“EN MAURITANIE, L’ETAT EST COMPLICE DE L’ESCLAVAGE”, MOHAMED OULD CIRÉ, ANCIEN DIPLOMATE

Mohamed Yahya Ould Ciré est un militant anti esclavagiste, diplomate de carrière. Ancien consul général en Guinée-Bissau de 1992 à 1998, il est contraint de s’exiler en France pour s’être opposé aux pratiques esclavagistes dans ce pays. Dans un ouvrage paru aux éditions l’Harmattan, « la Mauritanie, entre l’esclavage et le racisme », il livre une enquête détaillée sur l’asservissement des « négro-mauritaniens » et des « haratines », les descendants d’esclaves, par les communautés maures. A travers ses expériences personnelles dans les coulisses de l’Etat mauritanien, il décrit notamment comment le pouvoir perpétue ces inégalités.

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D’origine « haratine », du nom des descendants d’esclaves noirs que les Maures avaient arabisés pour les assimiler à leur communauté, Mohamed Yahya Ould Ciré est l’un des pioniers de la lutte anti esclavagiste en Mauritanie. Avec d’autres militants, il fonde, en 1974, le mouvement « El Hor » qui lutte pour l’abolition de l’escalavage.

Diplomate de carrière, Mohamed Yahya Ould Ciré est rapidement confronté aux dérives racistes de l’Etat, largement contrôlé par les communautés arabo-berbères. Au milieu des années 1990, alors qu’il est consul général de Mauritanie en Guinée-Bissau, il tente de s’opposer à la pratique de l’esclavage par la communauté Maure dans ce pays. « Nombre d’entre eux travaillaient dans le commerce de détail et utilisaient des esclaves noirs pour les tâches matérielles » se souvient-il. Rapidement, sa hiérarchie dresse un mur devant lui. Le ministère des affaires étrangères mauritanien et la présidence le somment de cesser ses activités. Contraint à l’exil en 1998, il gagne la France où il fonde l’association des haratines de Mauritanie en Europe (A.M.H.E) pour attirer l’attention des politiques français sur le problème de l’esclavage dans son pays.

Bien qu’aboli en 1981 et pénalisé depuis 2007, l’esclavage demeure, en effet, très répandu en Mauritanie. Les tensions ethniques qui minent encore en profondeur la société mauritanienne ont par ailleurs généré l’un des épisodes les plus sombres de l’histoire du pays. Lorsqu’un conflit violent, à résonance ethnique, éclata entre le Sénégal et la Mauritanie en 1989, les élites maures profitèrent des troubles pour lancer en Mauritanie, une épuration ethnique sans précédent. La police, aidée par les milices massacra des centaines de noirs, tout en en déportant soixante mille autres vers le Sénégal et le Mali. Ces évènements ont eu lieu sous le régime du dictateur Maaouiya Ould Taya qui a dirigé le pays pendant treize ans. Depuis, l’esclavage et le racisme restent bien présents en Mauritanie. Le pays continue d’ailleurs à caracoler en têten des classements des pays les plus escalavagistes au monde.

Pour Mohamed Yahya Ould Ciré, l’arrivée du président Aziz au pouvoir en 2009 n’a apporté que des mesures cosmétiques contre ce fléau. « Les réfugiés mauritaniens revenus du Sénégal vivent dans la misère et il existe encore de nombreux esclaves. » Côté français, les autorités se sont toujours montrées discrètes sur le thème de l’escalavage. « La France a tout intérêt à garder de bonnes relations avec le pouvoir car la Mauritanie constitue un important allié francophone dans la sous-région et lors des votes aux Nations Unies. », explique Mohamed Ould Ciré. « C’est également un pays prisé pour ses ressources halieutiques et minières. L’arrivée d’Aziz au pouvoir avec l’aval de la France a permis de juguler l’afflux de migrants subsahariens en partance pour l’Europe depuis les côtes du nord du pays. Enfin Aziz est aujourd’hui considéré comme un allié important dans la lutte contre le terrorisme au Sahel. » La lutte contre l’escalavage et les discriminations, jusqu’au coeur de l’Etat, attendra donc encore un peu.

