La célèbre devise des soldats du feu – les sapeurs-pompiers –devient, ces temps-ci, celle de la centaine de nos partis politiques prêts à disputer les suffrages des quelques 1,4 million d’électeurs inscrits sur la nouvelle liste électorale en cours de finalisation. Un chiffre inférieur aux cent quarante annoncés dont nombre d’entre eux profitaient, depuis des années, voire des décennies, des subventions de l’État, occupant l’arène politique sans autre ambition, conscients qu’ils étaient de ne pouvoir accéder aux institutions de représentation. Plus souvent réfugiésen ce qu’on appelle la « majorité présidentielle », plutôt qu’en l’opposition, afin d’entrer dans les grâces du prince, accéder à ses invitations et dialogues. Voilà comment certains ne se sont bâti qu’un destin de potiche, faire-valoir complaisant, moyennant petit surplus dans la gamelle.
Qu’on en sourit ou s’en persuade, le gouvernement a décidé de sévir, face à la pléthore de partis. Notre ministre de l’Intérieur, Ahmed ould Abdallah, l’a dit, haut et fort : cent quarante organisations politiques pour une population de moins de quatre millions d’individus, c’est trop. Mais son département ne se hâte-t-il pas à reconnaître certains avec promptitude, et à refuser le quitus à d’autres, qui remplissent pourtant toutes les conditions d’homologation ? Pour « assainir » l’arène politique ou, comme dit le ministre, « crédibiliser la démocratie », rendre représentatifs les partis politiques – intention certes louable, si elle se matérialise de manière objective et transparente sur le terrain – le gouvernement a concocté un projet de loi stipulant qu’ « un parti politique participant, deux fois de suite, à une élection municipale, sans atteindre un pour cent des suffrages exprimés, sera dissous. En cas de non-participation, deux fois consécutives, à un scrutin local, le parti sera aussi dissous ». À bon entendeur, salut ! Une décision jugée « unilatérale et arbitraire », par le président du FNDU, Mohamed ould Maouloud, également président de l’UFP, soulignant que son application pourrait entraîner la disparition de près de quatre-vingt formations politiques.
A la pêche aux moules
Voilà, en tout cas, comment tous les petits partis ou « partis-cartables » se sont retrouvés contraints d’aller à la pêche aux voix. À l’arrivée, on saura qui vaut quoi, dans l’arène politique nationale. On s’agite donc beaucoup. Comme beaucoup ne disposent pas de moyens, il leur faut nouer des alliances électorales, pour ne pas être rayé de la carte politique. Un coup de massue que supporteraient très mal, on l’imagine, certains « commerçants de la politique » qui en polluent la scène. Le parti dont tel ou tel s’affiche président n’existe que par son nom. Aucun siège – peut-être, même, aucun adhérent, excepté ceux inscrits, sur le papier, en tant que « membres fondateurs », comme l’exige la loi.
Résultat des courses, tous les partis politiques en hibernation doivent se réveiller pour mesurer leur représentation véritable. Certains partis se battent pour conserver leur ancrage, d’autres pour simplement justifier leur existence sur le papier. Un gros challenge, donc, qui a vu nombre d’entre eux sortir enfin de l’ombre et ouvrir siège, depuis la dernière décision du gouvernement. Beaucoup battent le rappel des proches et des amis, voire l’embauche d’inconnus, pour confectionner leurs listes.
Les trois scrutins vont mettre la CENI à rude épreuve. Elle aura du mal à relever le défi de l’organisation. Un autre sacré challenge pour cet organe de contrôle dont l’indépendance est mise en doute par l’opposition. Il a certes annoncé, par la voix de son nouveau président, sa disponibilité à travailler avec tous les acteurs impliqués dans le processus électoral. Mais une concertation officielle, entre tous ces acteurs, lui aurait permis de mieux surmonter sa tâche. Ils se seraient, par exemple, probablement mis d’accord sur le vote unique qui réduirait sensiblement le temps des opérations de vote. Est-ce trop tard pour bien faire ?
Cuisine politicienne
Pendant que les partis se cherchent des solutions de survie, le gouvernement ne fait pas quasiment rien pour éviter la transhumance politique. L’accord du 20 Octobre 2016 avait officiellement reconnu l’intention de tous les acteurs d’en finir avec cette plaie qui affecte surtout les partis de l’opposition. Mais le texte d’application de cette bonne intention n’a jamais vu le jour. C’est d’ailleurs ce qui permit à un ponte de l’UPR de tenter et réussir à débaucher quelques conseillers de la liste d’El Wiam qui venait de ravir, au parti du pouvoir, la mairie et la députation de Rosso. L’UPR digérait mal sa défaite et fit tout pour bloquer le travail de Sidi Diarra. Une insidieuse manœuvre que le président d’El Wiam, Boydiel ould Houmeïd, n’a cessé de dénoncer, en différentes correspondances adressées au Premier ministre et au ministre de l’Intérieur, leur rappelant les termes de l’accord du 20 Octobre 2016.
Aujourd’hui mécontents de n’avoir pas été investis par leur parti, nombre de cadres de l’UPR se sont fait parrainer par d’autres partis de la majorité présidentielle. Une consolation qui laisse entrevoir qu’une fois élus, ils retourneront probablement au bercail avec leur mandat, au détriment des partis qui les auront fait élire. Une perte sèche pour ces derniers qui n’oseront cependant pas lever le moindre petit doigt pour protester. Pacte tacite pour conserver sa place au soleil, avec des postes ministériels pour certains ? Savourez, citoyens, la cuisine politicienne : elle est présentement aux fourneaux…
DL
Source : Le Calame