L’Europe entière a participé à l’économie esclavagiste, qui a saigné l’Afrique subsaharienne, et des voix s’élèvent désormais pour réclamer réparation, explique Myriam Cottias, chercheuse au CNRS où elle dirige le Centre international de recherche sur les esclavages et les post-esclavages.
Question: Quels étaient les principaux pays européens engagés dans la traite et l’esclavage?
Réponse : Les principales puissances négrières étaient le Portugal, l’Angleterre, la France, les Pays-Bas mais aussi ce qu’on appelait les pays Baltes, c’est-à-dire la Suède, le Danemark. L’ensemble de l’Europe participe à cette économie esclavagiste. Même la Suisse y prend part, par le biais des prêts que les banques font aux compagnies commerciales européennes ou par les assurances données à ces compagnies.
C’est vraiment une première globalisation d’une économie, qui comprend l’Europe, l’Afrique, les Amériques, sans oublier l’océan Indien.
Liverpool est le premier port négrier, auquel va répondre au XVIIIe siècle en France le port de Nantes. Bordeaux est le second port de traite français mais quasiment la totalité des ports de la façade atlantique – La Rochelle, Lorient, Saint-Malo, Le Havre – et même Marseille, au sud, lancent des expéditions négrières.
Q: Quelles ont été les conséquences de la traite négrière sur l’Afrique ?
R: La traite négrière va provoquer une catastrophe démographique. En trois siècles et demi, plus de 14 millions de captifs sont déportés vers les Amériques, auxquels on doit ajouter un tiers de personnes qui meurent sur les chemins de traite.
Cela a également provoqué une destructuration des grands empires africains de l’époque ainsi que de nombreux conflits. Autant de choses qui ont lesté durablement toute la dynamique économique et politique de l’Afrique Subsaharienne.
Cela a aussi créé des sortes de reproduction de pouvoir au sein des populations africaines, puisque les grandes familles qui ont participé à la traite se sont maintenues plus ou moins au pouvoir.
L’imprégnation de la relation d’esclavage dans les sociétés africaines va faire que penser l’égalité est très difficile. Il y a cette idée dans les sociétés d’Afrique de l’ouest que l’esclavage se transmet par le sang, que ce n’est pas seulement un statut réversible. Ça devient un destin, une fatalité qui est importante à combattre.
La Mauritanie est le dernier pays à avoir aboli l’esclavage en 1982. Mais malgré l’abolition, des pratiques esclavagistes perdurent: le dénigrement de la personne, la hiérarchie au sein des sociétés.
Q: Peut-on envisager des formes de réparations ?
R: Aimé Césaire ou Frantz Fanon estimaient que l’esclavage était un crime irréparable. Mais il y a un mouvement international, émanant en particulier des pays de la Caraïbe anglophone et d’Haïti, pour réclamer des réparations à tous les pays européens qui ont participé à l’esclavage.
Après l’abolition de l’esclavage en France en 1848, seuls les propriétaires d’esclaves ont été indemnisés, à hauteur de 126 millions de francs or. C’est ce versement aux anciens maîtres propriétaires d’esclaves, également effectué par la Grande-Bretagne, qui est le support des revendications contemporaines de reversement de cette indemnité, soit aux pays indépendants de la Caraïbe, soit aux descendants d’esclaves des départements français d’outremer.
Sur la forme que pourrait prendre cette réparation, un consensus est en train d’apparaître sur une réparation passant par l’éducation. C’est un peu ce qui a été fait par la Chase Manhattan Bank qui offre des bourses à des étudiants afro-américains pour qu’ils puissent entrer à l’Université.
(Propos recueillis par Marie WOLFROM)
Source : TV5 Monde