La Mauritanie a connu jusqu’à aujourd’hui trois types d’élection présidentielle. Le premier consistait à enregistrer un consensus qui précéda en Mai 1961 la fusion des partis et mouvements politiques, existant au moment de l’indépendance : ce consensus se fit naturellement sur le nom de Moktar Ould Daddah puisque le pays lui devait la souveraineté internationale et les partis la dialectique de leur unification. Le système perdura avec la constitutionnalisation du Parti unique de l’Etat et de son monopole des candidatures. Une variante considérable était en gestation quand la « haute hiérarchie militaire » mit fin à la période fondatrice et en grande partie consensuelle : Moktar Ould Daddah, si la guerre du Sahara s’apaisait en Août 1981 (terme de son quatrième mandat, la Constitution du 20 Mai 1961 n’en limitait pas le nombre), comptait instaurer, au sein du Parti du Peuple Mauritanien, une pluralité de candidatures et donc admettre des courants dès le renouvellement de l’Assemblée nationale. La foi dominante alors était la démocratie par recherche du consensus et non, du tout, par l’alternance au pouvoir. La participation de tous à l’exercice du pouvoir comme le montra le constant renouvellement et l’élargissement du Bureau politique national, même à des cadres n’ayant pas la carte du Parti.
Le second a été – de loin – le plus constant de 1992 à la réélection du général Mohamed Ould Abdel Aziz : même pluraliste, le scrutin est dominé par le militaire candidat à l’élection ou à sa réélection. En Janvier 1992 et en Juillet 2009, les candidats issus de la « société civile » s’y trompèrent. Le candidat de l’administration, que celle-ci soit coloniale ou dépendante d’un conseil militaire, l’emporte. C’est de sociologie constante jusqu’à maintenant.
Le troisième type d’élection présidentielle – réalisé une seule fois, en Mars 2007 – est un scrutin vraiment à deux tours et sans les militaires, alors que l’élection avec une candidature militaire est de fait à un seul tour. Il a été discuté pendant le court exercice de la fonction présidentielle par Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, de savoir si – en réalité – le débat de celui-ci avec Ahmed Ould Daddah : tous deux avaient été ministres du « père fondateur », n’avait pas été entre les deux principaux tombeurs du colonel Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya. Le président du Conseil militaire pour la justice et la démocratie, le colonel Ely Ould Mohamed Vall (Dieu ait son âme) soutenant Ahmed Ould Daddah, « l’opposant historique» aux régimes militaires, et le colonel Abdel Aziz étant allé chercher Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi. Le concours entre deux civils étaient entre deux personnalités de la fin du régime fondateur, et ayant aussi bénéficié d’une carrière d’expert international. L’étranger, dont la France, penchait pour le troisième homme : Zeine Ould Zeidane, ancien gouverneur de la Banque centrale et aujourd’hui au F.M.I. Quoiqu’il en soit, l’élection du 25 Mars 2007 n’a pu être contestée tant elle avait été préparée et observée pendant près d’un an et en grande partie par des experts étrangers au pays. Elle est la seule jusqu’à présent.
Le processus électoral en cours ne sera définitivement caractérisé qu’à sa clôture. Il semble déterminé par une évidence mais aussi par une inconnue.
L’évidence est le poids de l’armée dans la consultation, sans cependant que depuis des années, sinon depuis l’origine des forces de sécurité proprement nationales, l’état d’esprit de la troupe soit connu ni que l’on sache si les choix de la « haute hiérarchie » : combien de personnalités au juste, s’en inspirent ou pas. L’élément déterminant n’est su que selon son poids mais pas selon sa consistance. Sans doute, le général Mohamed Ould Cheikh Mohamed Ahmed, dit El Ghazouani est tout désigné, comme ministre sortant de la Défense, comme chef d’état-major national pendant dix ans, pour bénéficier de cette sociologie. Et c’est ce qui manque à un candidat bien plus expérimenté, l’ancien Premier ministre, placé et rappelé si souvent à la tête du gouvernement après avoir été si avisé et si important pour éclaircir les finances et le budget de l’État à la suite du premier cycle de dictature militaire.
L’inconnue jouxte l’évidence, car l’exceptionnalité de l’élection à venir est – pour la première fois en Mauritanie – la transmission du pouvoir d’un militaire à l’autre, sans coup de force. Ou la tentative de cette transmission. Mais l’inconnue réside dans la relation entre les deux généraux, apparemment inséparables depuis quatorze ans. Le général Mohamed Ould Abdel Aziz a-t-il vraiment renoncé au pouvoir qu’il a exercé en nom propre pendant dix ans, mais surtout dans l’ombre pendant les vingt années précédentes. Et si oui, est-ce bon gré ? Le président sortant est-il l’arbitre ? celui qui peut détruire la candidature de son compagnon de « toujours » ? Auquel cas, l’élection va également mesurer son influence à venir. Trop d’incidents ces jours-ci confirment non seulement cette influence, mais même une capacité à détruire, qui paradoxalement ouvre le jeu aux candidats non-militaires. Capacité résiduelle qui donne à penser que – pour la première fois – l’armée ne serait pas en bloc pour le candidat issu de ses rangs.
Au stade actuel de la compétition, le scrutin de Juin prochain ne ressemble à aucun autre. Dictature et démocratie, rupture avec les règnes antérieurs, continuité au contraire d’une même philosophie de la souveraineté nationale, tant d’ingrédients sont réunis, sans qu’aucune tendance ne s’impose déjà, ni entre les concurrents ni entre les systèmes de pensée.
Bertrand Fessard de Foucault
28 Avril 2019
Source: Le Calame