Lundi 03 août 2018, Il est midi, au siège de la CENI. Des policiers dressent un barrage devant l’entrée principale pour filtrer les entrées. Tout le monde veut connaitre les premiers résultats avant… tout le monde. La pression monte au fil du temps. Les résultats tardent. Au rez-de-chaussée, un studio de la TVM donne les résultats bureau par bureau en direct que leur distille la commission chargée de les recueillir et les traiter. Au deuxième étage, le président de la Commission, les traits tirés, a conscience de l’ampleur de la tâche. Dernier nommé parmi les sept sages, il a pris le train en marche, ce qui rend d’autant plus sa mission délicate. Mais il se dit prêt à relever le défi. Entretien exclusif.
Le Calame : Vous êtes le dernier membre de la Commission à être nommé et vous avez hérité de sa présidence. Comment avez-vous accompagné le mouvement ?
Mohamed Vall ould Bellal : J’ai prêté serment le 20 ou le 21 juillet. Il fallait se préparer à affronter l’élection qui a principalement quatre caractéristiques. Premièrement, tous les acteurs politiques y participent. Une denrée rare, depuis quelques années, et même exceptionnelle, avec 98 listes en compétition. Seconde particularité, elle se tient dans un délai court extrêmement restreint. Chaque fois que j’ai essayé de lui donner un peu plus de latence, j’ai buté sur cette question de loi imposant l’ouverture du prochain Parlement au 1er Octobre. Cette disposition a barré la route à tout report. Il fallait se mettre au travail sans tarder. Troisième particularité, elle se tient en période d’hivernage : malgré les pluies et les conditions météorologiques, il faut faire face au défi, très fort, d’acheminer à temps et partout le matériel électoral, mettre en place les bureaux et le personnel ; bref, être au rendez-vous. Dernière particularité, elle se tient sous l’égide d’une CENI ouvertement politique, pour la première fois, émanation des partis politiques qui ont participé au dialogue.
Tout le monde regrettait l’absence de plusieurs formations politiques importantes au sein de la commission. C’est encore une autre particularité, un autre trait de caractère de cette élection. Ajoutons-y le fait qu’elle se tient alors que tous les regards sont portés vers 2019 où se tiendra une autre importante élection : la présidentielle. Tout ceci m’a fait immédiatement comprendre la force du défi et l’immensité de l’enjeu. Il faut vivre avec une CENI émanation des partis politiques mais qui se réclame indépendante et prendre, à bras le corps, cet immense travail, dans un délai très court. C’est avec cet esprit que je l’ai entamé, en me disant que rien, absolument rien ne m’empêcherait de respecter mon serment qui repose sur trois inébranlables piliers : le dévouement vis-à-vis de la mission, la neutralité en plein respect de la loi et le secret des délibérations. Ce trépied, je peux l’assumer.
– En acceptant ce pari, ce challenge, vous devez avoir bon dos, pour accepter toutes les critiques qui ne manqueront pas de pleuvoir sur vous ?
– La vie est ainsi faite ! Depuis mon jeune âge, je me suis tenu à ce que me dicte ma propre conscience. Je l’ai toujours écoutée et m’y suis attaché. « Ils ont dit », « qu’en dira-t-on », commentaires à droite et à gauche, coups reçus de gauche à droite, ne m’ont jamais ébranlé… Je n’y ai jamais accordé la moindre importance. Je ne me suis jamais imposé l’effort de soigner mon image. Je garde toujours mon point de vue, aujourd’hui, la position que j’occupe en acceptant ce défi.
Je me suis dit, si ce n’est moi, ce sera quelqu’un d’autre. J’entends les critiques, nous recevons les coups de partout. Mais il faut apporter la preuve que si c’était quelqu’un d’autre, ce serait mieux. Je suis à l’aise, en paix avec ma propre conscience. Je ferai ce qui pourra être fait. Dès le début, j’ai mis la barre à un niveau modeste et réaliste. Je me suis dit : la dernière fois que j’ai parlé dans une radio étrangère, c’était RFI : « Je m’emploierai à améliorer l’existant. Je n’ai jamais promis monts et merveille, ni que je vais révolutionner l’élection en Mauritanie. Si cela devait arriver, ce ne sera, en tout cas pas, avec cette élection et ses 98 listes. En telle situation d’atomisation, d’émiettement des structures, en l’absence ou, plutôt, déstructuration de notre système politique, cette élection ne peut pas être merveilleuse. Je me suis donc dit : « on va améliorer l’existant, faire mieux que par le passé ». Et malgré les difficultés réelles que j’ai évoquées plus haut, on va travailler. Je crois que ce pari est gagné.
