S’il existe un pays où la discrimination et le racisme sont les piliers du pouvoir, c’est bien la Mauritanie.
La structure sociale du pays n’a pas évolué depuis des siècles et un système de caste des plus rigides régit toutes les relations entre les différents groupes constitutifs de la société instaurant de fait une discrimination.
De facto et parfois de jure, leur permanence maintient un degré élevé d’iniquité, essentiellement sur une base raciale et/ou de naissance. Il en résulte l’accès inégal à une existence épanouie, donc de qualité notamment dans les domaines spécifiques de la santé, de l’alimentation, du niveau d’instruction et de la justice.
De plus cette discrimination est couplée avec un racisme atavique de la minorité « blanche » (les Bidhanes) envers les « noirs » (Hratine et Afro-Mauritaniens). Mais à la différence de l’Apartheid, le développement des deux ensembles ne s’opère pas dans la séparation mais sur le même territoire, sans distinction d’espace, ce qui complique souvent l’analyse et l’interprétation des symptômes d’une domination insidieuse où la religiosité, la supériorité génétique et l’illusion d’être majoritaire confortent, parmi les anciens maîtres, le sentiment de leur droit et le devoir, pour eux, de résister à une contestation perçue comme injuste, malveillante et téléguidée depuis l’étranger.
De la confusion entretenue entre foi et actes d’oppression, résulte, au sein du groupe hégémonique, la certitude que l’engagement anti-esclavagiste cible l’islam et les musulmans et, à ce titre, vise la destruction du fondement de l’unité du pays, à savoir la sacralité du privilège de caste, présenté alors comme expression d’un ordre divin.
Et pourtant, le gouvernement ne rate aucune occasion d’édicter des lois et de signer et ratifier des instruments internationaux protecteurs de l’égalité raciale.
Cette ambivalence, souvent empreinte de schizophrénie, caractérise le niveau de discrimination en Mauritanie, son extrême sophistication. Il dévoile surtout le soin et le coût que le système de pouvoir consent pour cacher la réalité, tout au moins l’atténuer. Jamais, peut-être dans le pays, entreprise de propagande n’aura mobilisé, avec constance, autant d’énergie, de moyens et d’abnégation à falsifier, frauder, mentir et intimider, pour un résultat au final médiocre. En effet, d’une année à l’autre, la notoriété du racisme local augmente dans la communauté internationale, entraînant, chaque fois, un supplément d’efforts gouvernementaux pour le cacher.
Parmi les institutions les plus zélées à la tâche de l’occultation, il y a lieu de citer, en premier lieu, la Commission nationale des droits de l’Homme (Cndh) dont l’Alliance Globale vient de proposer la rétrogradation, au terme d’un lent travail d’évaluation de ses activités.(https://www.alkarama.org/fr/documents/mauritanie-alliance-globaledes- institutions-nationales-des-droits-de-lhomme-ganhri)
II. Des proportions
C’est dans ce cadre qu’un esclavage ancestral, basé sur l’ascendance, persiste en Mauritanie en dépit de toutes les dénégations du pouvoir et concerne entre 1,06% de la population (Global Slavery Index 2016) et « des milliers de personnes » (Anti-Slavery International).
Plus proche du terrain, l’IRA dont l’une des méthodes d’action est de libérer des esclaves, avance le chiffre de 20% de la population mauritanienne tenue en état de sujétion, soit au titre de la croyance religieuse qui expose le serviteur rebelle à la damnation éternelle soit à cause de la dépendance économique et statutaire vis-à-vis du descendant du maître. Le cadre de l’organisation tribale, perpétue le lien, sous couvert de solidarité exclusive face aux autres clans.
Circonstance aggravante, le pouvoir cautionne une version conservatrice et déviante de l’islam qui organise l’exploitation de l’homme par l’homme, la vente de personnes et les abus sexuels y compris sur mineurs, dans des manuels de Charia écrits depuis des siècles mais toujours enseignés aux magistrats et personnel de police judiciaire.
