Le coup d’État en 2008 de l’actuel président mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz, a interrompu une expérience démocratique prometteuse pour le pays.
Voici le premier volet d’une série de six papiers, signés Moussa Fall, président du Mouvement pour un changement démocratique, à la veille des élections législatives de septembre prochain. Le 6 août 2008, le coup d’état militaire de Mohamed Ould Abdel Aziz est venu interrompre un processus démocratique amorcé 15 mois plus tôt par l’arrivée d’un président civil élu à l’issue des élections les plus transparentes que le pays ait connues depuis son indépendance.
La facilité avec laquelle ce coup de force a fini par s’imposer, en dépit de la résistance appréciable menée par l’opposition organisée au sein du Front National pour la Défense de la Démocratie (FNDD), s’explique peut-être, comme certains analystes l’ont souligné, par le niveau encore insuffisant de la demande réelle de démocratisation au sein des populations, dans le pays.
Autrement, comment comprendre la réaction des populations en Turquie et dans bien d’autres pays contre les coups de force (y compris en Afrique de l’Ouest), qui se sont soulevées pour défendre leurs acquis démocratiques alors qu’en Mauritanie des hommes d’affaires, des élus et même des partis de l’opposition, et non des moindres, ont soutenu les putschistes, leurrés par leurs déclarations d’intention. Comment aussi comprendre la réaction, allant de la résignation, à la bénédiction de la communauté internationale autrement que par la hiérarchie des priorités qui relègue au second plan la démocratisation des états et leur bonne gouvernance par rapport aux préoccupations de l’heure : la lutte contre le terrorisme et l’émigration clandestine vers l’Europe.
Les textes fondateurs de la courte expérience démocratique que la Mauritanie a connu dans le passé avaient alors été élaborés avec maîtrise par le gouvernement de la transition de 2005 à 2007 sous la présidence de feu Ely Ould Mohamed Vall. Durant cette courte période, et sous la supervision des autorités de la transition, une Commission Électorale Nationale Indépendante et consensuelle avait organisé, dans l’impartialité et la transparence, des compétitions électorales notamment la présidentielle de 2007.
Respectant leur engagement, les autorités de la transition ont, à l’issue de ces élections transmis le pouvoir à un président élu démocratiquement. Ce fut un évènement majeur qui devait inaugurer une nouvelle ère pour le pays.
Sitôt élu, le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi a engagé des réformes innovantes allant dans le sens de l’amélioration de la qualité de la gouvernance du pays, conformément à ses engagements de campagne. Une équipe gouvernementale avait été mise en place avec un premier ministre et des ministres responsabilisés sur la base d’une lettre de mission et bénéficiant, chacun, d’une large marge de manœuvre.
Les institutions exerçaient leurs missions dans l’indépendance et le respect. Le parlement en particulier était représentatif avec une présence significative de l’ensemble des partis politiques. Les débats parlementaires étaient suivis avec intérêt par les téléspectateurs pour leur qualité et le niveau des députes et des sénateurs.
Des avancées notables avaient été enregistrées sur le front de l’unité nationale et de la cohésion sociale. La loi incriminant l’esclavage avait été élaborée par voie de concertation et promulguée. Le retour des déportés avait été organisé dans des conditions convenables.
Un Commissariat chargé de la promotion de l’investissement avait été créé et une concertation avait été engagée avec le privé pour favoriser le développement des affaires dans le pays.
L’ensemble des partenaires au développement avaient manifesté leur disponibilité pour encourager et appuyer la réussite de l’expérience de démocratisation du pays. Cette disponibilité avait été exprimée lors des travaux du groupe consultatif organisés en décembre 2007 à Paris pour mobiliser les financements nécessaires au programme national d’investissement.
Cette expérience inédite, malgré des imperfections inévitables à ses débuts, voulait engager le pays sur la voie d’un réel développement économique et social et d’une réelle démocratisation avec à l’horizon l’organisation d’élections transparentes autorisant l’alternance pacifique au pouvoir. Malheureusement cette expérience s’était déroulée dans un climat peu propice, marqué par une hausse vertigineuse des prix à l’importation des produits de première nécessité, par la fragilité de l’assise politique du pouvoir avec, à l’époque, une majorité diffuse, hétérogène et surtout par l’absence d’une emprise réelle sur les forces armées et de sécurité.
