Le 08 mars 2019 – Le Cridem
Le président Mohamed Ould Abdel Aziz a porté son choix sur le général Ghazwani pour le succéder à la tête du pays. Quelles sont, à votre avis, les raisons qui justifient ce choix? Ghazwani pourrait-il incarner le changement ou la continuité?
Mohamed Borbosse : Je vous remercie et à travers vous toute l’équipe du Calame pour m’avoir donné l’occasion de m’exprimer sur des sujets aussi brûlants et actuels qu’importants pour le devenir de notre classe politique que celui de notre aimable patrie.
Laissez-moi être franc avec vous. Contrairement à ce que certains veulent faire croire ou se faire croire à eux-mêmes et souvent dans des affirmations on ne peut plus gratuites que tendancieuses et regrettables, le Bloc de l’Opposition Dialoguiste (BOD) a été un des acteurs sérieux, crédible et responsable du dialogue national inclusif dans tout le processus déjà effectué et le demeure.
Quoique composé de plusieurs partis politiques, différents de par leurs visions, leurs préoccupations et leurs objectifs, ils ont pu jusqu’à présent fait preuve de maturité, de dépassement de soi et de sens de patriotisme qui leur ont permis de faire un bon bout de chemin sans gros accrocs en dépit des soubresauts rencontrés mais ils ne sont pas un appendice du pouvoir, loin encore de sa majorité.
C’est vous dire très sincèrement que les raisons du choix du Président Mohamed Ould Abdel Aziz de son alter égo nous dépassent, tout au moins nous au niveau du Parti de la Construction et du Progrès. Ne connaissant pas l’homme et n’ayant jamais eu l’occasion de le rencontrer jusqu’à l’écriture de ses lignes, nous ne pouvons en rien le juger.
Qu’est ce que cet homme incarne, avec tout le respect qu’on a pour sa personne, on en sait pas trop. Nous avons cependant entendu son discours qui a été à plusieurs points de vue rassurant. Il a même divorcé tant dans les convictions affichées que dans les engagements pris avec son parrain et son équipe mais ce discours reste une déclaration de candidature jusqu’à que notre ami puisse nous ravir le fauteuil de la Magistrature Suprême et qu’il soit mis à l’épreuve, puisque pour votre information, nous avons déjà au niveau de notre parti notre candidat, soit dit en passant.
Mais en dépit de ce choix, ce candidat ne sera pas investi par l’UPR, principal parti de la majorité présidentielle. Que pensez-vous de cette situation quelque peu inédite ? Qu’entend faire la coordination des partis à laquelle vous appartenez pour soutenir ce le candidat d’Ould Abdel Aziz ?
Pas que je sache. J’ai vu et entendu les campagnes médiatiques, les réunions, rencontres et entrevues faites et par le Président de la République et le Président de l’UPR pour présenter l’homme comme candidat unique de leur mouvance.
Ould Maham, dans le congrès de son parti, l’a également présenté comme leur candidat et une motion de soutien a été faite dans ce sens sur sa proposition et lue publiquement et par qui, par celui qu’on a souvent présenté à travers une certaine presse comme son ennemi juré. Ghazouani est le choix du président de la République et les amis du président ont bien marqué le pas. Voila mon constat.
Si par coordination des partis, vous vous adressez au (BOD), je crois qu’à défaut de pouvoir s’entendre pour soutenir un des leurs (deux d’entre eux se sont déjà déclarés candidats) pour ceux qui ne sont pas fait dissous ou ont déjà soutenu un candidat, chacun est libre d’’opérer le choix qu’il juge le meilleur pour sa formation si leur majorité n’est pas illégalement dissoute d’ici-là.
-Pensez-vous, comme certains mauritaniens, qu’avec la situation du pays, seuls les militaires peuvent le diriger ?
-Civils ou militaires à la retraite, il s’agit là d’hommes qui ne peuvent être jugés qu’à travers leurs engagements et leurs actions. Le fauteuil présidentiel n’est pas la chasse gardée de qui que ce soit. On a bien vu des civils échouer dans la gestion de leur pays et on a vu des militaires réussir. Les exemples sont là et patents. Le sens du patriotisme, l’engagement, la volonté politique, la capacité à diriger les hommes et l’ouverture sur les autres restent les garants majeurs de la réussite d’un Président.
