Le 25/12/2019 – UNFPA – Mauritanie
« J’ai refusé de marier ma fille pour une simple et bonne raison : je veux qu’elle soit libre et autonome », déclare Lemeima mint El Hadrami, 49 ans. « Je ne veux pas qu’elle subisse ce que j’ai subi quand j’étais jeune ».
Mme El Hadrami a été mariée alors qu’elle n’avait que 13 ans. Comme c’est souvent le cas pour les épouses enfants, elle est tombée enceinte à l’adolescence et a dû abandonner sa scolarité. Elle a eu deux filles, à la suite de deux grossesses difficiles. Son mari les a ensuite quittées.
« À l’époque, on ne savait pas que le mariage d’enfants était dangereux pour la santé des filles. C’était une pratique répandue chez nous », se souvient-elle. Mme El Hadrami est originaire de Selibabi, dans le sud-est de la Mauritanie, un pays où 37 % des filles sont mariées avant d’avoir 18 ans.
Éliminer le mariage d’enfants en Mauritanie et dans d’autres pays du Sahel, où l’âge médian de mariage des femmes et des filles est de 16,6 ans, demande un changement des règles tacites de la société qui gouvernent cette pratique. Cela suppose d’obtenir l’appui des leaders religieux et communautaires sur de nombreuses questions, comme la discrimination et la violence basées sur le genre.
« Une fille impubère ne peut pas porter d’enfant »
L’UNFPA travaille avec des partenaires pour sensibiliser les populations aux risques en chaîne que produit le mariage d’enfants : abandon de la scolarité, plus grands risques en matière de santé maternelle, plus grande pauvreté à long terme pour les filles et leurs familles.
« Une fille impubère ne peut pas porter d’enfant, car c’est elle-même encore une enfant dont le corps n’est pas prêt à accueillir un bébé », déclare Telmidy, imam de la mosquée de Juba à Selibabi. Il souligne que de nombreuses adolescentes des communautés qu’il fréquente sont mortes pour cette seule raison.
Telmidy est l’un des 200 leaders communautaires et religieux mobilisés en Mauritanie par le projet Autonomisation des femmes et dividende démographique au Sahel (SWEDD), une collaboration entre l’UNFPA et d’autres partenaires, avec l’objectif de montrer que le mariage d’enfants est haram, c’est-à-dire interdit par l’islam.
« Le mariage précoce est une question complexe et nous l’avons abordée d’une façon qui respecte l’islam », explique-t-il. « L’islam protège la dignité des hommes et des femmes ».
Telmidy et les imams qui participent au projet veulent être des agents de changement. « Nous discutons et partageons notre connaissance de l’islam, notre expérience, en faisant du porte-à porte ou lors de la prière du vendredi. Les gens commencent à comprendre et à être réceptifs ».
« J’ai été très émue par les messages que j’ai entendus à la radio »
Le projet SWEDD est financé par la Banque mondiale et mis en œuvre par les gouvernements du Bénin, du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire, du Mali, de la Mauritanie, du Niger et du Tchad, grâce à un soutien technique de l’UNFPA.
En plus de son travail avec les leaders religieux, le projet diffuse des messages à la radio sur l’autonomisation des filles, dans le cadre d’une émission très populaire.
« J’ai été très émue par les messages que j’ai entendus à la radio », raconte Mme El Hadrami. « Je ne veux pas que ma fille connaisse les mêmes difficultés que moi. J’aimerais qu’elle aille le plus loin possible dans ses études, qu’elle ait un bon travail, qui lui permettra d’avoir une vie décente. Elle pourrait devenir ministre, médecin ou sage-femme ».
Ces messages radio vont de pair avec les efforts de sensibilisation par la foi.
« Les recommandations et consignes que nous diffusons à la radio sont très importantes, notamment parce qu’elles s’appuient sur des croyances religieuses », explique Telmidy. « Les gens doivent écouter la radio pour s’informer ».
« Certains sont cloîtrés dans les coutumes traditionnelles »
Les imams ont pu sensibiliser 370 000 personnes en Mauritanie, via des sessions de formation sur les dangers du mariage d’enfants. L’UNFPA aide également le réseau national des érudits islamiques à s’informer sur les risques en matière de santé sexuelle et procréatives, en n’abordant pas uniquement le mariage d’enfants, mais aussi les avantages de l’espacement des naissances, et l’importance de l’élimination de la violence basée sur le genre et des mutilations génitales féminines.
« L’islam est une religion qui honore tous les êtres humains. Toute action qui porte atteinte à leur santé physique ou mentale est donc interdite », déclare Hademine Saleck Ely, imam à la mosquée centrale de Nouakchott. « Certains restent pourtant cloîtrés dans les pratiques traditionnelles et ne comprennent pas les risques liés à ces coutumes ».
Telmidy souligne que la connaissance est obligatoire pour tout·es les musulman·es : « le Coran montre qu’un père a la responsabilité d’éduquer ses filles et de les protéger, et qu’il doit retarder leur mariage jusqu’à ce qu’elles aient 18 ans. Il doit également leur permettre de gagner leur vie, car c’est leur droit ».
« Nous devons assumer nos responsabilités et remplir notre mission de partage de connaissances avec la communauté », ajoute-t-il.