Mondafrique publie ici quelques extraits du livre de Mohamed Yahya Ould Ciré, « La Mauritanie, entre l’esclavage et le racisme ».

Extrait numéro un :

« La haute administration mauritanienne est occupée par les esclavagistes. Le système de contrôle des Haratine, dans les structures administratives et étatiques, est conçu et pratiqué par l’État. Exemple : j’ai été nommé, par le décret du 12 août 1992, consul général de Mauritanie en Guinée-Bissau. Une semaine après, j’ai été convoqué à la présidence pour un entretien avec le chef de l’État. Après les salutations d’usage, le chef de l’État nous dit ceci : « J’ai devant moi votre dossier. En matière de diplômes, vous êtes diplômé et vous êtes bien noté par le ministre des Affaires étrangères. Mais ceci n’est pas le plus important. Est- ce que vous parlez l’arabe ? » Ma réponse fut : je suis francisant, donc j’ai suivi l’enseignement en français. En 1958, date de mon entrée à l’école primaire, le français était la langue principale dans l’école moderne. Mais j’ai toujours eu l’arabe comme première langue. J’ai obtenu un Certificat d’Etudes Primaires en arabe et un BEPC franco-arabe. Par conséquent, j’écris et parle l’arabe, mais mon niveau en français est largement supérieur à cela. En effet, j’ai le  Bac (lettres modernes), le diplôme de l’ENA (École Nationale d’Administration) de Nouakchott, la Licence, la Maîtrise et le DEA de Sciences Politiques à Paris. Question du chef de l’État : « Parlez-vous le hassania  (dialecte proche de l’arabe) ? » Ma réponse fut : je parle plus ou moins.  Réponse du chef de l’État : « L’Arabe et le hassania, c’est la même chose. »

1) Est-ce que ces questions, relatives à la langue arabe, sont posées aux quarante chefs de mission diplomatiques et consulaires que compte le pays, composés, à une majorité écrasante, d’Arabes et de Berbères et de quelques Négro Mauritaniens ? J’affirme que les deux tiers des chefs de mission ne parlent ni n’écrivent en arabe, qu’il s’agisse de Négro-Mauritaniens, d’Arabes ou de Berbères. Est-ce que cela diminue leur efficacité ? Je ne le crois pas.

2) Pourquoi veut-on savoir si je parle arabe ou hassania ? D’abord, je suis persuadé que ce questionnaire est exclusivement destiné aux Haratine. Ensuite, l’objectif était de me situer par rapport à la communauté arabo-berbère.

Pour le chef de l’État, le fait de parler l’arabe ou le hassania  constitue une affinité linguistique. N’en déplaise au chef de l’État, le hassania n’est pas l’arabe. Car la quasi-totalité des Arabes et Berbères parlent hassania. Pour autant, ils ne parlent ni n’écrivent en arabe. Pour un Arabe ou un Berbère, un hartani  est le produit de l’esclavage arabo-berbère et doit parler au moins le hassania . C’est aussi le signe d’une allégeance à cette communauté. Rappelez-vous les événements de 1989 où l’État mauritanien a déporté des milliers de Négro-Mauritaniens au Sénégal. Parmi les citoyens mauritaniens déportés, il y avait des Haratine. Leur tort était qu’ils ne parlaient pas le hassania. C’est une grave erreur parce que les Haratine, qui ont fui l’esclavage arabo-berbère, se sont souvent réfugiés dans les villes et villages négro-mauritaniens. Donc, ils finissent par ne parler que les langues négro-mauritaniennes. Leur déportatation est un châtiment pour avoir fui l’esclavage et oublié le hassania.

