Le chef de l’Etat a succédé, le 1er août, à Mohamed Ould Abdelaziz (2009-2019), auprès duquel il assura les fonctions de chef d’état-major de l’armée puis de ministre de la défense.
Des tensions sont apparues dernièrement entre ces deux hommes issus du creuset sécuritaire mauritanien. M. Ghazouani minimise la portée de cette crise.
Partagez-vous les inquiétudes des pays d’Afrique de l’Ouest qui craignent d’être touchés à leur tour par les groupes armés actifs au Sahel ?
La situation n’est pas bonne du tout. Beaucoup d’efforts sont faits par la communauté internationale et par les pays de la région. Mais j’en reviens toujours à la même chose. Je pense que la force conjointe du G5 Sahel [Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso, Tchad] n’a pas eu ce qu’elle mérite ni ce qui lui avait été promis.
Non pas qu’il n’y a pas eu de financements, notamment de la part des pays membres du G5 qui ont financé sur leurs ressources propres les premiers équipements. Nous avons commencé à recevoir du matériel plus spécifique grâce aux aides internationales en provenance de l’Union européenne, de la France, des Etats-Unis, des pays du Golfe… Mais le problème, c’est que le rythme ne nous permet pas de faire face à la situation. Très souvent, les procédures retardent le processus.
Avez-vous été surpris par les déclarations du ministre français des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, demandant aux autorités maliennes et burkinabées « plus d’action politique et plus de pression politique » ?
Sans chercher à rentrer dans cette question, partout et depuis toujours, la guerre ne se conduit pas sans politique. Les gens de la région sont conscients de la situation et je ne peux pas imaginer qu’ils ne consentent pas d’efforts.
Mais ils semblent impuissants à enrayer les violences…
Ils vont y arriver. Nous, les Mauritaniens, étions dans la même situation il n’y a pas si longtemps. Face à ce genre de menaces, il faut être suffisamment préparé. Et pour le moment, ce n’est pas bon. Mais cela ne veut pas dire que c’est définitif. D’une certaine façon, une bataille a été perdue mais il y a encore du temps pour se réorganiser et prendre les mesures nécessaires. Il faut de la volonté, cela se crée, et ça commence par de la volonté politique.
Est-ce que les difficultés actuelles signent la mort du G5 Sahel ?
J’ai entendu dire ça. Personne n’a intérêt à revenir en arrière alors qu’une dynamique a été créée. Le G5 est un regroupement [d’armées sahéliennes] qui réussit bien. Si on fait le bilan, malgré ses difficultés et au regard de sa jeunesse, ce n’est pas mal du tout. Personnellement, je n’ai aucun doute sur l’efficacité du G5. Le temps n’est pas au beau fixe, mais si on comparait le G5 à d’autres [forces conjointes], on ne le trouverait pas en deçà de leur niveau.
On assiste, au Mali et au Burkina Faso, à une remise en cause de la présence militaire française. Est-ce que les militaires de « Barkhane » doivent partir ?
Je ne peux pas me permettre de donner des leçons à la France. Ce n’est pas mon rôle de dire si « Barkhane » doit partir ou rester.
Lors d’un discours prononcé mi-novembre dans le cadre d’un forum sur la sécurité à Dakar, vous avez regretté le niveau exorbitant des dépenses consacrées par les pays du Sahel à la sécurité. Entendez-vous réduire le budget de la défense au profit du social ?
J’ai dit cela pour attirer l’attention de la communauté internationale sur la situation des pays du Sahel qui dépensent beaucoup d’argent pour ce secteur. En temps normal, l’accent serait mis sur le social. Mais sachant que l’on ne peut pas faire de développement sans une situation de sécurité convenable, pour ce qui nous concerne, nous n’allons pas diminuer le budget consacré à notre sécurité.
Depuis votre élection, vous-même insistez sur le volet social de votre politique, pourquoi ?
C’est peu dire que c’est important ! Il y a des efforts à consentir par tous pour pouvoir améliorer la situation socio-économique des Mauritaniens. Nous devons poursuivre un travail déjà entamé. Il y a énormément de défis à relever. Nous ne pouvons pas être sur tous les fronts mais je compte ouvrir le plus de chantiers possible : l’école, l’emploi, la santé, l’accès à l’eau…
Sur le fond, en quoi vous différenciez-vous de votre prédécesseur, Mohamed Ould Abdelaziz (2009-2019) ?
Nous ne devons pas nous limiter à cette recherche de la différence par rapport à mon prédécesseur, qui est mon frère, mon ami, avec lequel j’ai fait beaucoup de choses depuis une quinzaine d’années. J’essaie de faire ce qui me semble bon. L’intérêt pour le pays consiste à faire œuvre d’ouverture en direction de l’opposition. Je suis convaincu que cela me permettra de bien travailler si le climat est apaisé. Je n’appelle pas l’opposition à s’allier avec moi ou à constituer une partie de ma majorité. Nous formons deux camps politiques différents.
Que répondez-vous à l’opposition qui demande un « dialogue inclusif » réunissant tous les partis politiques afin de « résoudre la crise politique » ?
Cela a été demandé avant et après mon élection. Ce n’est pas opportun. On se parle, on se rencontre, ils peuvent faire des propositions… Mais nous ne sommes pas dans une situation qui nécessite un dialogue inclusif. Cette notion sous-entend un climat politique plus tendu qui ne l’est actuellement.
Que voulez-vous dire alors en parlant « d’ouverture » ?
Il s’agit de faire comprendre à l’opposition que le climat est plus propice au dialogue. Je crois que cet objectif est à peu près atteint. Par la suite, nous pourrons définir une autre forme d’ouverture. Mais l’opposition doit rester l’opposition.
L’absence de votre prédécesseur aux cérémonies du 59e anniversaire de l’indépendance, le 28 novembre, n’est pas passée inaperçue… Est-ce le signe d’un divorce entre vous ?
Certains pensent qu’il existe un fossé profond entre l’ancien président Abdelaziz et moi. Je ne lui donne pas cette ampleur. Je ne cache pas qu’il existe un décalage entre nos visions et nos appréciations d’une situation donnée mais je pense que c’est l’environnement politique qui lui a donné plus d’importance qu’elle n’en a réellement. Elle a été amplifiée par tous les Mauritaniens, sauf moi, et cela va être résolu. Je n’épargne pas mes efforts pour calmer tout ça.
Cet épisode est-il clos ?
Je ne sais pas. Je sais qu’il va devoir se terminer et j’espère bien qu’il se terminera d’une façon qui convient à tout le monde.
Certains ont fait le lien entre les tensions supposées entre vous deux et le limogeage du chef du Groupement sécurité présidentielle considéré comme proche de l’ex-président ?
Cela n’a rien à voir et ce n’est pas très important. Il y a eu un changement à la tête du Groupement de sécurité présidentielle [ex-Basep] mais il n’y a pas de lien. Quelqu’un qui arrive à un poste aussi sensible que le mien doit pouvoir modeler sa sécurité. J’aurais dû faire ça avant. C’est assez banal. Il y a toutes sortes de rumeurs sur des arrestations de militaires, d’interrogatoires, de mises en résidence surveillée… Cela n’existe pas. Ce sont des fausses rumeurs.
Propos recueillis par Christophe Châtelot
Tiré de LeMonde.fr