– La désignation d’un militaire qui a occupé des postes stratégiques depuis plus d’une dizaine d’années ne risque-t-elle pas de fausser l’alternance démocratique et partant porter encore un coup aux partis politiques et à la démocratie mauritanienne?
Pas forcément. Peut-être que oui et peut-être que non ! Et puis l’alternance et les coups portés aux partis politiques et à la démocratie, qu’est ce qu’ils n’en ont pas connu déjà ?
– La présidentielle c’est dans près de 4 mois, et aucun consensus n’est en vue entre le pouvoir et l’opposition. Comment entrevoyez-vous cette échéance cruciale ? Que faudrait-il faire d’ici là pour la rendre consensuelle et crédible ?
-Très désolé de vous entendre dire qu’aucun consensus n’existe entre pouvoir et opposition ! Si encore une fois il n’y a pas une main invisible, un démiurge qui choisit à la place des autres ce à quoi ils décident d’y appartenir et si l’opposition n’est que le cadre pour celui qui se l’est voulu, nous sommes, nous autres du (BOD) de l’opposition et c’est bien notre choix à nous.
Nous avions été les auteurs d’un dialogue qui a profité à tous. Nous n’avions certainement pas tout réussi mais nous avions pu par nos sacrifices, notre patriotisme décrisper un climat politique et social explosif, parfois à nos dépens.
Permettez-moi de vous rappeler qu’en 2011, lorsqu’il n’y avait que quelques partis, à compter sur les bouts des doigts d’une main qui se sont engagés dans un dialogue avec le pouvoir, cela n’a pas suscité cette pluie de dénigrements et de négations. Pourquoi, cette fois-ci, alors que les résultats de celui de 2016 sont loin d’être comparables du point de vue qualités et quantités avec celui de 2011, avec tout le respect que j’ai pour ses organisateurs?
Pour ce qui est des élections en vue, je suis d’avis avec vous qu’Il s’agit bien là d’une échéance cruciale qui, si elle est bien menée, bien gérée, le pays, les partis politiques et notre démocratie s’en sortiront renforcés. Si par contre, elle ne sera qu’une des recettes électorales déjà vécues et subies, tout ce que nous avions avancé comme sacrifices ne serait que peine perdue.
Pour qu’elle soit donc consensuelle et crédible, il y’a bien lieu d’impliquer tous les acteurs dans le processus électoral en vue par une véritable collaboration des protagonistes dans la gestion de toutes les opérations en amont, pendant et en aval, ayant trait aux élections et la recomposition de la CENI en vue de mieux représenter l’opposition dont la représentativité s’est vue trop réduite à cause du départ de certains de ceux qui la composait, d’imposer la neutralité de l’administration et des forces armées et de sécurité, de faire profiter les candidats de ce que leur offre la loi comme moyens financiers, accès aux médias, entre autres.
-Depuis quelques années, l’Unité Nationale ou la cohabitation entre les communautés agite l’arène politique ; la question de l’esclavage et le passif humanitaire cristallisent les débats. La composante noire du pays s’estime marginalisée. Pensez-vous que l’organisation d’une marche contre la discrimination et la haine, le 9 février 19, l’institution d’une journée nationale de lutte contre la discrimination et la haine, l’adoption d’une loi punissant les propos pouvant saper l’unité nationale constituent un remède contre le mal qui mine la cohésion nationale ?
Loin s’en faut. Cette marche et ce qui s’en est suivi, c’est juste ou le voleur qui crie au voleur ! ou une volonté maligne et démesurée d’étouffer toute plainte ou complainte des victimes d’injustices, d’exclusion et d’abus. Pour l’histoire, nous nous sommes bien prononcés en tant que (BOD) mais aussi individuellement contre son organisation pour des raisons multiples dont :
-pourquoi ne pas s’attaquer au mal à partir de sa source et de ses racines plutôt que de s’attaquer à ses conséquences ? En d’autres termes, pourquoi ne pas chercher à trouver des solutions aux raisons qui ont poussé à ses propos et comportements que de s’attaquer à ceux qui réagissent pour avoir subi de mauvais traitements ?
-l’inopportunité de la part d’une République de se lever contre des individus épars qui se sont même mal comportés alors que cette République à des institutions et cadres à même de jouer leur rôle dans la sécurité et la régulation de la liberté d’expression.