Pour les maîtres, cela conforte leur pouvoir et pour les assujettis, dépourvus pour la plupart de toute éducation, cela crée une dépendance psychologique plus forte encore que leur statut social.
L’esclavage constituant une discrimination incontestable, le premier point de notre Rapport analysera les plaintes pour cas d’esclavage et leur suivi. Nous verrons ensuite comment la discrimination raciale est effective dans toutes les sphères du pouvoir, comment le recensement des citoyens mauritaniens vise à exclure la composante noire, comment la politique foncière de la RIM lèse les droits des Noirs qui cultivent la terre, enfin comment l’usage des langues nationales et l’arabisation de la société restreignent les libertés individuelles et l’ouverture sur le monde afin de mieux dominer.
III. De la démonstration
A. Plaintes pour cas d’esclavage
1. Le cadre formel
Depuis l’indépendance de la République Islamique de Mauritanie, l’esclavage a fait l’objet de trois lois d’abolition.
L’ordonnance n° 081-234 du 9 novembre 1981, considérée comme la première loi abolissant l’esclavage de la RIM , ne prévoyait pas de sanctions pénales pour cette pratique mais énonçait qu’en conformité avec la charia, une indemnisation serait versée aux propriétaires d’esclaves. La loi n° 2007-048 du 3 septembre 2007 a érigé en infraction pénale les faits d’esclavage mais ne permet pas aux victimes de se constituer en partie civile afin d’obtenir réparation ou dommages et intérêts. Ses dispositions concernant uniquement la responsabilité pénale individuelle des propriétaires d’esclaves, dès lors la mise en oeuvre repose entièrement sur le bon vouloir de la police et du ministère public.
Force est de constater que ces derniers peuvent ainsi requalifier les affaires en « querelle de succession » ou en « conflit foncier ». Bien souvent le plaignant, sous la pression de sa famille élargie, de son maître ou parfois des autorités locales, retire sa plainte ce qui a pour conséquence que les affaires ne sont jamais signalées comme des affaires « d’esclavage » et que sur le plan judiciaire, les cas d’esclavage n’existent plus.
Par ailleurs les juges (à 99% issus du groupe dominant esclavagiste pourtant minoritaire) sont souvent réticents à offrir des recours juridiques permettant de protéger les victimes d’esclavage car ils craignent d’être considérés comme déloyaux et ostracisés par les leurs.
La loi de 2007 ne permet pas aux ONG de défense des droits de l’homme d’introduire des affaires au nom d’esclaves. C’est donc généralement la gendarmerie qui agit en premier lieu pour vérifier sur place les faits rapportés par le requérant. L’enquête est alors très souvent interrompue, sous l’injonction des autorités administratives, judiciaires et policières, suite à la négation des faits d’esclavage de la part de la parenté du maître, des personnes vivant au domicile du maître et finalement par le retrait de la plainte suite aux pressions sociales, financières et religieuses subies.
La loi de 2012 élève l’esclavage au rang de crime contre l’humanité. En septembre 2015 la loi 2015-031 prévoit que la peine pour ce crime passe de 10 à 20 ans de prison.
A cette occasion un Tribunal spécial pour juger les crimes d’esclavage a été mis en place mais les juges nommés par le pouvoir exécutif n’avaient aucune spécialisation dans ce domaine. D’ailleurs, jusqu’à présent, des dizaines de dossiers sont pendants devant les parquets et les juges d’instruction n’ont pas été saisis et instruits par ces tribunaux malgré le caractère avéré des pratiques esclavagistes comme en attestent les libellés des chefs d’inculpation déjà signifiés par les juges du parquet et de la police.
Dans un document publié sur le site du Cridem et datant du 10 novembre 2017, l’IRA relève que 17 cas de plaintes pour esclavage sont toujours pendants devant les autorités administratives et judiciaires du pays, dont les cas de Hel Legraivy, Mouhamedou Ahmed Salem et Moilemnine Bakar Vall (http://cridem.org/imprimable.php?article=704385)
2. Les procès
A ce jour, il n’existe que 2 procès ayant pu aboutir à une condamnation pour crime d’esclavage :
1) sur base de la loi de 2007, celui des victimes Yarg et Saïd en 2011, confirmé en appel en 2016. Mais sur les 7 accusés, un seul sera condamné à 2 ans de prison ferme, confirmé en appel le 24/11/2016 alors que la peine prévue par la loi est de 10 à 20 ans. De surcroit, au bout de quelques mois, le coupable a bénéficié d’une mise en liberté provisoire.
La Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples vient de sortir un arrêt condamnant la Mauritanie pour avoir failli à son devoir de protection des enfants Saïd et Yarg alors âgés de 13 et 8 ans. (http://minorityrights.org/2018/01/29/la-decision-du-comite-des-droits-delenfant- de-lunion-africaine-represente-une-avancee-majeure-dans-la-lutte-pourleradication- de-lesclavage-en-mauritanie-selon-des-groupes-de-defense-des/)
2) sur base de la loi de 2015, le procès dit de « Néma » où en 2016 deux présumés coupables de pratiques esclavagistes ont été condamnés par le Tribunal spécial contre l’esclavage à 5 ans de prison dont 4 avec sursis alors que les dispositions de l’article 7 de la loi 031/2015 prévoient au minimum 10 ans. Lors de la mission de suivi de la Rapporteuse des Nations unies sur les formes contemporaines d’esclavage, Gulnara Shahinian, en Mauritanie en 2014, le Procureur général lui a précisé que quelques 26 jugements définitifs avaient été prononcés depuis 2010 sans pour autant lui en communiquer les données, ce qui démontre que le faux et le déni caractérisent les communications officielles du régime à propos de l’esclavage. (https://documents-ddsny. un.org/doc/UNDOC/GEN/G14/147/13/PDF/G1414713.pdf?OpenElement)
Pour un Etat qui nie la persistance de l’esclavage et ne voit dans cette pratique que des « séquelles », promulguer trois lois abolissant l’esclavage relève de l’aberration ou de l’inconscience.
En revanche force est de constater que si 3 Mauritaniens ont été condamnés pour faits d’esclavage, des dizaines de militants anti-esclavage de l’IRA le furent parce qu’ils dénonçaient ce crime, de manière pacifique. Amnesty International relève que depuis 2014 plus de 60 membres de l’IRA dénonçant l’esclavage ont été arrêtés.
Deux d’entre eux purgent toujours une peine de 3 ans de prison au terme d’un procès qualifié de « politique », par Amnesty International, précision qui ne caractérise pas un Etat de droit.
3. Recommandations
L’interprétation erronée de l’islam pour justifier l’esclavage est un puissant moyen de maintenir des citoyens dans un état de sujétion. En collaboration avec la société civile mauritanienne, le Ministère des Affaires religieuses devrait y remédier par une campagne active et continue, sur tous les supports de médiatisation, afin d’enraciner, dans l’opinion, le rejet de toute prétention à la supériorité raciale et dénoncer les écrits de jurisconsultes musulmans quand ils justifient la licéité de posséder une personne et de la traiter en conséquence. Le succès de la prise de conscience reste tributaire du degré de contradiction dans le débat et surtout de sa dissémination à l’intérieur du pays.
Par ailleurs le pouvoir mauritanien doit cesser d’interdire aux journalistes d’enquêter sur la question de l’esclavage. Le 27 mars dernier, Reporters sans Frontière a dénoncé la détention pendant plus de trois jours et l’expulsion de Seif Kousmate, un photojournaliste franco-marocain qui effectuait un reportage sur l’esclavage. Cela démontre, s’il le fallait encore, le tabou et la censure qui entoure cette question.
En avril 2017, Tiphaine Gosse, une journaliste indépendante française enquêtant sur l’esclavage avait été expulsée sous peine de se retrouver en prison. Arnaud Froger, responsable du bureau Afrique à RSF, a déclaré : « La Mauritanie ne mettra pas fin à la pratique illégale de l’esclavage en empêchant les journalistes de s’y intéresser. » (https://rsf.org/fr/actualites/un-photojournaliste-franco-marocain-expulse-demauritanie- pour-une-enquete-sur-lesclavage)
B. Discrimination raciale
La composition ethnique de la population mauritanienne est une question hautement épineuse et sensible en Mauritanie.
