C’est une heureuse coïncidence que cette journée intervienne alors que nous venons de sillonner une grande partie de la Mauritanie profonde dans le cadre de la caravane des Droits de l’Homme.
L’objectif de cette caravane, comme vous le savez, est de faire le point de la situation des Droits de l’Homme dans le pays, de voir ce qu’il y a lieu de faire pour que chaque citoyen recouvre pleinement ses droits et, particulièrement, pour que nul citoyen ne se sente délaissé ou puisse souffrir dans son être ou dans sa dignité du fait de l’agissement d’une autre personne ou de la communauté.
Le fait que la population mauritanienne soit à majorité jeune et que la traite des personnes, l’esclavage moderne et les migrations affectent, pour l’essentiel les jeunes, ajoute à l’intérêt pour nous de cette journée.
Ces questions sont au centre de la mission de la CNDH qui y consacre l’essentiel de ses efforts.
En fait, nulle institution n’est mieux placée que la CNDH pour traiter de ces thèmes en relation avec le droit et cela est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit du phénomène de l’esclavage en particulier.
Aujourd’hui, au niveau de la Commission, nous sommes en mesure de parler de la situation des droits de l’Homme dans le pays parce que nous avons parcouru la Mauritanie de long en large et nous continuons à le faire. En conséquence, nous pouvons parler de ce problème en parfaite connaissance de cause.
Durant la caravane indiquée plus haut, nous avons trouvé 12 cas avérés d’asservissement, qui nous ont été révélés par Mich’al Al Hourriya (Le Flambeau de la Liberté), qui en avait informé le procureur de la République à Néma. Cette ONG nous a remis copie du dossier que le parquet avait directement transmis à la gendarmerie nationale; elle nous a informé que le procureur et la gendarmerie ont traité ce dossier de manière positive et que des éléments de la gendarmerie ont été immédiatement dépêchés sur les lieux où les cas en question étaient signalés. Toutefois, les auteurs présumés de ces cas d’esclavage ont fui vers le Mali pour échapper aux poursuites judiciaires. D’après des témoignages fiables que nous avons recueillis sur place, de telles fuites visant à échapper à l’emprise des autorités sécuritaires et judiciaires, se produisent parfois dans cette zone. Ces mêmes témoignages nous ont fait cas de l’existence de cas réels d’esclavage dans la région frontalière, dont les auteurs présumés prennent la fuite pour trouver refuge en territoire malien, chaque fois qu’ils ont vent de poursuites engagées contre eux.
En conséquence, il est nécessaire que le gouvernement mauritanien saisisse les autorités maliennes afin de mettre en place un mécanisme légal pour l’extradition des personnes recherchées par la justice dans les deux pays. A ce sujet, la Commission Nationale des Droits de l’Homme s’engage à soumettre dans son rapport une demande en ce sens au gouvernement.
La Commission se déclare très satisfaite de sa participation en tant qu’observateur au procès des prévenus devant un tribunal spécial de la ville de Néma, où ils ont été condamnés à de lourdes peines allant jusqu’à 15 ans d’emprisonnement pour certains d’entre eux.
S’agissant de la wilaya du Guidimakha, la Commission a remarqué que ce qui s’y trouve ne relève pas de l’esclavage en tant que pratique mais découle plutôt de mentalités archaïques bien ancrées, portant sur la stratification sociale et devant être combattues par le biais de campagnes médiatiques avec la participation d’organisations des droits de l’Homme. Ces mentalités doivent disparaître dans les meilleurs délais parce qu’elles sont en porte à faux avec l’esprit de la loi, les exigences des droits de l’homme et les principes d’égalité et d’équité.
D’une manière générale, nous avons saisi l’occasion de notre tournée pour confirmer, comme dans le discours de lancement de la caravane, que « désormais, quiconque tente de maintenir un citoyen comme lui sous le joug de l’esclavage assume, seul, les conséquences de son forfait. La volonté politique de l’État mauritanien, les institutions officielles chargées des droits de l’homme et les organisations de la société civile ne tolèrent plus de laxisme devant ce phénomène infamant qui s’érige en obstacle sur la voie de l’édification de l’État de droit.
La Commission expliquera à chaque Mauritanien, à travers ses campagnes actuelle et futures, l’arsenal de lois et de conventions qui font des pratiques esclavagistes un crime contre l’humanité, dont les auteurs s’exposent à des peines sévères dont nul ne peut les protéger ».
