Dans une grande interview exclusive, la première du genre depuis son arrivée en Mauritanie, SEM Robert Moulié diplomate de carrière, sortant de la prestigieuse ENA -Promotion « Réné Char », répond sans détours à des questions quelquefois difficiles de L’Eveil Hebdo.
Ainsi, Son Excellence explique son silence, aborde les relations entre la France et notre pays, regimbe quand on juge que le G5 «fait du surplace», évoque la situation des droits humains et donne son point de vue sur les difficultés pour l’obtention du visa pour les mauritaniens.
Enfin ce diplomate, qui connaît parfaitement l’Afrique, et qui a servi successivement au Quai d’Orsay, à la Banque mondiale et à l’Agence Française de Développement, livre ses impressions générales sur la Mauritanie.
Excellence, avant de commencer, permettez-moi de vous remercier pour avoir accepté pour la première fois, depuis votre arrivée en Mauritanie, d’accorder un entretien à un journal, malgré les nombreuses sollicitations dont vous avez fait l’objet. Excellence, peut-on savoir pourquoi vous avez observé ce silence ?
C’est très simple. Je voulais d’abord mieux connaître et comprendre le pays avant de m’exprimer. La Mauritanie est un pays au carrefour du monde arabe et de l’Afrique, elle est complexe et multiculturelle et il me semblait nécessaire de mieux connaître et comprendre ce pays aux mille facettes et ses habitants avant de m’exprimer. Par ailleurs, en tant que diplomate étranger accrédité dans ce pays, la situation pré-électorale n’était pas une période favorable pour s’exprimer sur les enjeux et il est plutôt d’usage de faire preuve de réserve dans ce type de situation. Aujourd’hui, il me semble au contraire souhaitable d’aller à la rencontre des Mauritaniens, sur le terrain (j’ai récemment entamé une série de déplacements en province) mais aussi grâce à la presse, afin de mieux faire connaissance.
2) A l’occasion de la dernière élection présidentielle dans notre pays, la France a été parmi les premiers pays à reconnaître le nouveau Président élu. Pourtant, paradoxalement, à l’investiture du Président GHAZWANI votre niveau de représentation a été jugé assez faible par certains observateurs – un député en l’occurrence. Quel commentaire faites-vous à ce sujet ?
Je rappelle que le chef de la délégation française lors de l’investiture du Président Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani était un député, élu de la nation donc, président en exercice de la Commission de la défense nationale et des forces armées à l’Assemblée nationale française. Dans un courrier de félicitations adressé au président élu El Ghazouani le 20 juillet 2019, le Président de la République française lui a indiqué qu’il ne pourrait se rendre disponible pour l’investiture. Il a alors chargé M. Bridey de le représenter lors de cette cérémonie. M. Bridey était porteur d’un message personnel du Président français et a été reçu dans l’après-midi même qui a suivi l’investiture pour le délivrer. Je voudrais également rappeler qu’auparavant, peu après la publication des résultats définitifs, le 9 juillet 2019, le ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian s’était entretenu avec le Président élu El Ghazouani. Cet entretien a été suivi, dans le courant du mois de juillet, d’un échange téléphonique avec le Président Macron. Je pense que ces échanges ont démontré la proximité des autorités françaises avec les nouvelles autorités de la Mauritanie et l’excellence de la relation entre nos deux pays, ce dont je me félicite. Lors du forum de Dakar, le Président El Ghazouani a reçu en audience le Premier ministre français, M. Edouard Philippe, aux côtés de notre ministre de l’Europe et des Affaires étrangères et de notre ministre des Armées. Je peux vous l’affirmer, la relation entre nos plus hautes autorités est empreinte d’estime et de confiance.
3) Que pensez-vous de la situation des Droits Humains dans notre pays ?
Les droits de l’homme sont une thématique au cœur des valeurs et de l’action extérieure de la France. En Mauritanie comme en France ou ailleurs dans le monde, les droits de l’homme ne sont jamais un acquis que l’on peut considérer comme définitif. Ils définissent un idéal qui doit inspirer des efforts perpétuels de la part des autorités, dans un dialogue exigeant et responsable avec la société civile, afin de rechercher une cohésion durable de la société.
La situation des droits de l’homme en Mauritanie mérite d’être appréhendée sans détours mais avec discernement. Il importe de bien comprendre et mesurer les réalités objectives dans le pays et dans la région. Nous avons été très attentifs aux engagements pris par les différents candidats à l’élection présidentielle. Le programme du Président Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani a été très clair à ce sujet dans le chapitre de son programme « une société fière de sa diversité et réconciliée avec elle-même ». Il y a notamment évoqué une « Mauritanie riche de sa diversité culturelle, déterminée à dépasser les survivances de traditions et coutumes ancestrales dont certaines sont en contradiction avec les progrès universels en matière de droits humains ». Il a pris l’engagement de mener une « action d’envergure pour éradiquer définitivement les séquelles de l’esclavage, panser les plaies laissées par le passif humanitaire et résorber toutes formes de disparités issues de discriminations sociales ». En cohérence avec ce programme, le discours de politique générale du Premier ministre a été lui aussi très précis sur ces sujets. Je me range clairement aux côtés de ces observateurs de la vie politique mauritanienne, à l’intérieur du pays comme parmi les chancelleries étrangères, qui considèrent qu’au-delà des mots, les actes récents des autorités dans ce domaine sont très encourageants.