Alors que le CERD, lors de sa session d’août 2004, a recommandé à la Mauritanie d’effectuer le recensement de la population suivant les indicateurs subjectifs de l’appartenance, le gouvernement a pour principe de ne pas établir de statistiques à ce sujet sous prétexte que reconnaître les disparités ethniques s’apparenterait à de la discrimination et à une volonté de semer la discorde.
Mais paradoxalement, les tenants du pouvoir déclarent de manière récurrente que les Arabes représentent 80% de la population alors que les Noirs ne représentent que 20% faisant ainsi de la démographie racialiste le principal argument de légitimation de leur hégémonie, vieille de quelques siècles.. En fait, une telle approche vise à protéger les privilèges du groupe dominant et contribue à masquer les défis d’ordre social, donc l’opportunité de les corriger par des mesures volontaristes.
Des sources dignes de foi relèvent que le pourcentage de Hratine et d’Afro- Mauritaniens réunis se situe entre 80 et 85% de la population.
Le Département d’Etat des USA estime quant à lui que ces deux groupes réunis constituent 73% de la population. Philip Alson indique dans son Rapport sur l’extrême pauvreté en Mauritanie que moins de 20% des postes à responsabilité dans le pays sont occupés par les Hratines et les Afro-Mauritaniens alors que ce groupe constitue 70% de la population. (https://documents-ddsny. un.org/doc/UNDOC/GEN/G17/053/84/PDF/G1705384.pdf?OpenElement)
Pourtant l’ampleur de l’exclusion des Hratine et des Afro-Mauritaniens des postes de pouvoir et dans la société se réflète dans un rapport de 2014 d’après lequel « seulement 5 des 95 sièges à l’Assemblée nationale étaient occupés par des Hratine et 1 seul sénateur sur 56 appartenait à ce groupe. 2 des 13 gouverneurs régionaux et 3 des 53 préfets régionaux sont Hratine. 90% des officiers de l’armée sont des Maures blancs, 7% Hratine et 3% Afro- Mauritaniens ».(A/HRC/26/49/Add.1 par 7)
D’après le Département d’Etat des USA, les Bidhanes représentent 27% de la population mais occupent 80% des postes décisionnels.
Les tribus et clans bidhanes sont hyper dominants au gouvernement, dans la vie politique, économique et sociale du pays ainsi que dans les forces de police et l’armée par rapport à la population qu’ils représentent. Les tribus et clans bidhanes bénéficient d’une rotation perpétuelle de leadership, dans le gouvernement, la banque, l’économie, la pêche, les mines, ainsi qu’au commandement des forces de police, des divers corps d’armée et du personnel religieux. Cette posture d’éternel premier ne corrobore nullement leur poids démographique en baisse constante.
En revanche, quand ils parviennent à s’élever au-dessus du legs de leur infériorité, les anciens esclaves continuent de se heurter – plus que leurs compatriotes – à la discrimination en matière d’égalité des chances dans l’emploi, l’accès à la justice et le bénéfice d’une éducation de qualité. Tout récemment, le 24 mars dernier, interviewé sur RFI dans l’émission « Invité Afrique », l’anthropologue Abdel Wedoud Ould Cheikh, professeur émérite de l’Université de Lorraine déclarait que le mouvement amorcé dans les années 80 pour éliminer peu à peu le pourcentage de cadres noirs dans l’appareil administratif de haut niveau s’est amplifié et ce pourcentage aujourd’hui est quasi nul.
Il explique par ailleurs que « l’expatriation de beaucoup de cadres noirs mauritaniens de très haut niveau témoigne de la rétraction du marché de recrutement dans l’administration et d’un travail d’exclusion qui s’est amorcé de façon très forte à partir de 1989. (http://cridem.org/imprimable.php?article=709380).
