« Ceux qui parlent souvent de troisième mandat doivent d’abord gagner les législatives et permettre à l’UPR [Union pour la République, parti présidentiel] d’obtenir une majorité écrasante au Parlement. Cette majorité est indispensable pour continuer la réalisation de nos projets ».
Il a suffi que le président Mohamed Ould Abdelaziz lâche cette phrase, le 24 août à Rosso pour relancer la polémique. Aussitôt l’opposition (FNDU, Tawassoul, RFD, UFP, IRA) est montée au créneau pour dénoncer pour la énième fois le projet supposé du chef de l’État de réviser la Constitution afin de pouvoir se représenter pour un troisième mandat présidentiel, à ce jour inconstitutionnel.
Signes avant-coureurs ?
Le président a affirmé à plusieurs reprises qu’il ne se représenterait pas en 2019 mais, dans son propre camp, certains font campagne pour qu’il se maintienne au pouvoir, notamment le Premier ministre Yahia Ould Hademine, le ministre de l’Économie et des Finances Moctar Ould Diaye, le porte-parole du gouvernement Mohamed Lemine Ould Cheikh.
Au printemps, des affiches appelant à un troisième mandat avaient été placardées sur les lampadaires de Nouakchott. Il ne se passe pas un meeting de la majorité sans que des élus et des partisans du président lui demandent de changer d’avis et de « finir le travail commencé en 2009 ».
L’attitude d’Ould Abdelaziz prête à confusion. Il conduit en personne la campagne électorale de wilaya en wilaya comme aucun de ses ministres, réclamant une majorité absolue pour son parti. Il durcit la répression contre ceux qu’il appelle « les extrémistes » et « les corrompus qui aspirent à revenir aux affaires ».
Les avoirs bancaires de son parent et ennemi, le richissime Mohamed Ould Bouamatou accusé d’avoir corrompu des sénateurs en 2017, ont été mis sous séquestre à la mi-août. Au même moment, Biram Ould Abeid, le tonitruant dirigeant de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA) et tête de liste aux législatives de la coalition IRA-Sawab, a été inculpé et emprisonné pour avoir menacé un journaliste.
Même s’il ne lui est pas – pas encore – interdit de se présenter aux élections, on aurait pu penser que le pouvoir éviterait de l’envoyer en prison pour si peu et d’en faire une fois de plus un martyr. D’autant plus après son alliance avec le parti baathiste Sawab, traditionnellement hostile aux négro-mauritaniens, l’électorat-cible de Biram Ould Abeid. La vindicte présidentielle l’a emporté sur tout calcul stratégique.
Le scénario qui sous-tendrait cette détermination d’Ould Abdelaziz serait le suivant, selon l’opposition : fort d’une majorité des deux-tiers des députés, celui-ci serait en mesure de faire sauter le verrou de l’article 28 de la Constitution qui limite à deux le nombre des mandats présidentiels, afin de concourir en 2019.
Le scénario des tenants du statu quo constitutionnel
Tel n’est pas l’avis d’une autre partie du camp présidentiel, notamment parmi la jeune garde et les intellectuels qui rêvent d’un fonctionnement pleinement démocratique et d’une alternance maîtrisée. Ces tenants d’un statu quo constitutionnel se réfèrent aux nombreuses promesses du président qui déclarait, par exemple, en février à Jeune Afrique : « Nous avons certes révisé la Constitution [en août 2017], mais nous n’avons pas touché à cet article [l’article 28]. Et je n’y toucherai pas ». Promesse répétée en juillet sur France 24.
Dans ce cas, le scénario du président serait d’obtenir à l’Assemblée une majorité absolue pour son parti dont il reprendrait la présidence à la fin de son mandat, après avoir désigné et fait élire son successeur pour l’instant inconnu. Statue du Commandeur et faiseur de roi, il continuerait à tirer les fils de la politique mauritanienne afin de s’assurer qu’elle poursuit dans la droite ligne de ce qu’il a réalisé depuis 2009.
La réussite de ce projet suppose que l’UPR sorte largement victorieuse des législatives du 1er et du 15 septembre et puisse ainsi se passer de conclure des alliances qui amoindriraient le poids politique de Mohamed Ould Abel Aziz. Or rien n’est joué. La complexité d’un système électoral en partie à la proportionnelle déjoue les prévisions. Nouakchott et Nouadhibou, les deux métropoles, votent souvent pour l’opposition. Dans le reste du pays, le parti islamiste Tawassoul est le seul à tenir tête au parti présidentiel.
D’autre part, la loi sur les partis qui cherche à limiter le foisonnement des 104 formations politiques reconnues prévoit de supprimer celles qui ne présenteront pas de candidats à deux élections municipales consécutives ou qui n’y obtiendront pas 1% des suffrages exprimés. Ce couperet explique que les scrutins qui débuteront le 1er septembre connaissent une avalanche de candidats des 98 partis en lice, soit 143 listes aux municipales, 67 aux régionales, 96 aux législatives et 87 aux « législatives des femmes ».
Seule l’UPR est présente partout, ce qui ne lui garantit pas une victoire écrasante, les dissidences des candidats non retenus par l’UPR et l’émiettement des suffrages entre les nombreuses listes en présence promettant des surprises…si les règles du jeu sont respectées.
Par Alain Faujas
Source : Jeune Afrique