La Commission Nationale des Droits de l’Homme ne s’arrêtera pas à mi-chemin. Au contraire, elle demeurera vigilante et s’entourera de toutes les précautions pour contribuer à nettoyer le pays de toute cette impureté.
En ce sens, la CNDH appelle chaque personne, chaque regroupement villageois et chaque institution à prendre immédiatement contact avec elle, chaque fois qu’il y a suspicion d’esclavage. La Commission veillera, dans un proche avenir, à ouvrir un numéro vert spécialement dédié aux personnes désireuses de l’informer sur tout cas d’esclavage et/ou de pratiques similaires, étant entendu qu’elle mettra tout en œuvre pour le traitement diligent de l’ensemble des questions qui lui sont soumises, avec toute la rigueur requise.
Ici, nous devons prendre à témoin l’opinion publique nationale ainsi que la communauté internationale en disant qu’à l’heure actuelle, la Mauritanie déploie des efforts sans précédent dans le domaine des droits de l’homme.
Parmi ces efforts, il y a le traitement positif des dossiers, que nous avons perçu auprès autorités administratives et sécuritaires, ce qui a constitué une agréable surprise pour toutes les parties qui composent la caravane des droits de l’homme.
Nous n’oublierons pas de préciser que, durant notre caravane, nous étions accompagnés par d’anciennes organisations des droits de l’homme telles que SOS esclaves, IRA ou l’institution du Sahel en plus de partenaires comme la coopération allemande. Et nous avons perçu auprès des représentants de toutes ces institutions et organismes de la disponibilité, de la sagesse ainsi qu’un remarquable esprit d’ouverture. Que tous trouvent ici l’expression de nos chaleureux remerciements et de notre sincère considération.
L’une des importantes conclusions auxquelles on a abouti est peut-être que ces opérations se déroulent désormais dans une merveilleuse harmonie entre toutes les parties.
Ainsi, ces opérations ne donnent-elles plus lieu à l’interminable conflit habituel entre l’État et ses organes, d’une part et les organisations et leurs militants, d’autre part, ce qui a toujours porté préjudice à l’action et aux performances en matière de droits de l’homme. Les opérations de cette sorte sont plutôt devenues un modèle de consensus qui rassemble et oriente toutes les parties vers un même objectif, celui de la mise en œuvre d’une action positive qui accélérera le rythme de la promotion et de la protection des droits de l’homme en Mauritanie.
S’agissant de l’idée que se fait la communauté internationale sur l’esclavage en Mauritanie, il y a lieu de dire qu’elle n’est guère exacte. Elle est entachée d’exagération évidente au vu des conclusions auxquelles a abouti la caravane et des témoignages crédibles que nous avons recueillis. Ainsi, et contrairement à ce que pense la communauté internationale, et à des informations inexactes largement répandues en ce sens, il n’y a absolument aucun marché pour la traite des esclaves en Mauritanie.
Contrairement à ce qui est propagé, il n’y a pas d’esclaves dans toutes les rues et ruelles, il n’y a pas d’esclaves enchaînés aux mains et aux pieds et contraints au travail forcé.
C’est une scandaleuse exagération qu’il est temps de dépasser pour servir la vérité et trouver à ce dossier une solution qui soit basée la sincérité et le dévouement.
Toutefois, cela ne signifie pas que l’esclavage n’existe pas en Mauritanie car les décisions judiciaires rendues de temps à autre confirment son existence de même que les cas signalés périodiquement par les organisations. Mais il s’agit-là de cas isolés, dissimulés et timides que l’on rencontre parfois dans des milieux ruraux éloignés.
L’opinion conséquente est celle qui considère que l’existence d’un seul Mauritanien privé de liberté du fait de l’esclavage revient à conclure que ce phénomène existe et se poursuivra jusqu’à la libération de ce citoyen.
La Commission Nationale des Droits de l’Homme, avec le soutien des pouvoirs publics, poursuivra son action pour éliminer les derniers cas d’esclavage là où ils existent à travers le pays.
La communauté internationale doit l’aider dans cette œuvre et doit en être témoin. Elle doit aussi et surtout réviser les informations tronquées dont elle dispose à ce sujet et qui font cas de la présence de milliers d’esclaves et de dizaines de marchés d’esclaves disséminés à l’intérieur du pays.
