Sommet de Sotchi : L’Afrique est un enjeu stratégique pour les grandes puissances (économiste)

Le 24/10/2019 – Apanews

Le tout premier sommet Russie-Afrique s’est officiellement ouvert mercredi à Sotchi en Russie. De nombreux chefs d’État et hommes d’affaires africains prennent part à cette rencontre mondiale qui positionne l’Afrique comme une terre d’opportunités pour la Russie. L’économiste béninois Epiphane Adjovi analyse pour APAnews les enjeux de ce sommet stratégique.

Question : Le Sommet Russie-Afrique est perçu comme un retour en force de la Russie sur le continent après la période marxiste-léniniste. Faut-il s’en inquiéter ?

Réponse : C’est vrai que si on se réfère au passé de l’empire soviétique en Afrique au temps de la guerre froide, il peut être compréhensible que certaines personnes aient une forte inquiétude face à cette volonté de plus en plus affichée de retour sur le continent africain.

Toutefois, je ne pense pas que ce que vous appelez le retour en force de la Russie en Afrique soit porteur d’une menace spécifique. Car, d’une part, le monde a beaucoup changé depuis la chute du mur de Berlin et les Africains prennent de plus en plus conscience de leurs intérêts et de la puissance qu’ils représentent lorsqu’ils sont dans une logique unitaire.

Mais, si l’on prend en compte le positionnement actuel de la Russie dans certains pays en conflit armé comme la République de Centrafrique, il faut faire preuve de vigilance.

Q : Quel intérêt pour la Russie de coopérer avec les pays africains ?

R : De manière générale, la plupart des analystes considèrent l’Afrique comme le continent de l’avenir. Ce continent connait une croissance économique importante et un accroissement substantiel de sa population.

De plus, l’Afrique, en pleine construction, a un grand besoin d’infrastructures et même de biens de consommation. C’est donc un continent qui représente un enjeu stratégique pour les autres puissances : Etats-Unis, Europe, Chine, Russie et même des pays comme l’Inde.

Ce n’est pas étonnant que ces puissances rivalisent d’initiatives pour essayer de conquérir le continent : Accord de Partenariat Economique (APE) pour les uns et AGOA pour les autres.

Q : Peut-on craindre une nouvelle colonisation idéologique ?

R : A mon avis, non. Deux raisons expliquent cette réponse. La première est que la Russie ne se réclame plus de l’idéologie marxiste-léniniste et se classe elle-même parmi les régimes démocratiques. La seconde raison est que la bipolarisation du monde qui favorisait l’alignement automatique des Etats africains dans l’un des blocs a totalement disparu.

Q : À votre avis, quel domaine de coopération peut intéresser la Russie?

R : Il y a un potentiel que la Russie peut exploiter en Afrique. Il s’agit des axes tirés de son passé comme la formation. Etant un grand producteur de pétrole et de gaz, la Russie peut établir des relations dans ces créneaux avec l’Afrique qui est un des grands producteurs de ces produits.

Q : En matière de coopération avec l’Afrique, la Russie peut-elle faire le poids devant la Chine qui est très bien implantée dans le continent ?

R : La Chine, eu égard à la diversité de ses axes d’intervention en Afrique et au caractère très peu contraignant des conditionnalités qu’elle pose, a pris une avance très importante qui inquiète même l’Europe et qu’il sera difficile à rattraper pour la Russie.

Cette avancée est d’autant plus confortable que la Chine s’impose de plus en plus comme une puissance économique de tout premier plan. Ce qui n’est plus le cas pour la Russie qui peine à maintenir son économie parmi les plus avancées.

Il faut quand même noter que la Russie peut jouer sa carte et une carte assez large si elle élargit son intervention à des domaines autres que celui de l’armement et des interventions militaires.

Q : A quoi doit-on s’attendre de la part des autres puissances ?

R : Comme toute compétition entre puissances, le combat pour l’établissement de relations privilégiées avec l’Afrique sera rude. Elle est d’autant plus compliquée que l’Afrique a augmenté sa capacité de négociation et s’organise progressivement pour tirer profit de son potentiel. On peut citer l’exemple des dossiers sur lesquels des avancées existent chez les Africains : la monnaie unique de l’Afrique de l’Ouest et la Zone de libre échange continentale Africaine.

UB/cat/APA