Si j’étais « Birame » par Tijane BAL

Si j’étais président de la République… chantait une ancienne gloire de la chanson. Ayant décliné un programme sympathique mais loufoque, l’artiste concluait par je ne serai jamais président de la République. Birame Dah Abeid doit rêver d’une  issue différente. Lui qui vient d’officialiser sa candidature à Paris.

Au fait, pourquoi Paris ? Le choix mériterait débat. Côté symbole, faire une telle annonce de l’étranger est a priori surprenant. Des considérations d’efficacité peuvent y avoir présidé. La recherche d’une ample couverture médiatique peut-être. A cet égard, la polémique FPC/FLAM au sujet d’un prétendu soutien (finalement démenti) a fait office d’amplificateur. La quête d’une stature internationale a pu également jouer.

« Birame » est désormais l’un des ténors nationaux à sortir du bois. Ce faisant, il se retrouve un peu plus dans le viseur des chasseurs. C’est pourquoi, alors même que personne  ne lui a rien demandé et sans que cela préjuge en quoi que ce soit de son vote, le signataire de ces lignes se permet (sans aucune prétention si ce n’est celle de faire sourire) quelques recommandations censées aider à déjouer des pièges.

Solder le passé.

Cette recommandation est, au-delà du seul « Birame », valable pour tous les candidats à la présidentielle. Les concurrents seront là pour leur rafraîchir la mémoire. Solder le passé de son propre chef est donc une étape essentielle. N’attendez pas d’y être contraints. Il importe d’emblée d’allumer, si nécessaire, des contre-feux. Et ce bien en amont de l’échéance… Cette démarche vous permettra le cas échéant d’objecter plus tard : de grâce, n’y revenons pas. Je me suis déjà expliqué sur le sujet. Il s’agit ainsi de neutraliser les polémiques probables et de désamorcer les dommages potentiels. Cela s’appelle du déminage. En l’occurrence, les mines à retardement consistent principalement en des déclarations, des prises de position anciennes, désormais source d’embarras, des affinités antérieures devenues compromettantes. Suivant les cas, l’erreur de jeunesse, les pressions liées au contexte et surtout la sincérité de la conversion peuvent tenir lieu de parades. Je suis et/ou j’ai fait comme tout le monde parce que je ne pouvais pas faire autrement…….Il suffira, après, de se faire convaincant.

Ne pas mépriser les anciens :

Retour à « Birame ». Je présume que vous vous savez attendu sur le terrain de la légitimité. Les sceptiques ne manqueront pas de vous faire observer que des pionniers vous ont précédé dans votre combat actuel contre le racisme, les discriminations, l’esclavage et plus spécifiquement en faveur de la cause H’ratine. Ils vous rappelleront des figures tutélaires et des noms qui ne vous sont pas inconnus. Ils vous feront remarquer que les FLAM existent depuis 1983, El Hor depuis bien plus longtemps encore (40 ans je crois). Les faits étant indéniables, vous ne perdrez rien à les reconnaître. Concédez-les donc. Et tant qu’à faire, de bonne grâce.

Reconnaissez également ce dont vous êtes redevable à vos devanciers sans omettre de mentionner vos acquis, votre contribution, l’originalité de votre démarche. Célébrez les continuités et marquez les ruptures. Les unes et les autres sont importantes.

Etre un peu Jesse Jackson.

La plus prévisible des critiques qui vous seront adressées est d’être prévisible justement. Vous pourrez difficilement nier que votre crédo politique est écrasé par un thème dominant. Les mauvaises langues diront unique. Vous-même pourriez (veuillez excuser l’irrévérence) être qualifié de monomaniaque politique. Un président étant un généraliste, un aspirant président se doit de l’être tout autant. Sa crédibilité en dépend. Vous serez donc sollicité et jaugé sur des thématiques qui vous sont moins familières. On vous titillera sur la fiscalité, l’emploi, la santé, le système éducatif, la diplomatie… Pour tester votre fiabilité, on vous bousculera de votre zone de confort vers des terrains plus mouvants.

N’étant pas a priori le favori de la présidentielle, on vous prendra de haut. Comme un certain Obama en 2008. Du moins au début. Rappelez-vous la colère des Africains américains quand Bill Clinton décréta que la candidature d’Obama était vouée au même sort que les tentatives précédentes de Jesse Jackson. Populaire auprès de la communauté noire au point d’être qualifié de premier président noir des Etats-Unis par Toni Morrison, Clinton n’en fut pas moins suspecté de racisme. En fait, les Blacks avaient décrypté l’objectif de disqualification contenu dans son message, l’appel sous-jacent au « vote utile », assorti d’un clin d’œil aux électeurs blancs : Allez, pas d’inquiétude. Il n’ira pas plus loin. Le soufflé va retomber. Hillary lui fera mordre la poussière. Communautaire aux yeux de Clinton, la candidature d’Obama ne devait pas dépasser ou de peu le cadre de la communauté noire. Peu importe à la limite que Clinton y ait cru ou pas. La suite devait démentir  son pronostic feint ou réel. Il se trompait sur le sens  du pari d’Obama en faisant mine d’ignorer qu’à la différence de Jesse Jackson, celui-ci était  candidat pour gagner et non pour témoigner et encore moins pour faire de la figuration. Jesse Jackson, quant à lui, était suffisamment averti de la nature du système américain  pour ignorer qu’il ne pourrait pas franchir le cap des primaires démocrates. Quant à être élu président des USA …Ses candidatures successives poursuivaient d’autres objectifs : inciter les Noirs américains à s’inscrire sur les listes électorales et à aller voter. Jackson savait que ses appels à une coalition arc-en-ciel resteraient vains car l’heure n’était pas venue.

Etre un peu plus Obama. 

On ne manquera de vous demander avec qui gouvernerez-vous et auparavant avec qui comptez-vous aller à la bataille ? Adressée à vous, la question n’est pas si anodine. Elle est piégée. Faites de votre mieux pour vous extraire du carcan dans lequel on cherchera à vous enfermer, celui de la candidature monothématique, raciale et/ou ethnique. Fantasme pour les uns, espoir pour d’autres, cauchemar pour d’autres encore, la très hypothétique coalition des Négro-mauritaniens contre le « système beidane » derrière votre panache blanc fait rêver ou trembler. Cette perspective est-elle seulement réaliste ? Rien n’est moins sûr car le statut de porte étendard est très disputé. Les FLAM pourraient vous le contester du haut de leurs trente-cinq années d’existence. El Hor ou ses continuateurs et d’autres ne seront pas en reste. Est-elle souhaitable ? On est en droit d’en douter également. A votre place, je récuserais toute candidature raciale au profit d’une candidature fédératrice dans la mesure du possible, antiraciste, contre les discriminations, pour l’égalité et adossée à un projet de société progressiste. Rappelez-vous le discours de soutien d’Obama, alors sénateur, au candidat John Kerry dans lequel il déclarait : il n’y a pas d’un côté les « Etats rouges » ( red states républicains) et de l’autre les « Etats bleus « (blue states démocrates). Il y a les Etats-Unis d’Amérique. Il vous suffira de remplacer « rouge » par noir, « bleu » par blanc ou vice versa et Etats par Mauritanie.

Cela étant,  je ne suis pas « Birame » et  « Birame » pourrait allègrement se passer de mes recommandations. J’avais prévenu. C’est pour sourire.

Tijane Bal

PS : prochain article. Si…. j’étais Aziz