Ces différentes failles avaient été exploitées pour fomenter une fronde déstabilisatrice qui a abouti au coup d’État d’août 2008. Ce fut alors la restauration de l’autocratie en tant que méthode d’administration du pays. Autre système, autre style. Le pouvoir personnel a remplacé le respect de la loi, la concertation et la responsabilisation. L’improvisation s’est substituée à la programmation réfléchie. L’outrance a pris la place de la retenue. Les administrations et les entreprises ont été mises sous tutelle. Même l’organisation du patronat n’a pas échappé à cette règle. L’équilibre des pouvoirs a été ignoré, les libertés muselées. Les conséquences économiques et sociales de ce type de gouvernance seront traitées dans les autres parties de ce document. Dans ce chapitre nous nous limiterons à la gouvernance politique.
Le président démocratiquement élu avait été emprisonné et, en réaction au coup d’État, l’opposition unie au sein du Front National pour la Défense de la Démocratie (FNDD) avait organisé des manifestations qui avaient été sauvagement réprimées. Depuis, le pays vit une crise politique ouverte constamment entretenue par l’attitude autocratique et dédaigneuse du chef de l’État envers l’opposition démocratique.
Le pays avait alors basculé dans une ère nouvelle, une ère de non-droit, marquée par un net recul du processus démocratique, un pouvoir personnel sans partage et un déni permanent de la loi. Pour illustrer cet état de fait, nous donnerons quelques exemples concrets qui démontrent le peu de cas que l’actuel Chef de l’État fait de la Loi et son mépris envers les institutions de la République :
● Depuis ce coup d’État, aucune des échéances électorales relatives au renouvellement de l’Assemblée Nationale, aux tiers du Sénat (fixées par l’article 47 de la Constitution) et aux conseils municipaux (fixée par l’article 93 de l’Ordonnance 87-289 du 20/10/87) n’a été respectée. Ces élections, législatives et municipales, qui devaient se dérouler en 2011 avaient été repoussées jusqu’en 2013. Le mandat de l’Assemblée Nationale avait été prorogé par un congrès parlementaire tenu avec des députés dont le mandat avait expiré depuis trois mois et avec un sénat dont le mandat des deux tiers n’avait pas été renouvelé dans les délais prescrits. Quant au Sénat, il a continué à légiférer jusqu’à sa dissolution avec des membres ayant largement dépassés les délais de validité de leurs mandats. Le renouvellement des conseils municipaux n’a été effectué que deux ans après l’expiration de leur mandat.
En l’absence d’un dialogue sérieux et crédible que le pouvoir s’est obstiné à refuser, les élections législatives et municipales de 2013 se sont déroulées dans des conditions de partialité manifeste de l’administration et de certains généraux de l’armée en appui aux candidats du pouvoir. La grande majorité des partis de l’opposition avait décrété le boycott de ce scrutin. Ces circonstances ont permis l’élection d’une majorité automatiquement consentante n’exerçant aucun contrepouvoir face à l’exécutif. Les législatives de 2013 ont mis en place un parlement non représentatif et irrespectueux de ses missions au service de la Nation que sont : le droit d’amendement et d’approbation de la politique budgétaire ; le droit d’investigation, le droit de création de commissions d’enquête et de contrôle sur l’emploi de l’argent public ; le droit d’information par des missions et des groupes de travail ; le droit de censure du gouvernement. Le rôle du parlement est en effet essentiel dans la vie de la nation et ce rôle a été réduit à sa plus simple expression ces dernières années. On se trouve ici en présence d’une des principales sources des dérives évoquées plus haut.
La présidentielle de 2014 avait été boycottée, pour les mêmes raisons, par la totalité des formations de l’opposition. L’absence de candidats de l’opposition explique le score astronomique obtenu par l’actuel chef de l’État (81,89%) et le bourrage des urnes massivement pratiqué, surtout à l’intérieur du pays, n’a pas pu masquer l’ampleur du boycott prôné par l’opposition. Le taux officiel de participation était de 54 %.
● Tout comme le pouvoir législatif, le pouvoir judiciaire a été bafoué et domestiqué. L’indépendance de la justice a été réduite à néant. Pis encore, la justice a été transformée en un instrument aux mains de l’exécutif qu’il utilise pour les règlements de comptes politiques et économiques.