En plus d’être inexacte dans l’absolu, cette thèse-là est également porteuse d’une injustice criante à l’endroit du pays.
Aujourd’hui, la communauté internationale a le devoir de soutenir la nouvelle dynamique où toutes les parties collaborent, la main dans la main, pour éliminer, une fois pour toutes, l’esclavage en Mauritanie, sans déni de ce phénomène de la part des uns mais aussi sans exagération outre mesure de la part des autres.
Nul ne doute aujourd’hui que l’État mauritanien dispose d’un arsenal juridique complet pour réprimer l’esclavage. Par conséquent, les reproches exprimés par les ONG de droit envers l’État ne concernent pas les lois, elles-mêmes, mais plutôt ce que les associations perçoivent comme étant un manque d’enthousiasme pour les appliquer.
Et si tel était le véritable reproche, il y a lieu aujourd’hui de louer la disponibilité des juges, de l’Administration et de la gendarmerie de traiter convenablement toute question liée à l’esclavage. Tout en prenant acte de cette évolution significative nous encourageons toutes ces parties à aller de l’avant sur la voie de l’éradication complète du phénomène infamant de l’esclavage et au-delà de toutes les formes d’exploitation de l’homme par l’homme par le biais de la traite des personne et/ou de l’esclavage moderne qui sont répandus à travers le monde entier, de la précarité que vivent certains, de leur pauvreté, de leur ignorance et de leur vulnérabilité aidant.
Nous devons rappeler à ce propos que la France a créé une commission ministérielle chargée de la traite des êtres humains et que les tribunaux français examinent chaque année, de nombreux cas relevant de cet aspect.
Un parlementaire américain qui effectuait récemment une visite en Mauritanie m’a déclaré au cours de notre conversation: « je ne sais pas si les Etats unis peuvent donner des leçons dans le domaine de la traite des personnes et de l’esclavage moderne».
Le Sénégal voisin ne peut non plus prétendre donner de leçons dans ce domaine parce que Humain RightsWatch vient de publier en 2019 un rapport où elle a souligné que cent mille (100.000) enfants sénégalais sont exploités par leurs enseignants dans les écoles traditionnelles et laissés à la merci de la drogue et de la rue.
Ce sont des problèmes sui rongent le monde entier qui les a traités à travers des lois sous diverses appellations: exploitation de l’homme, traite des personnes, esclavage moderne etc. La Mauritanie, à l’instar des autres pays du monde, a entamé la révision des lois en relation avec ce thème.
Enfin, la Commission Nationale des Droits de l’Homme, en vertu de sa mission constitutionnelle, est fermement décidée à aller de l’avant dans l’œuvre de promotion et de protection des droits de l’homme dans le pays. Elle se réjouit de trouver appui et soutien de la part du gouvernement, de la société civile et de la communauté internationale afin qu’ensemble nous puissions tourner à jamais cette sombre page car le progrès, le développement et la sécurité sont des questions intimement liées aux droits de l’Homme et aux questions qui s’y rapportent comme celles rencontrées dans nombre de localités à travers le pays et qui affectent parfois les êtres humains dans leur dignité. Il s’agit, entre autres, des problèmes de santé, d’éducation, de l’approvisionnement en eau, de l’état civil et souvent de l’accès aux émissions de la radio et de télévision.
Des problèmes de ce genre nous en avons rencontrés dans nombre de localités dont Zraviate, EmmateLe’Karich, Choubaa, Oum Sfeya, Medbougou, Ettewfigh, Oudey Ehel Cheyhib, Blajmil, Daghvèg, El Ghabra, Saddate, Bassenguiddi, Djelwar, El Varr, Samba Gandi, Tachoot, Ndjadjbenni, Lembeydii, Edebay ehel Salem, Edebay Ehel Guelaye, Ntekane, Elleguate et El Bezzoul.
La CNDH fera cas de tous ces problèmes dans un rapport qu’elle adressera aux plus hautes autorités.
En effet, un pays qui s’attend à un accroissement considérable de ses richesses, qui vit une ouverture sans précédent, doit veiller à promouvoir les droits de l’Homme, consolider son unité, s’orienter vers davantage de développement, vers une répartition équitable de ses richesses, vers la fraternité et vers la tolérance pour que nous puissions bâtir une nation jouissant de la prospérité et de la stabilité.
Me Ahmed Salem BOUHOUBEYNI
Source : CNDH