Le 25/12/2019 – Patrick Gaspard
NEW YORK – Le Premier ministre français Édouard Philippe a présenté récemment un sabre antique devant le président sénégalais Macky Sall dans son palais présidentiel de Dakar. Mais il ne s’agissait pas d’un cadeau. Le sabre était de retour dans son pays d’origine, plus d’un siècle après avoir été volé.
Le rapatriement d’un objet ayant une importance historique, spirituelle et culturelle aussi profonde pourrait ressembler à un simple geste de réparation coloniale. Mais cette cérémonie était différente en ce qu’elle impliquait bien plus qu’un simple objet physique. En fait, c’est un tournant dans la reconnaissance de l’Occident des dommages culturels causés par le colonialisme.
Le sabre en question appartenait à El Hadj Omar Tall, fondateur de l’Empire Toucouleur, qui s’étendait autrefois de l’actuel Sénégal au Mali et à la Guinée. Tall était un chef religieux respecté et un combattant de la résistance anticoloniale. Son arme, ainsi que des dizaines de milliers d’autres pièces de patrimoine africain ayant été pillées, étaient aux mains des Français depuis les années 1890. Exposé dans les musées français, le sabre avait cessé de symboliser les prouesses militaires d’une puissante dynastie et relatait à la place l’histoire de la décimation d’un empire africain, en légitimant ainsi le racisme et les préjugés qui sous-tendent la période coloniale.
La famille de Tall faisait campagne pour le retour du sabre depuis 1944 et a finalement eu gain de cause le mois dernier. Les descendants se sont rendus à Dakar depuis des villages de Guinée, du Mali et du Sénégal pour assister à son retour. Le sabre restera au Sénégal pendant cinq ans pendant que le Parlement français détermine si cet objet – ainsi que d’autres – seront définitivement restitués.
Il y a seulement quelques années, ce moment aurait été inimaginable. Les gouvernements européens, les ministères de la culture, les musées et les universités ont longtemps refusé de reconnaître l’immoralité de la situation dans laquelle le patrimoine culturel de l’Afrique a été retiré de ce continent. La remise du sabre a donc été un moment très symbolique, ce qui augure un changement dans la dynamique du pouvoir et un respect renouvelé pour l’histoire trépidante de l’Afrique. Ce moment témoigne également de la persistance chez les Africains – jeunes et vieux, sur le continent et dans la diaspora – d’une mobilisation pour exiger que les dirigeants des anciennes puissances coloniales redressent des torts historiques.
Le colonialisme reposait sur le désaveu de l’art, de la musique et de l’architecture en provenance d’Afrique. Des dirigeants cruels comme Ian Smith, le Premier ministre de la Rhodésie (actuel Zimbabwe) dans les années 1960 et 1970, ont légitimé des mauvais traitements et des injustices horribles pour saper la culture du peuple africain, en supprimant ainsi son humanité.
Durant des décennies, Open Society Foundations a soutenu ceux qui se trouvent en première ligne de la transformation sociétale. Nous reconnaissons le pouvoir de l’art et de la culture pour remettre en question les inégalités structurelles, pour contester les préjugés et promouvoir l’imagination d’une nouvelle génération de dirigeants. Notre patrimoine culturel constitue le fondement de l’histoire que nous partageons pour donner un sens à notre place dans l’histoire – et dans le monde. En son essence, la création d’objets culturels est fondamentalement une manifestation d’espoir humain.
En reconnaissant cela, Open Society Foundations lance une nouvelle initiative de 15 millions de dollars pour renforcer les efforts visant à assurer la restitution et la réappropriation d’objets volés sur le continent africain. Au cours des quatre prochaines années, nous allons soutenir des citoyens, des artistes, des éducateurs, des communautés autochtones, des organisations de la société civile, des musées, des universités et d’autres institutions qui s’emploient au retour du patrimoine de l’Afrique vers son lieu d’origine et à entretenir chez les générations futures d’Africains un sentiment d’appropriation de leur histoire, de leur culture et de leur identité.
Les jeunes d’Afrique, en particulier, n’ont cessé de réclamer le contrôle de leur propre destinée, ce qui a conduit dernièrement à des changements radicaux en Éthiopie et au Soudan. Ils reconnaissent l’importance de leur patrimoine culturel et ont fait campagne pour le retour des artefacts africains. Après avoir constaté que les jeunes sont une force essentielle sur un continent où la population devrait croître de plus d’un milliard d’individus, à 2,5 milliards en 2050, de nombreuses anciennes puissances coloniales ont commencé à tendre l’oreille.
Dans un discours prononcé en 2017 devant un auditorium plein d’une Université du Burkina Faso, le Président français Emmanuel Macron s’est engagé à faire du retour des artefacts africains une priorité. « Le patrimoine culturel africain, a-t-il expliqué, ne peut plus être retenu en captivité dans les musées européens. » Depuis lors, le rapport révolutionnaire Sarr-Savoy commandité par le gouvernement français, a déclenché une conversation mondiale sur le retour d’objets volés vers l’Afrique. Les auteurs du rapport, l’historienne de l’art française Bénédicte Savoy et l’écrivain sénégalais Felwine Sarr, ont recommandé le retour immédiat et sans condition de tous les objets culturels acquis par vol, spoliation, pillage, accaparement forcé ou acquisition inéquitable au cours de l’époque coloniale.
Depuis la publication du rapport en novembre 2018, le mouvement mondial pour la restitution de l’art s’est considérablement renforcé. Deux demandes officielles ont été déposées pour la restitution d’objets historiques et de restes humains à l’Éthiopie, au Sénégal, au Bénin et au Nigeria. Mais il y a fort à faire pour transformer les espoirs de restitution en réalité.
Le nombre d’artefacts perdus par l’Afrique est impressionnant. Le Musée Royal de l’Afrique centrale en Belgique détient actuellement 180 000 pièces de patrimoine de l’Afrique subsaharienne. Le British Museum de Londres et le Musée du Quai Branly à Paris détiennent près de 70 000 artefacts historiques africains. Cela contraste fortement avec la taille des collections des musées en Afrique. Alain Godonou, historien et conservateur du Bénin, estime que les inventaires de la plupart des musées en Afrique ne dépassent pas les 3 000 objets. Open Society Foundations, en collaboration avec nos partenaires africains et d’autres à travers le monde, s’emploient à changer cet état de choses.
Avec cette restitution, il s’agit de bien davantage que de la simple confrontation avec l’héritage violent du colonialisme – un héritage qui continue d’affecter la dynamique du pouvoir en Afrique et dans le monde. Il s’agit du soutien en faveur du travail des jeunes Africains pour transformer les récits racistes et datés sur la variété de leur héritage culturel et sur la richesse de leur histoire. Il s’agit de donner aux générations actuelles les moyens de façonner un avenir meilleur pour elles-mêmes. Il s’agit, à la base, de la restitution de sa représentation à un continent qui définit sa voie à suivre.
Patrick Gaspard, ancien ambassadeur des États-Unis en Afrique du Sud, Président d’Open Society Foundations.