A travers plusieurs de nos programmes, comme le programme « Justice » de l’Agence française de développement ou encore le programme « Fajr », en soutien à l’expression et la participation de la jeunesse, nous travaillons sur ces questions en étroite concertation avec les autorités mauritaniennes, avec la société civile mauritanienne mais aussi les partenaires de la Mauritanie. Parmi ces acteurs, en particulier, je salue les efforts de la Commission nationale des droits de l’homme et de son dynamique président, Maître Bouhoubeyni. Je me félicite également de l’action constructive du bureau du Haut-commissariat des Nations unies pour les droits de l’homme en Mauritanie.
4) Brièvement, à quel niveau se situe aujourd’hui la coopération entre nos deux pays ?
Le lien qui unit la Mauritanie et la France est très ancien et très profond, je le mesure et m’en réjouis tous les jours. Avec ce pays qui s’est donné les moyens de la stabilité dans une région fragile, nous bénéficions d’une relation marquée par l’amitié et la confiance. A tous ces égards, la Mauritanie est pour nous un partenaire important, dans le cadre d’une relation bilatérale excellente. Nous nous tenons aux côtés de la Mauritanie pour l’accompagner dans sa volonté de se moderniser, de progresser dans les domaines de la gouvernance, des droits humains, des services sociaux de base. S’il est un domaine en particulier dans lequel nous sommes désireux de mettre à disposition notre expertise et notre appui, c’est celui de l’éducation et de la formation professionnelle afin de favoriser l’emploi, en particulier des jeunes. Les outils de notre coopération s’exercent en particulier dans ces secteurs prioritaires, qui sont au cœur du programme et des premières décisions du président El Ghazouani.
5) Dans le même ordre d’idées, le G5 peine à faire face au terrorisme islamique. Mieux, on a l’impression que cette organisation fait du sur place. La France n’a-t-elle pas une responsabilité face à cette situation ?
Je crois que la région est littéralement attaquée par des groupes extrémistes, acteurs d’une violence transnationale qui justifie son action déstabilisatrice par une référence religieuse très contestable et contestée. La réalité brutale à laquelle nous sommes tous confrontés, c’est que partout où les Etats ne sont pas parvenus à affermir localement leur présence ni à démontrer qu’ils étaient au service des citoyens, ces groupes s’allient aux organisations criminelles locales et instrumentalisent les tensions communautaires pour terroriser les populations civiles et pousser leur avantage sans la moindre pitié.
Face à cette menace multiforme, cinq pays sahéliens ont décidé d’unir leurs efforts, ce qui est pour nous une façon intelligente et clairvoyante de relever des défis partagés : le Sahel se caractérise par l’immensité de territoires désertiques et des frontières qui les séparent, où l’action des Etats pour garantir aux populations la couverture de leurs besoins de base, à commencer par la sécurité et la justice, est par construction plus difficile qu’ailleurs. Lorsqu’on mesure l’ampleur de ces défis et les efforts menés par le G5 et ses partenaires pour y faire face, on se rend compte que dire que l’organisation fait du surplace est un jugement sévère, voire injuste.
Bien sûr, pour vous répondre, la France se sent en responsabilité d’accompagner le G5 dans ses efforts pour rétablir la paix, la sécurité et stimuler le développement dans la région. Elle s’y emploie sans relâche depuis le début, en cohérence avec les responsabilités qui sont les siennes en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, en tant que pays de l’espace euro-méditerranéen voisin du Sahel, et en tant que l’un des principaux bailleurs de l’aide que reçoit le Sahel.
La période actuelle est tout à fait charnière à cet égard. Les opérations en cours de la Force conjointe du G5 Sahel ont produit des résultats encourageants. Là où la situation sécuritaire le permet, comme dans le Hodh El-Chargui où je me suis tout récemment rendu en visite, les projets de développement initiés par le G5 et ses partenaires de l’Alliance Sahel commencent à porter leurs fruits, pour le bénéfice le plus concret des populations. Dans ce contexte, la Mauritanie qui a été précurseur de l’organisation et promoteur d’une vision globale de la réponse au phénomène terroriste, bien au-delà de la seule réponse sécuritaire, prendra en février 2020 la présidence du G5 Sahel. La France a dit aux autorités mauritaniennes tout l’espoir qu’elle forme de voir cette présidence mauritanienne se traduire par de nouveaux progrès significatifs pour l’organisation, sur tous les fronts : celui de la sécurité et celui du développement.
