Avec la chute du président soudanais, Doha perd encore un peu de terrain sur le continent face à ses rivaux saoudien et émirati, analyse notre chroniqueur.
Chronique. L’émir du Qatar, Cheikh Tamim Ben Hamad Al Thani, a effectué fin avril une nouvelle tournée africaine au Rwanda et au Nigeria. La dernière visite du souverain sur le continent datait de décembre 2017 et avait privilégié l’Afrique de l’Ouest. Pourtant, malgré cet activisme, Doha semble perdre du terrain en Afrique face à ses deux voisins, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, qui exercent sur lui un embargo terrestre et aérien depuis juin 2017.
Pour cette zone comme pour bien d’autres, l’Afrique est devenue le terrain privilégié d’un jeu géopolitique. Et le Qatar n’y est pas en très bonne position.
D’abord, le pays pourrait voir s’éloigner un des rares Etats avec lesquels il avait réussi à conserver des liens forts dans la Corne de l’Afrique : le Soudan. Depuis 2017, Omar Al-Bachir avait en effet une relation privilégiée avec l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, tout en entretenant de bons rapports avec le Qatar, où il se rendait régulièrement – sa dernière visite remontait à janvier.
Or depuis que le président soudanais est tombé, le 11 avril, les deux principaux dirigeants militaires de la transition, Abdel Fattah Al-Burhan et son adjoint Mohamed Hamdan Dagalo, sont très fortement courtisés par les Emiratis. Abou Dhabi et Riyad ont d’ailleurs promis une aide de 3 milliards de dollars (environ 2,7 milliards d’euros) à Khartoum. Autre signe d’une situation plutôt défavorable à Doha, la chaîne qatarie Al Jazeera n’a toujours pas eu accès aux dirigeants intérimaires du Soudan, alors que Sky News Arabia (financée par Abou Dhabi) et Al Arabiya (porte-voix de Riyad) ont déjà pu les interviewer.
La Somalie, dernier allié régional
Il ne reste ainsi plus que la Somalie du président Mohamed Abdullahi Farmaajo à se déclarer encore ouvertement pro-Qatar dans cette région. Farmaajo était encore à Doha, le 27 février, où il a reçu 20 millions de dollars d’aide pour payer ses fonctionnaires. Fin avril, son ministre des affaires étrangères, Ahmed Isse Awad, en visite à Doha, a réaffirmé que son pays « n’entrera jamais dans une alliance contre le Qatar et la Turquie », cette dernière étant le plus grand allié de Doha.
Mais en termes d’alliances, la Somalie est entourée de pays qui ont déjà pris fait et cause pour l’alliance émirati-saoudienne. Le Somaliland, ancienne région de Somalie autoproclamée indépendante en 1991 à la chute de Siad Barré, est résolument pro Abou-Dhabi ; le port de Berbera est d’ailleurs depuis 2016 dans les mains de l’émirati DP World. De même, Djibouti fait partie des pays qui ont rappelé leur ambassadeur à Doha en juin 2017, au début de l’embargo frappant le Qatar.
Enfin, l’Ethiopie essaye de conserver une relation équilibrée entre les deux camps rivaux, mais la reprise du dialogue entre Addis-Abeba et Asmara a été très largement permise par les Emiratis, qui espèrent capter une partie des échanges commerciaux du géant de la région (107,5 millions d’habitants) via le port d’Assab, en Erythrée, qu’ils contrôlent également via DP World. Ce dernier, ayant perdu sa concession à Djibouti en 2018, a aisément convaincu l’Ethiopie qu’il était dans son intérêt de passer par le Somaliland ou l’Erythrée.
Faire monter les enchères
L’Afrique de l’Ouest est la zone où le plus grand nombre de pays ont pris fait et cause contre le Qatar : la Mauritanie, le Niger et, momentanément, le Sénégal et le Tchad ont rappelé leurs ambassadeurs à Doha dès juin 2017. Le voyage de l’émir en décembre 2017 visait à remercier le Burkina Faso et le Mali, qui n’avaient pas pris position et qui avaient conservé une ambassade à Doha. Il s’agissait aussi de visiter le Ghana et la Côte d’Ivoire, qui, en pleine crise, s’apprêtaient à ouvrir une représentation et osaient ainsi montrer leur non-alignement sur l’axe Abou Dhabi-Riyad.
Le récent séjour de Tamim Ben Hamad Al Thani au Nigeria, qui devait initialement avoir lieu en décembre 2017, a aussi été l’occasion de remercier une puissance africaine de premier plan restée neutre malgré la pression saoudienne, un pays de taille et dont le poids sur le continent ne fait pas débat.
Malgré tous ces efforts, le Qatar ne semble pas payé de retour en Afrique de l’Ouest. La fourniture de véhicules blindés au Mali n’est pas ce qui préoccupe le plus son président, Ibrahim Boubacar Keïta, dont les missi dominici envoyés à Doha ne font que réclamer des fonds pour financer ses campagnes électorales. Le sentiment à Doha est que nombre d’Etats d’Afrique de l’Ouest ont essayé de jouer sur la rivalité des pays du Golfe pour faire monter les enchères de leur soutien ou, le plus souvent, de leur simple neutralité. A ce jeu-là, le Qatar risque d’être perdant.
Benjamin Augé
Benjamin Augé est chercheur associé aux programmes Afrique et énergie de l’Institut français des relations internationales (IFRI).
Source : Le Monde Afrique (France)