Leurs propositions doivent ensuite être présentées aux dirigeants du reste de la planète lors de la prochaine Assemblée générale de l’ONU fin septembre.
Ce sommet marque la mobilisation de l’organisation régionale ouest-africaine sur un dossier qui a dépassé les frontières du Sahel depuis plusieurs années. Les outils mis en place pour lutter contre cette menace sont-ils toujours adaptés ? Gilles Yabi, responsable du groupe de réflexion « Wathi », répond aux questions de Laurent Correau.
RFI : On perçoit bien au travers de l’effervescence diplomatique de ces dernières semaines autour de la lutte contre le terrorisme une forme d’inquiétude. Il y a eu l’idée d’un partenariat pour la sécurité et la stabilité au Sahel qui a été mis sur la table au G7 de Biarritz du 24-26 août. La prochaine réunion de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) doit, elle aussi, se pencher sur les réponses à apporter au jihadisme. Est-ce un regain d’inquiétude qui vous semble justifié ?
Gilles Yabi : Oui, je crois que le regain d’inquiétude est justifié. On voit tous les jours, ou presque, des attaques dans un pays comme le Burkina Faso. Lorsqu’on regarde les statistiques, c’est une augmentation de quasiment 7000% des actes terroristes meurtriers dans un pays qui a été longtemps préservé.
Et aujourd’hui, il est très clair que c’est l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest qui est concerné. Mais on savait depuis longtemps que les pays côtiers étaient exposés. Au-delà de la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Bénin, le Togo, tous ces pays côtiers ont des parties septentrionales qui se prolongent dans le Sahel.
On sait aussi depuis 2012-2013 que l’intervention militaire au Mali n’a pas éliminé les groupes. Elle les a dispersés. On aurait dû savoir depuis cette époque-là qu’aucun pays de la région ouest-africaine n’était préservé du risque terroriste.
Que sait-on du niveau d’exposition des pays côtiers à cette menace terroriste ? On parle de cellules dormantes par exemple ?
Il y a eu différentes attaques qui ont montré en tout cas la présence de sympathisants de ces groupes armés dans les pays du golfe de Guinée. À nouveau, il y a une grosse inquiétude pour le nord du Ghana, le nord du Togo et le nord du Bénin.
Il y a eu cet incident dans le parc au nord du Bénin il y a quelques mois [le 1er mai 2019, enlèvement de deux touristes français, libérés le 10 mai-opération militaire au cours de laquelle deux officiers de marine sont morts NDLR], qui a montré une activité peut-être minimale, mais une activité tout de même au niveau de la frontière entre le Burkina Faso et le Bénin.
Je crois très clairement que la concentration sur la présence des groupes armés est justifiée, mais ce qui est plus inquiétant, c’est le niveau de fragilité et de vulnérabilité des États de la région. Lorsqu’on a des menaces, ce qui fait la différence, c’est la capacité des États en question à réagir à la menace, et à éviter une déstabilisation. Aujourd’hui, on voit bien que nos pays sont extrêmement fragiles.
Et cela traduit des dynamiques de long terme qui sont plus préoccupantes et qui demandent aussi aujourd’hui une vraie discussion.
Il faut donc travailler à restaurer l’autorité de l’État ?
Oui. Ma réaction depuis 2012 lors du début de la crise au Mali était de dire que la réponse est d’abord l’État. La restauration n’est probablement pas le bon terme parce qu’il ne s’agit pas de restaurer l’État comme il était avant.
C’est justement le fonctionnement de cet État et d’une certaine manière son absence, ou en tout cas l’absence de bienveillance par rapport aux populations dans certaines régions des pays, c’est cela qui fait partie des causes du problème.
Donc, il ne s’agit pas de restaurer les États tels qu’ils étaient, mais il s’agit de les reconstruire sur des bases nouvelles. Mais il faut d’abord absolument renforcer les États. Un autre point me semble important, lié à cela, c’est la dispersion.
Et c’est pour cela que je me réjouis de la remise en selle de la Cédéao. Lorsqu’on a des ressources humaines limitées, on ne peut pas continuer à créer à chaque fois de nouveaux instruments, de nouvelles forces, de nouvelles institutions. Il faut essayer de corriger celles qui existent et de les rendre plus efficaces.
C’est-à-dire qu’il y a une « dispersion » de l’effort dans la lutte contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest à l’heure actuelle ?
Oui, il y a une prolifération institutionnelle. Moi, je suis très réaliste. Le G5 existe et je souhaite vivement qu’il soit opérationnel et qu’il réalise des actions le plus rapidement possible.
Mais justement, est-ce que ce partenariat pour la stabilité et la sécurité au Sahel qui a été mis sur les rails à Biarritz n’est pas une forme de désaveu du G5 Sahel [Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger,Tchad], ou en tout cas, est-ce qu’il ne marque pas la volonté de passer à un autre outil face aux lenteurs du G5 ?
Oui, je m’inquiète un peu chaque fois qu’il y a un nouveau partenariat, un nouvel instrument qui est annoncé. Je crois qu’il y a non seulement de la dispersion des efforts, mais il y a peut-être beaucoup de distraction. La situation dans la région ouest-africaine est réellement préoccupante.
Et lorsqu’on a cela en face, on ne peut pas se permettre de créer chaque fois de nouveaux instruments. Il faut voir pourquoi ce qui existe déjà ne fonctionne pas et être beaucoup plus concret dans les approches qui doivent être mises en œuvre.
Lorsqu’on prend par exemple à nouveau les évènements violents dans le centre du Mali ou au Burkina Faso, la véritable question c’est de savoir pourquoi est-ce que ces Etats ne réussissent pas à être beaucoup plus efficaces dans la prévention. Et pourquoi est-ce que, à aucun moment, on ne pointe directement les auteurs de ces crimes qui sont des crimes contre l’humanité.
Pourquoi est-ce que l’impunité semble toujours être la règle. Tant qu’on ne fera pas cela, évidemment les populations auront le sentiment que les États sont totalement impuissants. Une chose également importante, c’est la rupture politique. Il faut qu’il y ait des signaux dans la région qui donnent le sentiment aux populations que les gouvernants ont compris le message, de l’ignorance de partie entière de leur population par les services publics.
Quel genre de signal par exemple ?
À nouveau en 2020, il y aura des élections, il y en aura en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, au Togo, au Ghana. On voit bien qu’à un moment donné, les violences politiques qui arrivent à l’occasion des élections pourraient rejoindre les violences qui sont déjà dans la région, et constituer un cocktail absolument désespérant pour cette région.
Oui, les signaux politiques qu’il faut, c’est cela. C’est à nouveau changer la gouvernance politique et donner le signal d’un retour de l’éthique dans les pratiques politiques dans la région.
Source : RFI Afrique