1. La loi de 2018 sur la non discrimination
Le 18 janvier 2018, l’Assemblée nationale a adopté une loi portant incrimination de la discrimination. Selon Amnesty International elle comporte des dispositions imprécises et trop générales qui pourraient être retenues contre les militants qui dénoncent des groupes perpétuant la pratique de l’esclavage. L’art 10 prévoit que les personnes qui encouragent l’incitation à la haine contre la doctrine officielle de la RIM encourent une peine maximale de 5 ans de prison. Le terme « doctrine » désigne ici, l’islam sunnite, de rite malékite, au nom duquel justement l’esclavage a été institué et sacralisé au fil des siècles. Cette astuce légale permet, au besoin, de faire taire l’activiste des droits humains, en lui imputant une parole ou un acte de sédition contre Dieu.
L’art 12 prévoit 3 ans de prison pour quiconque publie, diffuse, soutient ou communique des termes qui pourraient laisser apparaître une intention de blesser ou d’inciter à blesser moralement ou physiquement, de promouvoir ou d’inciter à la haine.
Les crimes prévus dans cette loi sont imprescriptibles (art 7) et peuvent avoir pour conséquence la perte des droits civiques pouvant atteindre une période de 5 ans ce qui, entre autres, signifie l’interdiction de voter ou de se présenter à des élections.
(Amnesty International : « Une épée au-dessus de nos têtes » rapport publié en mars 2018 Index AFR 38/7812/2018 French).
La discrimination positive ainsi prônée par le gouvernement ne remet pas en question, encore moins en cause, la mentalité des anciens maîtres. Elle ne fait qu’occulter une réalité qui embarrasse le pouvoir. A la seule lecture des articles qui composent la loi, on remarque clairement qu’elle est plutôt faite pour museler toutes les velléités de dénonciation du racisme d’Etat qui s’exerce de plus en plus contre les ethnies noires (Hratine, Peuls, Soninkés, Bambara et Wolofs) ainsi que contre les castes dites inférieures de la communauté bidhane.
C’est le cas du blogueur Mohamed Cheikh M’Khaitir qui appartient à la caste inférieure des Forgerons. Il a dénoncé l’instrumentalisation de la religion au service des pratiques de discrimination raciale, d’esclavage et de caste. Il a été emprisonné, condamné à mort pour apostasie, finalement libéré mais toujours séquestré sur instruction de l’Exécutif au mépris de la séparation des pouvoirs. Partout dans le monde, l’identité de groupe est au centre des politiques.
Affirmer que tous les citoyens sont égaux en droit permet tout simplement de congédier la réalité, la différer pour mieux maintenir l’intégrité du statu quo. A notre époque, héritière de la Shoah et du Goulag, le respect des identités des groupes différenciés, de leur histoire et langue, renferme un gage de démocratie et de respect de la personne.
2. Recommandations
Avec d’autres organisations de défense et de promotion de la dignité de l’individu, IRA Mauritanie demande aux autorités nationales : – d’intégrer dans le droit interne mauritanien une définition de la discrimination raciale qui reprenne l’ensemble des éléments de l’art 1 de la Convention, y compris la discrimination fondée sur l’ascendance – de rendre accessible, aux diverses composantes de la population, la faculté de se faire déléguer, à égalité de compétence, dans les institutions de l’Etat, en particulier les forces armées et de sécurité, le corps des magistrats et le personnel des ambassades.
C. Recensement et état-civil : la technologie au service de la domination En mai 2011, les autorités mauritaniennes ont lancé un recensement national dans le but d’enregistrer les citoyens sur une base biométrique en systématisant les cartes d’identité et les listes électorales.
Pour s’enregistrer, les personnes devaient soumettre une série de documents : la carte d’identité des parents ou un passeport ou un certificat de naissance. Pour enregistrer les enfants un certificat de mariage des parents était exigé.
Ces conditions excluaient de fait les Hratines et les Afro-Mauritaniens dont les parents et grand-parents n’étaient ni enregistrés ni détenteurs de certificat de naissance vu qu’ils n’étaient pas mariés civilement, la tradition islamique accordant la priorité au mariage religieux ce qui est d’ailleurs toujours le cas dans les régions rurales.