6) Beaucoup de Mauritaniens se plaignent des difficultés liées à l’obtention du visa pour la France. Malgré les craintes de durcissement liées au débat sur la politique d’immigration en France, est-il possible d’envisager des mesures pour l’allègement des conditions et des procédures de délivrance de ce «sésame», notamment pour les étudiants ?
Vous posez deux questions, l’une concerne le visa Schengen qui est un visa de court séjour régie par les Accords de Schengen entrés en vigueur en 1994. Ce visa concerne l’accès à 27 pays qui partagent donc un seul et unique corps de règles. Il n’y a pas de durcissement en matière de délivrance des visas de court séjour. Les règles de délivrance sont les mêmes pour tous les partenaires et, ce depuis 1994. Par contre, il suffit que l’un des partenaires exige davantage de contrôles sécuritaires pour telle ou telle nationalité pour que la règle s’impose à tous. L’allègement de la liste des pièces à fournir doit donc être décidé par tous les signataires de l’accord, à l’unanimité. En ce qui concerne les Mauritaniens, les conditions à remplir pour obtenir un visa sont donc strictement identiques aux autre nationalités soumises à visas et ce, quelle que soit l’ambassade à laquelle il s’adresse.
Pour ce qui est du visa étudiant, c’est un visa national, régi par conséquent par un cadre réglementaire national. Le cadre est également contraignant car il comporte deux aspects : le caractère pédagogique qui prend en compte le projet d’études de l’étudiant et le cadre financier qui analyse les moyens dont dispose cet étudiant pour entamer ses études en France dans de bonnes conditions. Ces deux conditions doivent être remplies pour permettre la délivrance d’un visa étudiant. J’invite vos lecteurs à consulter le site France Visas ou le site de l’ambassade sur la nature des pièces à fournir. Je vous confirme que, dans son discours de Ouagadougou, le Président Macron a annoncé son souhait d’accueillir davantage d’étudiants étrangers. Campus France est, de ce point de vue, le point d’entrée idéal pour tout étudiant qui souhaite construire un projet étudiant d’orientation vers la France. Je signale d’ailleurs que la campagne de communication « Bienvenue en France » vient d’être lancée. Plus un projet est préparé à l’avance et plus il a de chances d’aboutir.
D’une manière générale, je saisis l’occasion de cet entretien pour attirer l’attention des lecteurs de l’Eveil Hebdo sur le point suivant. Quelle que soit la nature du visa demandé, il est important de s’y prendre à l’avance, d’anticiper des délais incompressibles de prise de rendez-vous et d’instruction, et de se conformer le plus strictement aux indications relatives à la composition du dossier à fournir. Ne pas se conformer à ces impératifs, sauf circonstance exceptionnelle, c’est prendre le risque de se voir refuser le visa ou de se le voir délivrer en dehors du délai espéré. Parallèlement, nous continuons de faire nos meilleurs efforts pour améliorer les conditions d’accueil des demandeurs de visa.
7) Excellence, pour finir, quelles sont vos impressions générales sur la Mauritanie depuis votre arrivée dans notre pays, il y a presque une année ? Les bonnes et les moins bonnes ?
La Mauritanie est un pays qui gagne énormément à être connu. Un an après mon arrivée, je comprends la fascination que ce pays et son peuple ont exercée sur nombre de nos éminentes figures intellectuelles (pour n’en citer que trois : Odette de Puigaudeau, Saint-Exupéry ou Théodore Monod) comme sur les milliers de mes compatriotes qui viennent en tourisme chaque année.
Parmi les choses que j’observe et qui me préoccupent, il y a ce phénomène commun à toutes les villes du monde et lié à notre âge industriel, celui de l’accumulation des déchets. En Mauritanie, il peut parfois prendre des proportions considérables, même dans les villes de province, avec des conséquences néfastes pour l’environnement et, surtout, pour la qualité de vie des populations et leur santé. A mon humble niveau, j’essaie de limiter la consommation de plastique à mon échelle personnelle et au sein de l’ambassade, dont j’essaie d’améliorer la propreté. J’ai constaté avec bonheur que les autorités avaient pris des mesures radicales au mois d’août 2019 à l’encontre de ce phénomène dans les grandes villes, avec des opérations « coup de poing » qui ont été salutaires et largement appréciées par l’ensemble des habitants. Je crois que des solutions plus durables sont à l’étude et c’est une bonne chose.
Du côté des très bonnes impressions, je retiens l’intelligence et la finesse d’esprit de mes interlocuteurs, cette façon retenue et subtile de dire les choses, en toute sérénité et souvent avec un humour bienvenu. Les Mauritaniens gagneraient à mieux faire connaître à l’étranger ce caractère fier, sympathique et sage que je trouve très répandu quelles que soient les régions et les communautés. J’ai beaucoup d’espoir dans la trajectoire que prend ce pays et je suis particulièrement heureux d’y servir le mien à cette période de leur histoire commune.
Propos recueillis par SMB
Source : Éveil Hebdo (Mauritanie)