Descendant d’esclave, militant des droits de l’homme, à 54 ans, l’opposant abolitionniste veut, dans sa nouvelle candidature à la présidence, promouvoir d’autres rapports entre Maures, Négro-Africains et Haratines.
Le 22 juin, les Mauritaniens choisiront le successeur de Mohamed Ould Abdel Aziz, au pouvoir depuis dix ans. Parmi les six candidats déclarés, le député et militant anti-esclavagiste Biram Dah Abeid. Son nom et son visage font la une des médias internationaux depuis plusieurs années alors qu’il lutte avec son organisation l’IRA (Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste) contre l’esclavagisme dans son pays et sur le continent.
Lauréat en 2013 du prix des droits de l’homme des Nations unies, déjà candidat en 2014, sans parti officiellement reconnu il était arrivé second derrière le président sortant avec 9 % des voix.
Emprisonné à maintes reprises (en 2010, en 2011, 2012, 18 mois en 2016, et 5 mois en août 2018) et enfin élu député lors des dernières législatives grâce à son alliance avec le parti arabo-berbère Assawab, Biram Dah Abeid n’a pas réussi à faire l’unanimité au sein de l’opposition pour l’élection à venir. Il faut dire que ces dernières années, la lutte pour les revendications s’est intensifiée en Mauritanie, où les Négro-Mauritaniens, Peuls-Toucouleurs, Soninkés et Wolofs – réclament toujours un véritable partage du pouvoir. La société mauritanienne reste dominée par la caste des Beydanes, qui a historiquement fondé son pouvoir sur l’esclavage des castes inférieures. Même s’il a été officiellement aboli en 1980, et reconnu dans la Constitution comme un crime contre l’humanité en 2012. Jusqu’à 43 000 personnes étaient encore réduites en esclavage en 2016, soit environ 1 % de la population totale, selon des estimations d’organisations spécialisées citées par Amnesty.
Mais la quête de Biram, le Hartani, se trouve ailleurs, il en a fait la promesse à son père, esclave affranchi quand il était dans le ventre de sa mère. Une pratique qui existe encore en Mauritanie où dans la superstition un maître qui règne sur une famille peut conjurer un mauvais sort en affranchissant l’enfant à venir. « Mon père, lui est né libre, mais sa mère est restée esclave jusqu’à sa mort », confie droit dans les yeux Biram Dah Abeid que nous rencontrons un samedi de février à Paris.
Car derrière l’ouverture aux touristes, la croissance à 3,5 %, la reconnaissance dans la lutte contre le terrorisme, se trouve une tout autre réalité. « Ce sont des chaînes invisibles, divines, les plus dures à briser », souffle Biram, fort d’une thèse sur le sujet de l’esclavage. « Mon père m’a pris à part, et m’a dit : “Sais-tu pourquoi je t’ai mis à l’école ? Pour que tu connaisses la loi et les livres des maîtres et que tu puisses percer ce secret de l’esclavage. Fais-moi le serment que tu le feras !” ». Après un passage à l’association SOS esclaves, le militant porté par ses modèles Martin Luther King, Mandela, Gandhi, fonde l’IRA en 2008 et devient un acteur politique.
Il sort de l’ornière des associations traditionnelles mauritaniennes et acte la rupture sur le terrain qu’il va sans cesse occuper par des actions subversives comme ce 27 avril 2012, où il met en scène l’autodafé d’un ouvrage de jurisprudence malékite qui prône et justifie l’esclavage, selon IRA. Il est arrêté dès le lendemain. Son ONG est immédiatement interdite par le gouvernement de Mohammed Ould Abdel Aziz et à peine tolérée depuis. Ce qui oblige l’IRA a régulièrement contourner la censure étatique pour pouvoir exister sur l’échiquier politique mauritanien. Alors que s’ouvre la campagne électorale, Biram Dah Abeid entouré d’une garde rapprochée hétéroclite et expérimentée veut croire plus que jamais en ses chances. Au-delà des questions liées à l’esclavage, il s’est confié au Point Afrique sur son programme.
Le Point Afrique : La Mauritanie s’apprête à élire son nouveau président et à tourner la page des années Ould Abdel Aziz, le chemin pour votre candidature vous aura conduit à la case prison…
Biram Dah Abeid : Ce dernier épisode d’emprisonnement est celui qui trahit de manière très flagrante la panique des autorités et l’oligarchie du pouvoir en place, car il trahit l’incapacité de ce régime à pouvoir supporter la compétition démocratique régulière. Et même irrégulière, parce que les élections passées ont été entachées de fraudes et d’irrégularités. Alors même qu’ils (le pouvoir mauritanien, NDLR) détiennent les cartes en main et qu’ils peuvent aisément influer sur les élections, ils savent que rien n’est gagné pour eux à cause du caractère très mobilisateur de nos méthodes de campagne. À cause de l’impact de notre discours sur les populations et ce qu’il provoque comme adhésion massive.