Donc de fait la procédure de recensement est discriminatoire à l’égard de ces populations et nombre d’enfants sont ainsi apatrides.
Et pour ceux qui ont le courage de persévérer pour exiger leur droit à la citoyenneté, les démarches sont compliquées, onéreuses et pleines d’embuches. En avril 1989 quelques 60.000 personnes dont des fonctionnaires Afro- Mauritaniens soupçonnés d’appartenir à l’opposition et des villageois de la vallée du fleuve Sénégal ont été expulsés vers le Sénégal. La plupart ont vu leurs documents d’identité confisqués ou perdus.
Lorsqu’ils sont rentrés au pays, dans les années 90, ils ont rencontré de grandes difficultés pour obtenir des documents d’identité leur permettant d’exercer pleinement leurs droits de citoyens mauritaniens. Ceux qui sont rentrés plus tard, suite à l’accord tripartite de 2007 entre la Mauritanie, le Sénégal et le HCR ont rencontré moins de problèmes grâce à la protection de ce dernier.
Sur les 24.000 Mauritaniens rentrés au pays, seul 8000 environ ont réussi à obtenir des documents officiels attestant de leur citoyenneté. Les autres ne peuvent accéder aux services publics tels l’éducation et la santé ou s’inscrire sur les listes électorales, et sont exclus des recensements nationaux. Beaucoup voient dans cette situation une volonté délibérée du pouvoir d’exclure les Afro-Mauritaniens de l’état-civil.
Depuis la rentrée de 2017, de nombreux enfants ont été déscolarisés de l’école publique car non enregistrés. Tous les mineurs âgés de 10 ans et plus doivent posséder une carte d’identité pour se présenter aux examens de fin d’école primaire.
Selon l’UNICEF seulement 32,6% des enfants de moins de 5 ans issus des 20% de la population la plus pauvre sont enregistrés à la naissance alors que 84,4% le sont sur les 20% de la population la plus riche.
On le voit, sans pièce d’état civil le droit à l’instruction s’amenuise, tout comme, plus tard, le droit de vote. Sans pièce d’état civil, pas le moindre droit en Mauritanie. Des législatives ont lieu cette année et la présidentielle en 2019 : qui pourra exprimer son suffrage ?
Recommandations :
La gravité de la situation et l’aversion qu’elle provoque auprès de beaucoup de Mauritaniens, requièrent :
– un recensement plus précis de la population, avec des indicateurs détaillés et ventilés selon l’ascendance, l’origine raciale et la langue maternelle ;
– un accès plus aisé à l’état-civil compte tenu du « passif humanitaire » de 1989 à 1991 et de la condition structurelle des populations Hratine et Afro-mauritanienne, caractérisée chez les premiers par la dépendance et chez les seconds par l’intériorisation de la citoyenneté de seconde zone.
– qu’en vue des législatives de cette année et de la présidentielle de 2019, tous les citoyens mauritaniens puissent s’enrôler plus aisément à l’enregistrement à l’état civil et obtenir une carte d’identité pour exercer leur droit de vote.
D. La répartition de la terre
La loi foncière de 1983 et le système actuel de propriété foncière est à l’origine de nombreux conflits car elle a donné une base légale à l’expropriation des terres arables dans le sud et certaines régions du centre. C’est en vertu de la réforme foncière de 1983 permettant l’expropriation de domaine en déshérence que les terres exploitées depuis des décennies par les Afro Mauritaniens furent saisies et réallouées, au bénéfice des Bidhdanes lorsque, dans les années 89-90 les premiers ont été expulsés au Sénégal.
La spoliation et la redistribution massive des terres que les Afro Mauritaniens cultivaient dans la vallée du fleuve Sénégal alimentent toujours le conflit. Dans de nombreux cas, les villageois ont été privés de terrains exploités par leur communauté depuis plusieurs générations et peu bénéficient d’indemnité. Certains se voient proposer des lopins de substitution, s’ils renoncent à toute prétention sur les parcelles litigieuses.
