Human Rights Watch est une organisation non gouvernementale qui documente les violations des droits humains et plaide pour des réformes dans ce domaine dans plus de 90 pays. Au cours des deux dernières années, nous avons engagé un dialogue constructif avec le gouvernement mauritanien sur des questions clés, notamment les droits des femmes et la liberté d’expression.
Nous avons rencontré les ministres de la Justice, de l’Intérieur, ainsi que la ministre des Affaires sociales, de l’Enfance et de la Famille, et le président de la Commission nationale des droits de l’homme, afin de discuter de nos observations et de nos recommandations.
Nous vous écrivons au début de votre mandat pour vous exhorter à prendre des mesures décisives afin d’améliorer le respect des droits des femmes à l’échelle nationale, et de réduire la prévalence des violences fondées sur le genre.
En 2018, en consultation avec des ONG mauritaniennes, Human Rights Watch a mené des recherches approfondies sur les violences fondées sur le genre et publié ses conclusions dans un rapport intitulé « Ils m’ont dit de garder le silence : Obstacles rencontrés par les survivantes d’agressions sexuelles pour obtenir justice et réparations en Mauritanie », rendu public le 5 septembre 2018. Nous avons constaté que :
– Les tabous, la pression sociale et la stigmatisation qui entourent les violences fondées sur le genre empêchent les femmes et filles touchées de briser le silence ;
– Les femmes et les filles qui dénoncent des viols aux autorités risquent d’être poursuivies pour avoir eu des relations sexuelles hors mariage (ou zina) ;
– Les survivantes doivent se frayer un chemin au sein d’un système qui les décourage de porter plainte et fournit des services insuffisants de soutien aux victimes ; et que
– Les organisations de la société civile, qui ont des moyens limités, pallient trop souvent le manque de protection qui prévaut dans le pays et qui devrait être résolu par le gouvernement.
Human Rights Watch a transmis ses conclusions au gouvernement mauritanien et l’a exhorté à :
– Mettre fin aux poursuites judiciaires et aux détentions dans le cas des affaires de zina et à décriminaliser cette infraction ;
– Adopter une loi sur les violences fondées sur le genre qui respecte les normes internationales ; et
– Allouer des fonds suffisants afin de créer des unités spécialisées au sein du ministère public, mettre en place des formations tenant compte du genre à destination des agents de police et procureurs, veiller à ce que les survivantes accèdent plus facilement aux soins médicaux et aux examens de médecine légale, ouvrir dans l’ensemble du pays des refuges offrant aux survivantes des solutions d’hébergement et des services d’aide aux victimes, et augmenter l’appui financier aux organisations de la société civile qui aident actuellement les survivantes.
En mai 2019, les chercheurs de Human Rights Watch sont retournés à Nouakchott pour s’entretenir avec une des survivantes ainsi qu’avec des activistes dont l’expérience et l’expertise avaient éclairé nos recherches en vue du rapport. Nous avons retrouvé Rouhiya (nom modifié pour protéger son identité), une jeune femme qui a été agressée sexuellement par son père et était enceinte de lui, lorsque nous l’avions rencontrée la première fois.
En l’absence de refuges à Nouakchott et d’aide du gouvernement, Rouhiya, qui s’occupe désormais de son bébé, demeure obligée de vivre chez ses parents où elle subit des abus, aux côtés d’un père qui continue à être physiquement violent. Les défenseurs des droits des femmes avec lesquels nous avons échangé continuent à déplorer le manque d’actions du gouvernement ainsi que le refus des législateurs d’adopter une loi sur les violences fondées sur le genre qui pourrait fournir un cadre pour poursuivre les coupables présumés, protéger les victimes comme Rouhiya et institutionnaliser les services d’aide en leur faveur.
Il est très préoccupant, selon Human Rights Watch, qu’en décembre 2018, l’Assemblée nationale ait rejeté pour la deuxième fois le projet de loi sur les violences fondées sur le genre. Ce projet de loi, appuyé par le ministère de la Justice et approuvé par le Sénat en 2016, contenait des contributions cruciales de la part de représentants de la société civile, visant à créer un nouveau cadre de protection pour les survivantes.
Il fournissait en particulier des définitions clés et des sanctions pénales pour le viol et le harcèlement sexuel, autorisait les organisations de la société civile à à saisir les tribunaux au nom des survivantes, permettait aux juges d’émettre des ordonnances de protection à l’encontre des agresseurs présumés et obligeait le gouvernement à créer des refuges offrant des options d’hébergement à court et à long terme. En dépit des éléments positifs de ce projet de loi, nous regrettons qu’il n’abroge pas les dispositions du Code pénal criminalisant les relations sexuelles consensuelles, qu’il définisse le viol et l’agression sexuelle de façon trop restrictive et qu’il maintienne les références du Code pénal à des formes de sanctions qui constituent des traitements cruels, inhumains et dégradants, comme la peine de mort par lapidation ou la flagellation.
Alors que le gouvernement que vous venez de constituer définit les nouvelles orientations politiques de la Mauritanie, nous vous exhortons à mettre en avant votre engagement envers les droits des femmes en faisant de cette réforme législative une priorité.
Nous aimerions avoir l’opportunité de vous rencontrer, ainsi que de hauts responsables de votre administration, afin de discuter plus en profondeur de nos recommandations portant sur les droits des femmes et plus précisément du projet de loi sur les violences fondées sur le genre. Nous restons à votre disposition pour toute question ou précision. Nous vous serions reconnaissants de nous faire savoir quand vous et les autres responsables concernés seriez disponibles pour rencontrer une délégation de Human Rights Watch.
Nous vous remercions par avance pour votre réponse, qui peut être transmise par courriel à ma collègue XXXXXXX, coordonnatrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord, à l’adresse XXXXXXX.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre haute considération.
Sarah Leah Whitson
Directrice exécutive
Division Moyen-Orient et Afrique du Nord
Human Rights Watch
Source : Human Rights Watch