Vous savez, nos prisons sont réputées pour être de véritables mouroirs. Ce sont des lieux de torture physique et morale. Les prisons mauritaniennes sont parmi les plus mal réputées au monde. J’ai eu de graves problèmes sanitaires et je suis en train de faire des analyses exhaustives complémentaires pour vérifier que tout va bien. En attendant, je fais attention.
Comment vous êtes-vous retrouvé dans le viseur des autorités ?
Je vous l’assure, nous n’avons rien commis de délictuel. Le pouvoir a été pris de court par l’alliance que nous avons négociée avec le parti d’orientation baassiste (nationaliste arabe) Assawab, à l’abri des regards et des oreilles. Depuis toujours, ce pouvoir joue sur la division, sur le dressage ethnique et économique entre les différentes communautés. Le régime dictatorial du président Ould Abdel Aziz a prospéré sur la division des Mauritaniens. Mon parti et moi-même sommes dépeints par les autorités comme étant un péril pour le pouvoir arabo-berbère, pour la minorité arabo-berbère, pour la communauté arabo-berbère alors qu’en vérité nous sommes un péril pour ce régime prédateur des droits de l’homme.
Avec le parti Assawab nous avons scellé une alliance politique et électorale basée sur un programme d’alternance avec une faction importante de cette communauté. Le régime du chef de l’État ne l’a tout simplement pas accepté et a essayé par des moyens détournés de faire échouer cette union. Ils n’ont rien trouvé d’autre que de se servir de ce pseudo journaliste qui leur a produit un article honteux détournant mes propos. Mais tout cela n’avait qu’un seul objectif, celui de détourner les chances de notre groupe et de notre alliance aux élections législatives de septembre 2018.
Pourquoi avoir gardé le secret d’une alliance si cruciale ?
Nous n’avons pas gardé cette alliance secrète, ce sont les négociations qui sont restées secrètes. C’est une avancée majeure pour notre pays.
Qu’apporte concrètement de nouveau cette alliance avec un parti arabo-berbère dans la lutte anti-esclavagiste ?
Cette alliance démontre d’une évolution majeure dans notre société. D’ailleurs, ça coupe l’herbe sous les pieds des militaires arabo-berbères ségrégationnistes qui ont pris le pouvoir depuis juillet 1978, qui ont renversé le pouvoir civil et instauré un système d’oligarchie militaire corrompu raciste et discriminatoire et qui utilise les différences ethniques entre les populations mauritaniennes pour prospérer. On a réussi pour la première fois à unir toutes les élites de toutes les communautés dans un seul parti. C’est un parti de jeunes cadres ouverts, propres, populaires et qui sont engagés dans un programme commun de démocratisation de la Mauritanie. Ces jeunes cultivent une vision apaisée, juste et équitable de l’islam, pleinement inscrite dans le temps présent, fermement posée sur ses fondations les plus sûres et ouverte vers l’avenir.
Est-ce à dire que la question de l’unité nationale transcende désormais les questions relevant de l’esclavage et de la négritude ?
Avant, chaque communauté s’organisait elle-même. Par exemple les Haratines s’organisaient eux-mêmes pour lutter contre l’esclavage, les Négro-Mauritaniens s’organisaient eux aussi de leur côté et les Arabo-Berbères s’organisaient également seuls pour chercher leurs propres intérêts. Le propre de cette alliance, c’est qu’on a canalisé et réuni les aspirations de tous sur les questions essentielles au premier rang desquels nous plaçons la déconstruction du système raciste et esclavagiste qui mine les fondements de l’État mauritanien et qui hypothèque l’existence même de notre pays.
Ce programme transcende les notions de communautés et les intérêts communautaristes bien que la lutte contre l’esclavage qui concerne normalement tout le monde, mais qui a toujours semblé ne préoccuper que les seuls Haratines, est devenue l’affaire même des partis comme le nôtre, qui rassemble aussi des Arabo-Berbères, dont la communauté pratiquait l’esclavage. Nous proposons des alternatives au système raciste et discriminatoire en place. Nous sommes aussi dans une logique de programme gouvernemental d’alternance politique. Si vous regardez bien l’échiquier politique, nous sommes la seule alternative qui se présente maintenant pour les Mauritaniens contre les militaires qui veulent reproduire leur pouvoir avec un énième héritier, en l’occurence l’ex-ministre de la Défense, et candidat du pouvoir, le général Mohamed Ould Ghazouani. Nous sommes la principale force de l’opposition en Mauritanie.
Je suis moi-même arrivé deuxième lors de la précédente élection de 2014 et nous avons une coalition qui réunit beaucoup de mouvements civils avec des jeunes qui ont essaimé et qui visent à un grand rassemblement national en soutien à ma candidature. Ce rassemblement va connaître d’autres adhésions encore.