– Le fait que cette CENI soit l’émanation des partis politiques ne va-t-il pas l’handicaper, nuire à son travail. Chacun cherchera à tirer vers le parti qu’il représente. Ça ne va pas poser problème ?
– Il y a de réelles barrières psychologiques, entre la CENI et la majeure partie de la classe politique mauritanienne, notamment avec les partis participant à cette élection. De fait, cette barrière est beaucoup plus psychique, psychologique, elle n’existe pas sur le terrain. Tout le monde travaille avec la CENI, tout le monde se concerte et coordonne avec elle. Je dois témoigner, personnellement, de ce que je n’ai que rarement senti que la CENI et même ses membres appartiennent ou aient appartenu à des partis politiques, ni même que tel ou tel de ceux-là représentent tel ou tel de ceux-ci. Je crois que les membres sont tous dignes d’y être. Ils respectent tous leur serment et travaillent à l’accomplissement d’une bonne élection. Cela n’empêche pas que des préjugés existent à ce sujet, au sein de la classe politique.
– Malgré tout cela, peut-on considérer que vous avez été bien pourvus, au jour J, que tout fut disponible et tout le monde présent ?
– Il y a eu des défaillances et des lacunes, c’est sûr ! Des relâchements, notamment des électeurs ne sachant pas très bien où ils devaient voter, où étaient-ils inscrits, où apparaissaient leur nom. À cela, deux raisons. D’une part, le nombre de scrutins combinés en un seul a obligé de modeler les bureaux de vote par le haut, en fixant un maximum de cinq cents électeurs par bureau. Cela a conduit à démembrer la plupart des bureaux à Nouakchott. Avec plus de six cents bureaux, leur nombre s’est vu quasiment doublé. Les gens habitués à voter à l’école 1, dans un seul bureau de huit à neuf cents électeurs se sont retrouvés partagés entre l’école 1 et une autre et à chercher, en conséquence. Nous n’avons notamment pas maîtrisé cette situation à Tevragh Zeïna… quoique nous ayons tout fait pour l’éviter. Nous avons ouvert un numéro d’appel téléphonique très court, le 1717, permettant aux gens de connaître la situation de leur bureau de vote, à partir de leur numéro d’identification. Mais ce dispositif a été très vite dépassé, par la multiplication des bureaux. Ce fut le véritable problème de ce premier tour. À part cela, le matériel électoral était bien sur place. Il y a eu aussi quelques erreurs, dans la ventilation et le dispatching des bulletins et des extraits. On a été parfois amené à poser un extrait d’un bureau dans un autre. Mais tout cela a été vite contenu. Globalement, je crois donc qu’on était plus ou moins prêt, mis à part cette situation d’errance des électeurs, en certains endroits à Nouakchott.
– Des représentants de la CENI ont été changés, en diverses villes du pays, juste avant le scrutin ; à la demande de certains notables, dit l’opposition…
– Si cela a été le cas, disons que ce fut match nul, entre les deux camps. On nous l’a d’abord reproché, mais il n’y a jamais eu d’affectation en plein travail. Le cas de Boutilimitt a fait couler beaucoup d’encre. On y a affecté quelqu’un, alors que la première étape des préparatifs de l’élection était achevée. On a laissé finir tout le travail du RAVEL, et recevoir toutes les listes, jusqu’à leur validation. De cet instant à l’ouverture de la campagne, c’était temps mort. On a alors profité de ce laps de temps, entre deux tempêtes disons, pour procéder au redéploiement des hommes, en certaines moughataas, pour plus d’efficacité et mieux entrer, ainsi, dans la seconde campagne électorale. Cela a répondu, parfois, à des demandes ou desiderata de la majorité, en certains endroits, cela a répondu aussi à des demandes ou desiderata des forces dites de l’opposition, en d’autres lieux. Quoique le regard que nous portons sur les partis, nous, à la CENI, dépasse désormais la considération de l’opposition dialoguiste ou non pour atteindre celle des participants à cette élection, un point, c’est tout !
