Les Ressources Naturelles : opportunité ou malédiction pour les pays pauvres (Première question au futur président de la République)/Par Dr El Ghassem Ould Ahmedou

A un moment où notre pays s’apprête à inaugurer un nouvel épisode important dans son aventure minière à travers la coexploitation avec le Sénégal de grands gisements de gaz et de pétrole situés en en off shore au niveau des frontières maritimes entre les deux pays, Il est légitime de se poser un certain nombre de questions sur les retombées économiques et sociales de ces nouvelles découvertes.

La courte expérience de l’exploitation du gisement  de Chinghitti donne déjà un avant goût amer, une image instructive de la déception des populations mauritaniennes face au cycle continu d’exploitation des ressources naturelles du pays sans pour autant ressentir un quelconque impact sur la situation économiques des populations. Le pétrole, le fer, le cuivre et tout récemment le poisson…

La notion de malédiction des ressources naturelles est souvent évoquée pour rendre compte des problèmes multiples, rencontrés par les États pauvres, aux institutions fragiles, dans lesquelles de nouveaux gisements de matières premières sont mis en exploitation.

Dans des cas pareils, on parle de paradoxe de l’abondance, l’abondance en ressources se révélant, de manière inattendue, plutôt un handicap qu’un avantage.

L’expression « malédiction des ressources humaines »  a été utilisée, dans le Venezuela pétrolier des années 1950. Elle est revenue au goût du jour à la fin des années 1990, à l’aube d’un cycle de haut niveau des prix des matières premières. La malédiction des ressources naturelles n’est pas une théorie scientifique, c’est une lecture dominante des impacts de l’exploitation des ressources naturelles. Elle a été utilisée par des économistes de renom comme Paul Collier, Richard Auty, le prix Nobel Joseph Stiglitz, ou encore des politistes comme Mickaël Ross.

‘’Le syndrome hollanadais’’

Géraud Magrin, professeur de géographie, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, distingue 3 types d’impacts de l’exploitation des ressources naturelles en termes économiques, de gouvernance et de conflit. Ces impacts relèvent d’analyses menées à l’échelle nationale, autour de l’utilisation de la rente  obtenue à la suite de l’exploitation des gisements. Une quatrième dimension mérite d’être ajoutée : les impacts environnementaux et territoriaux, à l’échelle locale.

En termes macroéconomiques, plusieurs études réalisées ont montré que les pays, riches en ressources naturelles, avaient des taux de croissance économique plus faibles que la moyenne sur le très long terme. La notion de « syndrome hollandais », fait référence à la situation observée aux Pays Bas, à la fin des années 1960, quand il s’agissait d’exploiter les gisements de gaz de Groningue. L’exportation du gaz et les recettes en devises associées avaient généré une appréciation du taux de change qui avait pénalisé les exportations agricoles et industrielles du pays. On utilise donc de manière générale ce terme de syndrome hollandais pour désigner les effets négatifs sur les secteurs productifs, déjà existants, de la mise en exploitation de ressources naturelles. On observe aussi, dans bien des cas, que les économies basées sur l’exploitation des ressources naturelles sont peu diversifiées. Elles reposent sur des secteurs tournés vers l’exportation au détriment du reste de  l’économie nationale. Elles ont très peu de liens  amont, en termes d’approvisionnement, de sous-traitance. Elles ont aussi très peu de liens aval, les ressources naturelles extraites sont le plus souvent  exportées sans transformation.

Donc ces économies demeurent très dépendantes des exportations. Elles sont souvent victimes de  la volatilité des cours des matières premières et de la baisse des prix. Elles  dépendent de l’évolution de la demande mondiale et des grands cycles économiques.  Les pays riches en ressources naturelles à cause de leurs économies peu diversifiées sont en situation de forte dépendance, vis-à-vis des spéculations et des fluctuations des cours des matières premières.

En période de hausses des prix, les gouvernements augmentent les dépenses. Géraud Magrin note qu’ Il y a trois modalités principales : les gouvernements peuvent recruter des fonctionnaires, ce qui fournit une clientèle politique. Ils peuvent lancer des travaux d’infrastructure qui sont nécessaires, mais qui permettent aussi d’alimenter la corruption (dessous de table, marché de gré à gré, favoritisme). Ils peuvent fournir des subventions aux produits de première nécessité : le riz, le blé, le sucre, l’huile, l’électricité, l’eau, ce qui permet de maintenir la stabilité sociale. Quand les prix se retournent, quand ceux des matières premières chutent, les gouvernements ne peuvent plus faire face à toutes ces dépenses : les grands chantiers sont arrêtés, les subventions diminuées, ce qui crée des tensions sociales dans les villes, comme ce fut le cas en en Algérie ou au Nigeria. Ce qui conduit à un autre paradoxe : les États doivent s’endetter. En Afrique, on constate que lorsque les prix des matières premières baissent, les États les plus richement dotés en ressources naturelles s’endettent beaucoup et sont parfois parmi les plus endettés. Si vous êtes riche en pétrole, vous trouverez toujours un opérateur pour vous prêter beaucoup d’argent, même à des conditions peu avantageuses.

