame, aux yeux de la jeunesse négro-africaine, est celui qui a le plus défendu leur cause parmi tous les ténors de l’opposition, y compris ceux de leur propre faction.
Cette alliance entre IRA et Sawab sera ainsi utilisée à fond par les adversaires politiques de Birame Dah Abeid, notamment certains leaders Halpulaars qui voyaient d’un mauvais œil son empiètement sur ce qu’ils considèrent être leur plate-bande électorale dans la Vallée.
Certains jeunes militants négro-africains au sein de la communauté halpulaar membres d’IRA vont plus loin. Ils trouvent que la Coalition du Vivre Ensemble (CVE) savait qu’elle n’avait aucune chance pour gagner la présidentielle du 22 juin 2019 et que son seul objectif était de barrer la route à Birame Dah Abeid. Mais de l’autre côté, certains militants de la CVE qui trouvent l’accusation de ridicules trouvent que les intérêts de Birame et des leaders de la Coalition étaient d’’autant plus divergents que ces derniers ne pouvaient aucunement s’allier à un candidat soutenu par un parti politique génocidaire, en l’occurrence le parti Sawab.
Ce qui est sûr, l’alliance IRA-Sawab, considérée par beaucoup d’observateurs comme un mariage de raison contre-nature, serait selon certains observateurs, une porte d’entrée qui allait permettre à Birame de s’ouvrir sur un électorat arabe, dont l’adhésion à son combat se résumait jusque-là à quelques individualités. A partir de là, le discours traditionnellement radical de Birame Dah Abeid va se muer en un discours politique, sorte de jeu d’équilibre où il cherchera à ménager la chèvre et le choux sans tomber toutefois dans la compromission, ni dans le déni de ses principes basés sur la lutte contre l’esclavage, les injustices sociales, l’exclusion.
Même après la proclamation des résultats controversés de l’élection présidentielle et les exactions qui les ont suivies, répressions et arrestation des militants, dont ceux d’IRA, Birame Dah Abeid, évite l’escalade et joue à l’apaisement. L’homme fougueux et impulsif des années de confrontation sur le terrain des droits de l’homme avait laissé la place à l’homme politique, calculateur et visionnaire, qui compte endosser un nouveau costume. Celui d’un futur Président de la République qui aspire à faire le consensus autour de sa personne plutôt qu’à jouer au leader d’un simple mouvement informel, fût-il l’un des plus emblématiques que la Mauritanie ait connu.
Cheikh Aïdara