– Staline a dit : « Dans une élection, les plus importants, ce ne sont pas ceux qui votent mais ceux qui comptent »… Pouvez-vous assurer que le compte sera toujours bien fait, là-bas comme ici ?
Le compte sera toujours bien fait. L’essentiel est que les PV qui nous parviennent soient, eux, bien faits et bien validés. Si c’est le cas, je peux assurer et garantir, à tous les Mauritaniens, que ce qui se passera, ici, sera juste et transparent. De toutes les façons, tous les partis sont acceptés et invités, auprès de nos structures en charge des dépouillements, jusqu’à la proclamation des résultats. Les présidents de partis politiques sont autorisés à se présenter auprès de chaque direction de la CENI.
– Le plus important, pour vous, Mohamed Vall ould Bellal, est de partir avec le sentiment du devoir accompli ?
– Je l’espère ! À ce jour, je me reproche certaines choses, certains comportements. J’ai été, certainement, en-deçà de ce que je devais être. Mais, globalement, je crois qu’au stade où nous en sommes, je m’en sortirai avec le minimum de dégâts. Personnellement, je pense que je sortirai correctement de cette affaire, par rapport à mon image, ma personnalité et ma crédibilité. Avec quelques dégâts, sûrement, mais pas trop.
– Pour vous, le plus dur reste à faire ?
Franchement, le plus dur est dépassé. Le plus dur, c’était de faire voter ces quatre mille quatre-vingt bureaux de vote, les ouvrir et organiser l’élection avec le matériel et le personnel électoral adéquat, les bulletins, les urnes. Il y a certes eu des manquements, des errements. C’était une opération difficile. Il reste celle des PV et des extraits de PV, avec les représentants des partis politiques. C’est une autre étape que nous observons, on n’en est pas acteur direct et elle est plus ou moins dépassée. Troisième étape, c’est le dépouillement et là, franchement, nous serons justes.
– Le dépouillement est-il fini partout en Mauritanie, à l’heure qu’il est ?
Globalement, oui. Mais la tâche est lourde. Nous avons cinq urnes pour chaque bureau et, pour chaque urne, cinq PV, en une seule copie, et cinq extraits, en autant de copies que de partis politiques. Ce travail prend du temps. Je me suis interrogé : pourquoi les Mauritaniens sont-ils aussi pressés d’avoir les résultats de cette élection ? À cause de l’enjeu, bien sûr ! Par le passé, il n’y avait en compétition que deux ou trois listes, deux urnes, trois au maximum, et il fallait attendre dix jours pour en obtenir les résultats. Cette fois, quatre-vingt-dix-huit listes, cinq urnes combinées et ils nous demandent les résultats en 24 ou 48 heures, c’est quand même terrible ! Ils pensent tous à 2019.
Mais il y a autre chose : la CENI s’est bel et bien appropriée cette élection. Voyez l’administration qui court derrière elle, pour une info, un PV. Les partis politiques, même les réputés grands et forts, ont dans un état d’inquiétude, s’interrogeant sur leur propre sort. Cela veut dire que la CENI a bien fait son travail. J’ai dit : « Tenez-vous à ce que dit la loi, ne répondez à personne, ne donnez aucune information, ne vous souciez de quiconque ». Dans ce climat d’incertitude où tout le monde s’interroge, nous restons calmes, maîtres du jeu.
– À quelle date peut-on s’attendre aux premiers résultats ?
– Nous sommes pressés. S’il y a second tour, il faut bien le préparer, en redéployant pratiquement les mêmes moyens électoraux, en faisant imprimer de nouveau les bulletins. Nous faisons tout pour qu’au plus tard, le 5 ou le 6 Septembre, nous puissions donner les résultats du premier tour, afin de nous lancer dans les préparatifs du second.
Propos recueillis par Ahmed Ould Cheikh