À Doha, des pistes pour sortir le Sahel de la crise sécuritaire

À Doha, des pistes pour sortir le Sahel de la crise sécuritaire Lors d’une table ronde sur la sécurité au Sahel, organisée dans le cadre du Forum de Doha (Qatar), plusieurs intervenants de haut niveau se sont accordés sur l’idée que la seule réponse militaire ne pouvait suffire à contrer le terrorisme dans la région, soulignant la nécessité de politiques publiques plus fines et mieux adaptées au contexte local.

Outre la présence de très nombreux officiels du continent, la question de la militarisation du Sahel a aussi été abordée lors de la 18e édition du Forum de Doha. Autour de la table ce dimanche 16 décembre, Moussa Mara, ancien Premier ministre malien, Yéro Boly, ex-ministre de la Défense burkinabè, Philip Carter III, ancien ambassadeur américain à Abidjan, et Monica Juma, secrétaire du cabinet des Affaires étrangères kényane.

Lors de cet atelier, Hannah Armstrong, chercheuse à l’International Crisis Group, a d’abord fait valoir l’expérience nigérienne en matière de décentralisation. Alors que la situation régionale se détériorait, le Niger est en effet parvenu à demeurer stable, les responsables locaux aux frontières étant directement impliqués dans la préservation de la sécurité nationale.

Maintenir le dialogue

« Au Mali, nous avons remarqué que lors de l’occupation, les services administratifs de l’État sont partis mais les maires sont restés. Ils se sentent beaucoup plus concernés par les questions locales que les fonctionnaires qui viennent d’ailleurs, a abondé Moussa Mara. Il faut faire en sorte que nos États occupent le terrain. Tant que les services [publics] ne fonctionnent pas, il y aura toujours le risque que les populations aillent dans les mains des malfaisants. (…) Lorsque ces groupes ont pris le nord du Mali, ils ont mis en place des tribunaux islamiques. Et quand l’État a reconquis les territoires, l’écrasante majorité de la population trouvait que les tribunaux islamiques étaient beaucoup plus justes que les tribunaux étatiques classiques. »

L’ancien Premier ministre malien a également relativisé le rôle du radicalisme religieux dans le recrutement des groupes terroristes, pour mettre en avant le manque de perspectives d’avenir. S’appuyant sur des enquêtes menées auprès de jeunes recrues arrêtées, il estime que la promesse d’un revenu régulier est l’un des plus puissants facteurs d’adhésion aux groupes terroristes.

Dans ce domaine encore, la méthode nigérienne a été saluée par Hannah Armstrong : « Ils ont une approche de la sécurité fondée sur le dialogue ». Le mot est lâché. « Cette notion ne doit surtout pas être un tabou. Quand une partie de la société croit en quelque chose, on ne peut pas combattre cette idée par la force. Il faut essayer par la discussion et des arrangements institutionnels de satisfaire aux attentes les plus crédibles et pertinentes des populations », a argumenté Moussa Mara. « Il faut chercher avec qui parler, se rapprocher de ces groupes-là pour savoir ce qu’ils nous reprochent », a également admis Yéro Boly.

Déconnexion du terrain

Autre cause, selon le panel, du divorce des populations avec l’État : la déconnexion d’une partie des élites de la région avec la réalité sociale de leur pays. « Nous avons importé des concepts sans forcément les comprendre, notamment la laïcité. Beaucoup de responsables publics dans nos pays estiment que la laïcité veut dire surtout pas de religion, alors que les populations sont profondément religieuses. On copie et on colle et on s’étonne que ça ne marche pas ! Nous devons adapter ces concepts à nos réalités », a insisté Moussa Mara.

Philip Carter a de son côté soulevé la question de l’aide au développement : « Elle doit être déterminée par les besoins locaux, alors qu’elle est la plupart du temps conçue à Washington, Paris ou Bruxelles. Un renforcement réel des communautés passe par la gestion locale de ces ressources. »

Depuis 2012, le Sahel fait l’objet d’une intense campagne militaire destinée à venir à bout des différents groupes terroristes qui déstabilisent ce vaste territoire transfrontalier. Face à la résilience de la menace, l’approche exclusivement sécuritaire suscite aujourd’hui doutes et critiques.

Par Jihâd Gillon – envoyé spécial à Doha

Source : Jeune Afrique