Quel est votre diagnostic des années Ould Abdel Aziz ?
Nous avons le diagnostic le plus clair et le plus fidèle de la situation socio-économique ainsi que sur l’état du droit dans le pays. Je rappelle qu’en dix ans, nous avons enduré le plus gros de la confrontation avec le pouvoir qui a renforcé ses méthodes de répression sur nous. Sur la situation de l’esclavage, rien n’a changé. Beaucoup parlent d’esclavage moderne, mais il n’en est rien, car il s’agit bien d’un esclavage traditionnel. Puisqu’il est encore courant d’offrir un homme ou une femme pour une naissance ou un mariage. Aujourd’hui, l’esclave s’occupe souvent des tâches ménagères. L’autre forme d’esclavage la plus répandue est la servitude « agricole » : les Haratines cultivent la terre pour leurs maîtres, mais ne possèdent ni la terre ni le fruit des récoltes. Ils ne perçoivent aucun salaire.
Concernant la situation socio-économique de ces régions, elle est caractérisée par le désespoir, les frustrations matérielles, le marasme et le sentiment d’écrasement, car l’État et ses différents services, au lieu de représenter une lueur d’espoir ou de soulagement, représentent un fardeau, une instance d’oppression, dans le quotidien de populations paisibles ; ces Mauritaniens, en majorité noirs, haratines, peuls, soninké, wolofs ou bambaras subissent un régime de sujétion qui spolie les terres héritées des ancêtres et impose des brimades à la manière du système colonial. Donc, l’appauvrissement et le sentiment de non-appartenance à la communauté de destin ont atteint leur comble ici ; c’est pourquoi notre discours, notre organisation et ma candidature à la magistrature suprême renferment pour les foules des régions visitées la promesse d’un avenir différent, une bouffée d’oxygène, comme une bouée de sauvetage, sur le chemin d’une restauration durable de la dignité et de la citoyenneté.
Vous ne pouvez pas dire la même chose sur le terrain du terrorisme ?
La Mauritanie est valorisée pour son combat contre le terrorisme par une certaine diplomatie intéressée par le mercantilisme de certains cercles, résidus de la Françafrique. Il faut le souligner, seule une minorité de nostalgiques, de néo-coloniaslistes qui se basent sur certains chefs Africains chante les louanges de Ould Abdel Aziz.
Que représente l’alternance pour vous ?
L’alternance, ça veut dire le retour des militaires aux casernes ! Dix ans que les militaires sont au pouvoir, il est temps qu’ils partent pour le bien de tous. La prise du pouvoir doit désormais s’effectuer par la voie démocratique des urnes. Le pouvoir doit être donné à un candidat ou des personnes organisés dans un parti politique proposant à toutes les populations du pays un projet concret devant mener les Mauritaniens à mieux connaître leur droit, mais aussi dans les bénéfices de leurs biens. Car les Mauritaniens sont encore spoliés, privés dans leur accès à la liberté, à leur droit à l’expression. L’alternance, c’est aussi permettre à la Mauritanie de retrouver sa place dans la marche du monde. Nous devons mettre fin à cette mauvaise image de la Mauritanie dans le monde, nous sommes toujours les derniers dans les classements mondiaux. Et le plus important : arrêter de figurer parmi les pays esclavagistes, qui violent les droits de l’homme. Ces élections représentent une opportunité historique de changement fondamental pour une nouvelle Mauritanie, juste et égalitaire.
Est-ce que toutes les conditions sont aujourd’hui réunies pour aboutir à ce constat ?
Notre programme a été bâti dans cette optique. On va unir les Mauritaniens contre l’arbitraire. Même si le parti au pouvoir continue d’utiliser les moyens humains et matériels de l’État pour s’imposer, les populations qui étaient sous son emprise ont compris que l’alternance était possible. Et pour une première fois, le parti du pouvoir se sent menacé surtout que sa gestion des affaires a été catastrophique pour une majorité de la population.
Nous allons plutôt mettre l’accent sur les droits de l’homme, notre gouvernance va cibler la lutte contre les crimes nationaux, dont le trafic de drogue, le trafic des personnes, dont la Mauritanie est une plaque tournante. On le sait depuis très longtemps que la Mauritanie est un pourvoyeur de travailleuses et travailleurs dans les pays du Moyen-Orient. Nous devons aussi renouer avec un islam originel à caractère universaliste. Car il n’y a pas de justification islamique de l’esclavage. C’est par le droit et la justice sociale et la transparence et la redistribution équitable que la Mauritanie peut venir à bout de certains défis comme la tentation du terrorisme ou de l’immigration qui gangrène certains jeunes.
Propos recueillis Viviane Forson
Source : Le Point Afrique (France)