Le 18 janvier 2016, une foule nombreuse et fervente se pressait au parlement européen à Bruxelles pour assister au lancement de « la Fondation pour l’égalité des chances en Afrique » de Mohamed Bouamatou. « J’ai fait ce rêve d’une Afrique où le pouvoir ne soit pas un raccourci vers l’enrichissement, proclamait Mohamed Bouamatou pour présenter sa Fondation, où l’accès à l’école, à la santé et à la justice soit garanti, où les élections soient transparentes et où la corruption soit bannie ».
Et le même d’insister: « J’ai fait ce rêve d’un continent où les fruits du travail seraient bien partagés. » L’assemblée de quelques trois cent personnes réunie dans l’enceinte du parlement européen avait redoublé d’applaudissements quand il avait appelé avec passion à « une Afrique plus solidaire ».
A la tribune et aux cotés de Mohamed Bouamatou, se trouvaient le belge Louis Michel, longtemps commissaire européen « au développement et à l’aide humanitaire »; l’avocat Georges-Henri Beauthier, connu pour son engagement courageux en faveur des droits humains; ou encore le médecin congolais Denis Mukwege, « l’homme qui répare les femmes » violées dans son pays et le premier à recevoir un prix de la « Fondation pour l’égalité ».
La solidarité n’est pas un vain mot chez Mohamed Bouamatou qui a créé en Mauritanie, voici des années, un hôpital ophtalmologique, le plus grand d’Afrique, entièrement financé sur ses deniers. A l’image des milliardaires Bill Gates et Mo Ibrahim qu’il admire, cet homme qui passe pour riche a toujours investi pour soutenir l’éducation, la santé et la bonne gouvernance. «Quand une Ong répond à mes convictions, je la finance», explique-t-il volontiers. Un Soros africain ? Mohamed Bouamatou sourit, la comparaison ne lui déplait pas vraiment.
Un ambitieux projet
Homme du sérail, sans doute, et à ce titre disposant d’un formidable carnet d’adresses sur tous les continents, Mohamed Boumatou a toujours mis en avant les valeurs de fraternité. Derrière la profession de foi humanitaire, perce, depuis longtemps, un ambitieux projet pour son pays.
Rien ne prédisposait Mohamed Bouamatou, né dans une modeste famille de dix enfants et trop vite orphelin de père, à être candidat aux élections présidentielles, comme il pourrait l’être au printemps prochain. Incroyablement doué pour les chiffres, les dates et le calcul mental, le jeune Bouamatou débute comme comptable. Très jeune, le futur patron des patrons se lance dans les affaires, crée des fabriques de produits alimentaires qu’il revendra pour ouvrir des boulangeries et exploiter des taxis.
A la force du poignet et avec un grand talent relationnel qui lui vaut aujourd’hui tant de fidélités, le « Citizen Kane » mauritanien crée un empire industriel, qui emploie des milliers de salariés dans les secteurs aussi variés que l’assurance, la banque, l’aviation, le ciment ou la téléphonie…Pas un domaine qui échappe à sa boulimie légendaire et à un redoutable sens des affaires. Du moins jusqu’à la rupture avec l’actuel président Mohamed Ould Abdel Aziz, qu’il avait pourtant aidé à asseoir son pouvoir en 2008. « Ce jour là, concède-t-il sobrement, j’ai commis une lourde erreur pour la Mauritanie».
Depuis leur brouille voici huit ans, le président Aziz s’emploie à dépecer, morceau par morceau, le premier groupe industriel mauritanien et à le cloner à son profit.
Un pavé dans la mare
Longtemps Mohamed Bouamatou a espéré que son frère d’armes, Ely Ouls Mohamed Vall, porterait les couleurs du combat qu’ils menaient en commun contre le régime. La disparition brutale et éminemment suspecte de cet ancien Président mauritanien, le 5 mai 2017, laissa un vide qui a précipité Mohamed Boumatou dans l’arène politique. Lui dont la parole publique avait toujours été rare, lance l’été dernier, un véritable pavé dans la mare.
« Voilà dix ans que notre peuple souffre sous une dictature brutale et impitoyable. Voilà dix ans que la Mauritanie est prise en otage par un rebelle qui s’est emparé du pays par un coup de force militaire pour installer un pouvoir personnel sans partage et faire main basse sur les biens de l’Etat et les ressources de la Nation.
Voilà dix ans que nos libertés sont bafouées et nos concitoyens exposés aux pires avanies de la police politique. Il ne se passe pas un jour sans que des opposants, des militants de droits de l’homme ou des journalistes ne soient arrêtés et jetés en prison ».
L’exil au Maroc et en Europe a aiguisé le regard de Mohamed Bouamatou, conforté ses convictions, renforcé sa détermination. Loin de la Mauritanie qu’il a du quitter face aux persécutions du régime, le grand industriel est devenu un citoyen du monde. Sa hauteur de vues et son ouverture à la modernité restent chez lui tempérées par une générosité sans failles et une fidélité jamais prise en défaut à ses amis.
Si l’opposition mauritanienne demande son soutien à Mohamed Bouamatou dans la bataille contre le régime en place, on peut imaginer que cet homme de devoir ne se dérobera pas.
Par Nicolas Beau
Source : Mondafrique