C’était donc peut-être là des subterfuges et des gesticulations pour noyer le poisson.
Après plusieurs entrevues avec les organisateurs de cette marche, nous avions accepté d’y participer mais avec nos conditions.
Nous, au niveau du parti de la Construction et du Progrès, nous avions confectionné nos banderoles propres à nous et portant nos discours soulignant de façon expresse que nous étions bien évidemment contre la haine, le racisme et l’extrémisme mais que nous nous battrons jusqu’à la dernière goutte de notre sang contre l’esclavage, l’exclusion, la marginalisation et tous les maux sociaux dont souffrent encore une grande partie de nos concitoyens.
D’autres formations ont fait comme nous aussi. C’est peut-être d’ailleurs la raison de notre séquestration dans des bus envoyés par le Président de l’UPR et sous la supervision de son Directeur de Cabinet qui nous ont obligé à nous rendre à l’Hôtel Emira depuis 8heures du matin, nous parquer dans les bus jusqu’au-delà de 10 heures pour que la marche et le discours soient lancés avant nous et qu’on nous largue en fin de compte je ne sais où sans jamais avoir accès à la tribune comme convenu.
L’unité nationale, la cohabitation, l’esclavage et ce qui reste encore du passif humanitaire, ceux qui ont notre destinée en ont malheureusement une autre lecture et appréciation, tout au moins apparemment. On se plait plutôt dans leur cercle à vilipender tout celui qui ose sonner l’alarme et distraire tout celui qui s’intéresse de près et avec sérieux à ses maux.
-Vous êtes, si je ne m’abuse le président du comité de suivi des résultats du dialogue de 2016 qui a renouvelé, il y a peu son bureau. Quelle évaluation vous faites de la mise en œuvre des résolutions ? Etes-vous satisfait de la manière avec laquelle fonctionne le comité ?
-Pour votre information, quand il s’est agi de reconstituer le pôle de l’Opposition Dialoguiste après le départ du parti Al Wiam et après la prise de contact avec l’actuel Ministre Secrétaire Général de la Présidence, nous avions convenu d’une réunion au palais des congrès à laquelle tous avaient accepté d’y participer sauf Al Wiam et le Congrès désormais affiliés à l’UPR.
Le jour j, nous avions été surpris par l’absence de l’un de nos amis qui par la suite a dit ne plus vouloir assister pour des raisons qu’il se réserve d’évoquer. Et sur les huit partis de l’opposition membres du comité de suivi, sept ont proposé le bureau dont ils m’ont confié la présidence.
Proposition qui sera entérinée par onze partis sur douze. Le douzième étant celui qui s’est refusé lui-même d’assister. C’est vous dire que tout a été fait dans les règles de l’art et de la démocratie mais nous avions malheureusement constaté que cela n’a peut-être pas plu à notre partenaire d’où notre constat de quelques comportements et attitudes pas très conviviales. Tout de même, nous, nous continuons notre petit bonhomme de chemin.
Ceci dit, j’ai bien mes griefs contre la mise en œuvre des résultats et recommandations du dialogue 2016 mais cela n’entache en rien mes satisfactions dues à la dissipation de ce climat délétère qui planait sur notre pays et notre classe politique, ni sur l’évolution, ne serait-ce que dans le cadre de la législation renforçant les bases démocratiques dans notre pays entre autres.
Vous parlez des Ministres Secrétaires Généraux de la Présidence mais lequel ? Ils sont trois.
De Moulaye Ould Mohamed Laghdaf, passant par Seyidna Aly Ould Mohamed Khouna et arrivant à Cheikh Mohamed Ould Cheikh Sidya, que de péripéties et de différences!
Avec Moulaye, le plus difficile a été réalisé, les préparatifs, l’organisation, la tenue des sessions du dialogue, la gestion des divergences et susceptibilités avec des hauts et des bas.
Avec Seyidna Aly, c’était la poursuite de ce programme et l’adoption de plusieurs lois et décisions.
Avec le dernier, cependant il s’est agi juste d’une prise de contact consacrant une déclaration d’intention qu’on attend voir se concrétiser en action alors que le mandat du parrain du dialogue tend à sa fin dans quelques courts mois en dépit de ce que nous avions déployé comme tentatives de reprises des assises, en vain.
Propos recueillis par Dalay Lam