● L’ordonnance 2007/12 du 8/2/07 portant organisation de la justice stipule en son article 18 : « Le président de la cour suprême (désigné pour un mandat de 5 ans) ne peut être suspendu ou admis à cesser ses fonctions avant le terme normal de son mandat que dans les formes prévues pour sa nomination et sur sa demande ou pour cause d’incapacité physique, pour perte de droits civils et politiques ou pour manquement aux convenances, à l’honneur et à la dignité de sa fonction ». Or, cette institution qui représente le sommet de la pyramide du pouvoir judiciaire a connu quatre présidents en moins de 7 ans sans qu’aucun d’eux n’ait terminé son mandat. On se rappelle que l’un de ces présidents, pour un moment récalcitrant, avait été éconduit de son bureau manu-militari par la police.
● La loi 2007-O54 du 18/09/07 relative à la transparence financière prévoit en son article 2 : « Le Président de la République, après son investiture et à la fin de son mandat, fait une déclaration de sa situation patrimoniale et celle de ses enfants mineurs. Chacune de ces déclarations est rendue publique ». Jusqu’à ce jour, et malgré les demandes réitérées de l’opposition, de la société civile et de larges secteurs de l’opinion nationale, le Chef de l’État actuel refuse de faire une déclaration de ses biens et de ceux de ses enfants, laissant planer le doute sur la valeur et l’origine du patrimoine acquis depuis son accession au pouvoir. Pis encore, il a fait tomber cette loi (qui concerne tous les gestionnaires des biens public) en désuétude, laissant le champ libre à la mauvaise gestion et aux détournements. En effet, depuis l’avènement de ce pouvoir, aucun des responsables visés par cette loi n’a daigné, suivant en cela le Chef de l’État, faire la déclaration de ses biens.
● La Loi n° 2010 – 044 du 22 juillet 2010 portant code des marchés publics est quotidiennement bafouée par les décisions d’octroi de marchés de gré à gré pour les travaux financés sur les ressources propres du pays (travaux de préparation des sommets arabe et africain, voieries, tronçons routiers Nouakchott-Wad Naga, NKT-Rosso, aménagements hydro agricoles. etc.),
● A la suite du tollé soulevé par l’accord avec la société de pêche chinoise Poly-Hondong, les domaines qui relevaient de la loi ont été soustraits au contrôle du parlement et rendus au domaine réglementaire, c’est-à-dire à la discrétion du Chef de l’État. Il s’agit notamment des conventions et contrats d’attribution des permis de recherche et d’exploitation des richesses minières et des licences de pêche, permettant ainsi au chef de l’État de disposer à sa guise des richesses du pays.
● L’Ordonnance 024-2007 du 9/4/07 modifiée par la loi 212-047 du 22/7/12 portant statut de l’Opposition Démocratique, promulguée lors de la période de transition, stipule en son article 12 : « Le Président de la République et le Premier Ministre consultent, chaque fois que de besoin, le chef de file de l’opposition démocratique sur les problèmes nationaux et les questions majeures concernant la vie de la Nation. En tout état de cause et en vue de favoriser le dialogue politique entre le Gouvernement et l’Opposition, une rencontre périodique est programmée tous les trois mois ». Depuis l’arrivée au pouvoir de l’actuel chef de l’État les dispositions de cette loi ont été délibérément ignorées malgré l’insistance de l’Institution de l’Opposition Démocratique.
● L’article 27 de la Constitution stipule : « Le mandat de Président de la République est incompatible avec l’exercice de toute fonction publique ou privée et avec l’appartenance aux instances dirigeantes d’un parti politique ». L’esprit de cette clause est d’éviter l’abus de la fonction au service d’un parti aux dépends des autres. Or, on constate clairement que le chef de l’État dirige directement un parti dont il fait un véritable « parti-État » et au service duquel il mobilise les moyens, l’administration et les agents de l’État. La dernière réimplantation de l’Union Pour la République (UPR) a donné la mesure de l’implication du Chef de l’État en personne et de l’investissement de tout l’appareil de l’État, y compris certains généraux chefs de corps des Forces Armées et de Sécurité, dans le rabattage des adhérents et dans les querelles autour des unités de base du parti.