Enfin, cet interrogatoire que nous avons subi, qui n’a rien à voir avec la diplomatie pour laquelle nous sommes nommé, prouve aussi que nous étions différent des autres et que les critères de confiance sont autres que la compétence, le travail et l’efficacité. Il faut donc une allégeance totale à la communauté arabo-berbère et à l’État dans leur lutte contre la communauté négro-mauritanienne. Cela veut dire aussi et surtout qu’il faut renoncer à la lutte que mènent les Haratine dans le cadre d’El Hor (organisation de Libération et d’Émancipation des Haratine). C’est aussi la preuve qu’au plus haut niveau, l’État impulse cette politique de soumission des Haratine que nous appelons le néo-esclavagisme politique. »

Extrait numéro deux :

« Pourquoi cette paralysie de la Communauté internationale ?

Premièrement, a souveraineté des États continue à constituer un handicap. Au nom de la souveraineté, les États peuvent s’opposer aux décisions de l’ONU.  À titre d’exemple, un État peut abroger une convention ou une déclaration pour des questions d’intérêts. (…) Les États sont les seuls membres des Organisations Gouvernementales (OG). En tant que membres, ils contribuent aux budgets des OG. Ils peuvent, en cas de désaccord avec celles-ci, suspendre leurs contributions financières. Les États peuvent aussi sortir d’une OG. Cette panoplie de possibilités explique probablement leurs attitudes face aux décisions des États.

Deuxièmement, l’aide du monde arabe. Ce soutien se vérifie de puis l’Indépendance de la Mauritanie en 1960. C’est le cas en 1972, lorsque la Mauritanie  décide de sortir de la zone Franc CFA. La France s’y oppose. L’Algérie, la Libye et l’Arabie Saoudite octroient les garanties pour la solvabilité de la monnaie mauritanienne, l’Ouguiya. Par conséquent, la Mauritanie quitte le Franc CFA. Puis, la Mauritanie décide de créer son port autonome à Nouakchott, alors que ses importations et ses exportations dépendaient du port de Dakar (Sénégal). La France refuse de financer et de construire ce port. La Chine va le construire avec les financements des pays arabes. Autre exemple, en 1989, le Sénégal avait failli entrer en conflit avec la Mauritanie. L’Irak vient alors au secours de cette dernière en lui fournissant du matériel et l’encadrement militaires. Au nom de la solidarité arabe, la frontière sud-ouest du monde arabe, en l’occurrence la Mauritanie, ne doit pas être menacée. Les armes et l’argent ont été déversés sur ce pays. Fort heureusement, cette guerre a été évitée de justesse. Deux raisons expliquent la solidarité arabe à l’égard de la Mauritanie : tous les pays arabes ont des minorités noires victimes de l’esclavage et du racisme. Ces populations noires sont la conséquence de la traite saharienne et orientale pratiquée pendant des siècles par les Arabes. Or, une solution égalitaire à la question de l’esclavage et du racisme dévoilerait leurs propres réalités. Enfin, l’intérêt du monde arabe demeure la diffusion de l’islam et de sa culture. Si le monde découvre l’ampleur de l’esclavage et du racisme dans le monde arabe, cela porterait atteinte à son image et, par conséquent, à l’islam et à sa civilisation. Cette découverte (…) mettrait probablement fin à la solidarité entre, d’une part ,le monde arabe, et d’autre part l’Afrique subsaharienne et la diaspora noire éparpillée dans plusieurs pays.

Par ailleurs, le groupe africain à l’ONU est sous l’influence du monde arabe. Les pétrodollars du monde arabe (Arabie Saoudite, Émirats Arabes Unis, Qatar, Ko weït, Libye, etc.) permettent d’acheter le soutien des pays africains, lesquels sont en majorité très vulnérables du fait de leur sous-développement. Il convient d’ajouter qu’une grande  partie de l’Afrique (Afrique de l’Ouest : Sénégal, Mali, Niger, Guinée, Nigeria, etc. ; la Corne de l’Afrique : Somalie, Djibouti et les Îles Comores – Afrique Centrale : Cameroun, Tchad) est habitée par des populations musulmanes. Dans ces pays, l’islam est soit dominant ou en expansion.  Pendant que les mosquées poussent comme des champignons, au même moment, les populations noires ne possèdent ni écoles, ni puits, ni activités économiques, ni structures de santé. L’essentiel est la diffusion de l’islam et de la culture arabe. (…) À cela, il convient d’ajouter un autre facteur déterminant. Les gouvernants des pays  sous-développés sont majoritairement issus de la féodalité. En effet, les anciennes puissances coloniales ont choisi de composer avec les féodalités en place. Qui plus est, à l’indépendance, les pouvoirs ont été cédés aux élites intellectuelles de ces mêmes féodalités. D’où l’existence d’une solidarité féodale entre les gouvernants de ces pays. Cette solidarité féodale empêche les groupes anciennement dominés d’émerger.  C’est le cas en Mauritanie.