Près de 100 villages de « rapatriés » sont en proie à des conflits fonciers dans les wilayas de Trarza, Brakhna, Gorgol, Guidimakha et Assaba. Selon la Banque mondiale, seuls 27.000 titres de propriété ont été enregistrés sur quelque 2 millions de propriétaires terriens potentiels. Les personnes qui n’ont pas de titre de propriété ne peuvent pas faire enregistrer les terres qu’elles exploitent qui font l’objet de propriété individuelle ou collective. Même lorsque des titres sont délivrés ils ne le sont que temporairement et à condition que le propriétaire prouve qu’il peut accroitre la valeur foncière de la terre. Des paysans ont été arrêtés et détenus pour avoir protesté contre les décisions relatives à leurs droits fonciers et la cession de leurs terres à des hommes d’affaires bidhanes ou à des investisseurs étrangers.
Recommandations
– L’Etat mauritanien est tenu d’appliquer la même règle de droit foncier sur l’ensemble du territoire, au lieu, comme l’atteste la situation actuelle, de restreindre la rigueur de la loi à des zones de peuplement afromauritanien.
Le critère d’appropriation par la puissance publique d’une terre non exploitée butte sur la difficulté d’appliquer le même principe aux oueds, steppes et étendues de cailloux situés sur une aire de démographie maure ; ici, les tribus font valoir le titre de propriété collective et l’imposent, envers et contre les normes législatives. – Une relecture de la loi de réforme foncière et domaniale en vigueur faciliterait la transition vers un régime juridique cohérent et égalitaire où toutes les terres viables seraient définitivement attribuées, d’abord aux autochtones, avec une préséance pour le paysan, sur le détenteur du titre. Par défaut et sauf réquisition dictée selon l’intérêt général, le reste du sol appartiendrait à l’Etat.
E. L’arabisation, instrument d’exclusion
Dans la mise en oeuvre des dispositions de la Convention et des recommandations formulées en 2004 par le CERD il est précisé, à l’art 81, que la Constitution mauritanienne a consacré l’arabe, le pulaar, le soninke, le wolof comme langues nationales. Dans les faits, seul l’arabe compte, au point de devenir l’instrument réussi de l’assimilation et de l’uniformisation culturelle. Là encore, la qualité de langue du Coran est invoquée pour justifier une telle primauté, couvrant ainsi de l’onction du sacré, une oeuvre multiforme de destruction de la diversité culturelle du pays.
Plus grave encore, à cette volonté de nivellement du savoir, des valeurs et du degré d’ouverture au monde, s’ajoute une offensive sans répit pour expulser l’usage du français, de tous les aspects de la vie ; ainsi, sous prétexte de reconquérir et conforter l’indépendance du pays et sa souveraineté, se déploie une double dynamique, pour accélérer l’arabisation et restreindre l’apprentissage de la philosophie, des libertés d’expressions et du contrepouvoir, en général. L’implacable travail de reconditionnement idéologique a fini par exclure, de la fonction publique, les cadres afro-mauritaniens pour la plupart éduqués et formés en français.
Dans les recommandations du CERD, l’art 71 stipule que le droit à l’éducation est garanti à chaque citoyen. Or, une fois passé l’écueil des pièces d’état-civil, l’inscription, l’achat de fournitures scolaires et le déplacement pour rejoindre des salles de classe en majorité insalubres, l’enfant noir reçoit une éducation au rabais, de la part d’enseignants sous-qualifiés ; il subit ainsi un endoctrinement idéologique qui gomme son origine, l’histoire de ses ancêtres et le prédispose à l’extrémisme religieux.
Résolus à ne pas accepter l’assimilation que leurs ascendants ont combattue jusqu’au sacrifice de leur vie, des centaines de cadres afro-mauritaniens se sont exilés et travaillent aujourd’hui dans les institutions internationales, parfois à un haut niveau ; en majorité, leur progéniture cherche à suivre la scolarité dans un pays francophone d’où un déchirement presque sans retour.
