Le célèbre dicton africain « il n’y a pas de place pour deux crocodiles mâles dans le même marigot » peut être appliqué à la situation qui prévaut actuellement en Mauritanie. Le retour au pays le 17 novembre de l’ancien chef d’état, Mohamed Ould Abdel Aziz rend plus délicate la politique de réconciliation nationale menée par son successeur, le président Ghazouani.
Après plus de trois mois d’absence, l’ancien président est rentré, en catimini, à Nouakchott. Ce n’est pas vraiment une surprise. Mohamed Ould Abdel Aziz revient à la suite d’une pérégrination qui l’a amené de Dubaï à l’Europe, notamment au Royaume-Uni, où il s’est familiarisé avec la langue de Shakespeare, afin d’envisager une carrière internationale, dans le cadre de l’ONU ou de l’Union africaine où il a de nombreuses relations.
Un retour qui dérange
Alors que les Mauritaniens ont encore à l’esprit le bilan, plus que contrasté, de l’ancien chef de l’Etat (2008-2019), le microcosme politique nouakchottois s’est de nouveau enflammé, en raison d’une réunion politique du comité directeur du parti présidentiel, l’Union pour la République (UPR) qui porte encore l’empreinte de l’ancien président, qui n’a quitté le pouvoir que le 1er août 2019.
La réunion du mercredi du novembre 2019 n’est pas anodine. Le comité directeur de l’UPR s’est en effet réuni sous la présidence effective de Mohamed ould Abdel Aziz. Alors que d’aucuns pensaient que l’ancien chef de l’Etat s’était imposé une longue période de retrait de la politique, le « revenant » a créé la surprise voire l’inquiétude.
Peut-on qualifier cette réunion nocturne de « conspiration » comme certains leaders politiques le prétendent ? Sans doute pas.
Mohamed Ould Abdel Aziz s’est néanmoins départi de la réserve que l’on pouvait attendre de lui, d’autant que plusieurs ministres et anciens compagnons de route avaient assisté à ces retrouvailles. Parmi ceux-ci, le ministre du pétrole, de l’énergie et des mines, très proche de Mohamed Ould Abdel Aziz et dont la gestion sous son mentor, faisait l’objet de fortes accusations.
Ce ministre a dû présenter ses excuses au nouveau chef de l’Etat. Sa situation au sein de l’actuel gouvernement est désormais fragilisée, car sa loyauté a été prise en défaut.
Le ver est dans le fruit
Avec cette réunion du comité directeur de l’UPC, il n’en fallait pas plus pour imaginer un quasi crime de lèse-majesté. Mohamed Ould Ghazouani pourrait prendre ombrage de l’initiative de son ami « de 40 ans » et constater que l’ancien raïs a toujours une emprise sur les cadres de l’UPC.
Après seulement un peu plus de cent jours de gouvernance du président Ghazouani, l’UPC apparaît de plus en plus facturée entre les nostalgiques de l’ère Aziz et ceux qui veulent se ranger aux côtés du nouveau chef de l’Etat pour soutenir son programme présidentiel.
Comme toujours, la camarilla de l’ancien Prince ne peut se satisfaire de son remplacement par la camarilla du nouveau Prince. Les propos apaisants de Mohamed Abdel Aziz et la retenue de Mohamed Ould Ghazouani, notamment dans son intervention remarquée, du 22 novembre 2019, sont les bienvenus.
Alors que de nombreux signaux indiquent une indiscutable embellie du climat politique, la concertation avec les oppositions est à l’ordre du jour, même si les attentes restent toujours à l’agenda, comme Sidi Mohamed Ould Boubacar, le challenger de Ghazouani aux élections présidentielles, vient de le rappeler.
Une pause, pour combien de temps?
La crispation est néanmoins bien réelle entre les partisans des deux camps de l’UPC. Le groupe parlementaire de l’UPC (88 députés sur les 102 députés de l’Assemblée nationale) est favorable à l’actuel chef d’Etat. Ce groupe parlementaire a érigé un contre-feu le samedi 23 novembre 2019, en proclamant son soutien à Mohamed Ould Ghazouani.
Les caciques de l’ancien président n’en ont pas pour autant abandonné leur fronde contre le successeur de leur leader. Au sein de l’UPC, plusieurs fédérations sont également favorables au retour en politique de Mohamed Ould Abdel Aziz.
L’Histoire nous rappelle que l’exercice du pouvoir a ses exigences et que les succès en politique ne reposent guère sur l’amitié et la reconnaissance.
Le président Ghazouani et son prédécesseur ont sans doute à l’esprit le scénario camerounais qui avait opposé Ahmadou Ahidjo à son protégé Paul Biya, les déboires de l’ex-président angolais, Eduardo Dos Santos et de sa famille avec son dauphin et successeur Joao Lourenço, les démêlés au sein de l’ANC entre Jacob Zuma et son tombeur Cyril Ramaphosa ou encore la mise sur la touche d’ Abdoulaye Wade par Macky Sall qui fut son dévoué et effacé premier ministre.
Aujourd’hui en Mauritanie, un Tour de passe-passe, comme celui entre Poutine et Medvedev, n’est plus dans l’air du temps.
Une fête nationale scrutée de près
La célébration du 59ème anniversaire de l’indépendance aura lieu le jeudi 28 novembre 2019. Cette année les festivités nationales se dérouleront à Akjoujt, chef-lieu de l’Inchiri mais aussi le lieu de naissance de Mohamed Ould Abdel Aziz et fief de sa tribu, les Ouled Bousbaa.
Il va de soi que l’ancien chef de l’Etat ne voulait pas manquer ce rendez-vous avec l’Histoire, tout en pensant probablement à dépasser le présent pour se projeter dans le futur…
Source : Mondafrique