L’article 50 de la Constitution stipule : « Aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou des votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions ». Un sénateur, Mohamed Ould Ghadde, a été arrêté et mis en prison depuis le 10 août 2017 alors qu’il jouissait de son immunité parlementaire. Une sénatrice, Madame Vervoure mint Babe est objet d’un mandat d’arrêt international émis en août 2017 et plusieurs autres sénateurs sont placés sous contrôle judiciaire. Tous n’ont fait que voter contre un projet de loi proposé par le pouvoir. Dans ce même dossier des journalistes, des responsables syndicalistes et des hommes d’affaires parmi lesquels Mohamed Ould Bouamatou sont poursuivis et persécutés pour leurs opinions et leur engagement politique.
● La loi n° 2012-018 du 28/02/12 fixe en son article 5 les temps d’antenne accordés à la radio et à la télévision publiques pour l’opposition. Or, l’opposition n’a jamais joui de l’accès à ces médias désormais consacrés au culte de la personnalité et aux dénigrements de l’opposition.
● Les activités des partis politiques sont entravées : Il faut une autorisation pour faire une manifestation alors qu’une loi datant de 1973, jamais modifiée, stipule qu’une simple déclaration suffit. Certaines de leurs manifestations sont sauvagement réprimées par les forces de l’ordre. Même les réunions dans des lieux clos (hôtels, salles publiques) sont soumises à autorisation.
● L’article 99 de la Constitution stipule : « Tout projet de révision de la Constitution doit être voté à la majorité des deux tiers (2/3) des députés composant l’Assemblée Nationale et des deux tiers (2/3) des sénateurs composant le Sénat pour pouvoir être soumis au référendum ». Les amendements constitutionnels avaient été, en conformité avec la Loi, soumis aux deux chambres. Le sénat par une large majorité avait refusé les modifications proposées. Ce rejet franc devait mettre fin à la procédure de révision et enterrer définitivement le projet présenté par le Gouvernement. Faisant fi de ce rejet, le pouvoir a activé l’article 38, en flagrante violation de la Constitution, pour organiser un référendum le 5 août 2017.
● Usant des mêmes méthodes qu’il utilisera par la suite pour la réimplantation de son parti, le chef de l’État s’est impliqué outrageusement dans cette campagne. On se rappellera toujours le discours irrespectueux prononcé au meeting de l’aéroport. On sait aussi que sur ses instructions, l’argent public avait été indument utilisé pour le financement de la campagne, pour le transport, l’enregistrement et l’encadrement des électeurs, ainsi que pour l’appui aux activistes du pouvoir. Les hauts fonctionnaires de l’État avaient été embrigadés. Dans l’administration territoriale, les Walis et les Hakems s’étaient ouvertement engagés pour encadrer les notables et les électeurs avec des consignes de vote en faveur du OUI et des obligations de résultats.
Malgré les moyens considérables mobilisés par le pouvoir, qui a usé de la carotte et surtout du bâton, le référendum avait été boycotté par l’écrasante majorité des mauritaniens, d’abord pour son illégalité, ensuite par le caractère impopulaire des réformes proposées. Ce boycott massif, dont tout le monde a été témoin, n’a pas empêché le pouvoir de sortir des résultats truqués, proclamant la victoire du « oui ».
● L’administration du pays a été transformée en un instrument d’action électorale et politique pour conforter et pérenniser le pouvoir du chef de l’État. Les recrutements, avancements et nominations se font sur de critères électoralistes. Les compétences sont ignorées car ce qui est demandé, en premier lieu, aux fonctionnaires c’est de faire preuve de zèle à l’occasion des campagnes électorales du parti au pouvoir ou à celles des préparations des visites et des meetings du chef de l’État à l’intérieur du pays. Pire certaines administrations, en particulier celle des impôts, sont instrumentalisées contre des opposants.
Il ressort que l’accès au pouvoir par les urnes – un temps entraperçu entre fin 2005 et début 2008 – n’est plus d’actualité car la partialité de l’État et son refus d’observer une neutralité indispensable pour l’organisation d’élections libres et transparentes, constitue l’obstacle majeur à une telle alternance. Cette partialité est la véritable cause de la crise politique que traverse le pays depuis l’avènement du coup d’État de 2008. L’obstruction de l’accès au pouvoir par des voies démocratiques expose le pays à de graves perturbations dans une période à hauts risques marquée par la menace terroriste, la résurgence du tribalisme et des particularismes, le développement de l’intégrisme, l’extrême pauvreté endémique avec ses facteurs d’aggravation que sont les aléas climatiques et la hausse inconsidérée des prix.
Source : Mondafrique