Le soutien de la France à la politique mauritanienne est acquis depuis l’Indépendance. La Mauritanie est une ancienne colonie française, créée de toutes pièces. Le 28 novembre 1960, la Mauritanie accède à sa souveraineté. La France a transféré le pouvoir à la communauté maure, en excluant notamment  les Haratine. Le premier président mauritanien, Ould Daddah, a été choisi par la France et avait pour épouse Marie-Thérèse Daddah, de nationalité française. Ould Daddah appartient à la communauté maure. Depuis sa reconnaissance à l’ONU en 1961, la Mauritanie bénéficie du soutien constant de la France. La Mauritanie n’a jamais quitté le pré carré français en Afrique (Sénégal, Gabon, Côte d’Ivoire, Togo, Centrafrique, etc.). Il s’agit des pays francophones où la France se donne le droit et s’impose le devoir d’y protéger  ses intérêts et de les défendre aux plans interne et externe. Le vote à l’ONU des pays  francophones -dont la Mauritanie- en faveur des positions françaises est une donnée structurelle. La France possède une influence culturelle en Mauritanie. Elle est le premier partenaire économique et financier de ce pays. La France est l’un des cinq pays membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU ayant droit de veto (possibilité de bloquer toutes les décisions qui lèsent les intérêts d’un pays bénéficiaire). En échange du vote constant des pays du pré carré ainsi qu’une politique pro-française, la France doit s’opposer à toutes décisions touchant la politique de ces pays. Aucun État du pré carré français en Afrique n’a été condamné à l’ONU et ce, depuis  leur indépendance en 1960. La seule exception à cette règle a été la Côte d’Ivoire sous Laurent Gbagbo. Celui-ci s’opposait à la politique française depuis 2002, suite à la tentative du coup d’État fait par la Rébellion du Nord soutenue par le Burkina Faso et la France.

À l’ONU, la France a initié une résolution du Conseil de Sécurité en faveur d’une intervention en Côte d’Ivoire. Des élections présidentielles ont été organisées sous l’égide de l’ONU en 2011. Laurent Gbagbo a refusé de reconnaître la victoire de Alassane Ouattara, son rival. La guerre a repris entre les forces rebelles et l’armée régulière pro-Gbagbo. La France et l’ONU ont soutenu sur le plan militaire les forces rebelles et  le régime de Gbagbo a été vaincu. Par conséquent, si la Mauritanie n’ a pas été condamnée à l’ONU pour pratiques esclavagistes et racistes, c’est sans doute parce que la France ne le souhaite pas et s’y opposerait en tout état de cause. Cette attitude de la France à l’ONU correspond à sa politique sous la colonisation, où elle n’a jamais appliqué son arsenal juridique interdisant l’esclavage, notamment le décret du 12 décembre 1905 relatif à l’AOF (Afrique Occidentale Française)  et au Congo Brazzaville. Il faut noter que le colonel Gouraud, au nom de la France a signé en 1909 un accord avec les Maures. Cet accord stipule que la France s’engage à ne pas interdire l’esclavage contre l’acceptation par les Maures de la colonisation française. Un marchandage va avoir lieu sur le compte des esclaves: « Vous êtes avec nous, vous ne perdez pas vos esclaves », disait l’administration coloniale.

PAR THALIA BAYLE
Source : Mondafrique