Deuxième aspect, les problèmes politiques. L’opacité qui entoure la gestion des rentes, tirées des ressources naturelles, est favorable au clientélisme qui caractérise la plupart des systèmes politiques en Afrique. Cela s’explique en analysant l’influence négative des systèmes rentiers sur la fiscalité et la démocratie. La rente dispense de la fiscalité. Si un gouvernement dispose de revenus élevés, grâce à une rente tirée de ressources naturelles, il n’a pas besoin de faire payer des impôts. Le citoyen qui ne paie pas d’impôt n’est pas enclin à demander des comptes sur la manière dont les ressources publiques sont utilisées. La logique de redevabilité, d’imputabilité ne fonctionne pas. Ce dysfonctionnement s’étend à celui de la démocratie, finalement. Dans un tel système rentier, avec en plus des citoyens qui sont souvent peu éduqués et un accès à l’information limité, il est plus efficace, pour des politiciens, de corrompre des porteurs de voix, de donner un peu d’argent à des chefs traditionnels ou à des « big men » qui ont de l’influence, plutôt que de fournir des biens publics aux citoyens, afin d’être réélu ou élu. La faiblesse des moyens de contrôle et de contre-pouvoir au sein de l’État, le Parlement, la Cour des comptes, la justice, sont souvent peu fonctionnels et indépendants, ou en dehors de l’État, la société civile, les médias, ne sont pas souvent au niveau d’influence qu’ils pourraient être.

‘’Etats faillis’’

Dans ce contexte l’Etat n’est plus solvable. La notion « d’État failli » a été forgée par la Banque Mondiale, au début des années 1990, pour désigner des États considérés comme des menaces pour leur population mais aussi et surtout pour l’ordre international. Des États faillis, ce sont des États qui ne remplissent pas les fonctions attendues d’un État moderne, c’est-à-dire des fonctions régaliennes, le monopole de la violence légitime, associées à des fonctions de légitimation comme fournir des biens publics : l’éducation, la santé, l’eau, etc. Pour le politiste Soares de Oliveira, certains États pétroliers sont même des États faillis durables car ils remplissent la définition des États faillis, mais en plus, leur rente pétrolière les rend durables. Elle leur fournit des moyens de coercition nécessaires à leur maintien. Ils sont en même temps soutenus par le système politique international qui a besoin d’États pour exploiter le pétrole. L’Angola, sortant de la guerre civile au début des années 2000, illustre bien cette situation. C’est le deuxième producteur de pétrole d’Afrique subsaharienne depuis très longtemps, et à cette époque-là, il dépensait des montants insignifiants pour l’éducation ou la santé, alors que les dépenses militaires étaient 10 à 15 fois supérieures.

Enfin concernant  le troisième aspect lié aux conflits, il est à noter qu’il y eut très peu de conflits internationaux en Afrique dont la cause principale est le contrôle des ressources naturelles. Il y eut certes un conflit frontalier de basse intensité entre le Nigeria et le Cameroun qui se disputaient la presqu’île pétrolière de Bakassi, dans les années 1990, mais la plupart des conflits autour des ressources naturelles sont des conflits internes. Le contrôle des ressources naturelles alimente la convoitise de certains acteurs politiques, le conflit vise alors à s’approprier la rente. La commercialisation des ressources permet de financer les conflits, qui sont, en moyenne, plus longs et plus violents qu’ailleurs. Par ailleurs, la nature des ressources influence celle des conflits. Les ressources dont les gisements sont géographiquement concentrés, qui exigent pour leur exportation des infrastructures coûteuses, mais dont les rentes sont de ce fait contrôlées par les États, donnent lieu à des tentatives de sécession. Ces tentatives ont connu des échecs au Katanga au Congo, au début des années 1960, de même qu’au Biafra au Nigeria. Plus récemment, au Soudan du Sud, la tentative de sécession a été couronnée de succès et le Soudan du Sud a accédé à son indépendance en 2011. Les ressources diffuses qui sont à forte valeur et à faible poids, qui peuvent être exportées en contrebande, sans infrastructure lourde, et ainsi échapper au contrôle des États, alimentent plutôt des rébellions qui s’ancrent sur les périphéries des territoires.

Dans ce cadre on ne peut que prendre en compte les menaces sécuritaires en rapport avec la convoitise de la rente financière lié au dispositif d’exploitation naturelle de la ressource.

A travers ces différentes analyses, il s’avère que dans le contexte actuel en Mauritanie la question principale qui se pose au futur président de la République est d’amorcer le véritable virage qui permettra au gaz et au pétrole de dévier de la trajectoire successive du fer, du cuivre, du poisson et de l’or…. Sur la voie d’une réelle émergence économique et sociale  à travers un réel développement  des secteurs de base : éducation, santé, sécurité et industrie…Comment ?