Inversement, à l’intérieur de la Mauritanie, leur trace sociale en tant que communauté détentrice d’une mémoire et d’une personnalité propre s’estompe. Par le plus ironique des paradoxes, à mesure que les descendants d’esclaves gagnent en visibilité militante, les Afro-mauritaniens, noirs d’origine subsaharienne comme eux, perdent sur le même terrain. Le dessein de leur acculturation, conçu au début des années 1980, par des suprématistes bidhanes, inspirés des expériences de Saddam Hussein et de Mouamar Kadhafi, semble sur le point d’aboutir. Il constitue, du point de vue des préoccupations du CERD, l’exemple avéré d’un projet de purification avorté dans sa version violente de 1986 à 1991 mais désormais en voie de réalisation sur le plan civil. Deux autres langues non mentionnées dans la Constitution sont de plus totalement occultées et ostracisées par le pouvoir : le bambara et le berbère (tamasheq).
De 1959 à ce jour, la Mauritanie a entrepris de multiples réformes et réaménagements de son système éducatif. La fréquence et la multiplicité de ces réformes suscitent les observations suivantes :
– elles sont fondamentalement des réformes politiques et/ou idéologiques ; elles ont été élaborées sous la pression des situations de crise, toujours pour les régler, les apaiser ou au contraire exacerber, sans jamais tenir compte des exigences de droits culturels, encore moins de l’unité nationale ou de la pertinence économique
– elles n’ont jamais été objectivement évaluées ; elles ignorent les aspects utilitaires, sociaux, culturels, pédagogiques et psychologiques des langues et les droits culturels des diverses composantes du pays
– hormis celle de 1979 qui a consacré la création de l’Institut des Langues Nationales, ces réformes n’ont pas toutes reflété le caractère multiculturel du pays, ni répondu aux exigences d’indépendance, de développement et de démocratie, encore moins aux aspirations des populations dans leur ensemble.
Si le droit à l’éducation est garanti à chaque citoyen, le droit à choisir son éducation est totalement exclu.
L’arabe est imposé aux enfants issus de familles locutrices du hassaniya, sur la seule base du patronyme, ce qui constitue une entorse à l’universalité des politiques publiques. Ensuite, son usage obligatoire et exclusif dans l’enseignement général s’étend maintenant aux écoliers Afro-mauritaniens, après quelques années où ceux-ci disposaient de la faculté d’apprendre en français. A cause de la division ainsi entretenue dans la société et de l’uniformisation en cours, le groupe non hassanophone se montre réticent à subir l’assimilation par la langue ; de là procède le refus, parmi beaucoup de Noirs mauritaniens, de s’instruire en arabe.
L’enseignement étant en faillite en Mauritanie, le manque d’écoles, d’instituteurs de qualité et de programmes adéquats ont paralysé le secteur. Les Araboberbères, nantis, ont inscrit leurs enfants dans les écoles privées et chères, laissant aux Noirs et Maures de condition modeste, un échec scolaire massif et systématique, dans une institution désormais en ruine.
Depuis une dizaine d’années, les autorités ont créé des écoles d’excellence qui, de fait, ne sont accessibles qu’aux enfants arabo-berbères. La liste des admis au prytanée militaire de Nouakchott constitue, à ce titre, une illustration de toute éloquence.
Oui, la politique d’arabisation en Mauritanie est une fuite en avant, à motivation idéologique, pour mieux enraciner et garantir la mainmise matérielle et symbolique des Maures blancs sur les leviers du pouvoir d’Etat et l’économie. Elle aura conduit à l’effondrement de la compétence dans l’appareil de l’administration publique, la justice, la diplomatie et l’éducation nationale, au profit d’un essor sans précédent du clientélisme tribal.
Ainsi livré à la médiocratie, l’Etat a cessé d’incarner le projet d’une république citoyenne ; il ne reproduit plus que le mécanisme d’une jouissance de privilèges, par une minorité solidaire mais en recul constant suivant l’évolution de la démographie. En décidant d’arabiser le personnel dirigeant et le commandement des forces armées et de sécurité, la Mauritanie parachève ainsi un système de préférence et de fraude qui exclut une partie – majoritaire- de composantes de la société. Aujourd’hui toutes les correspondances sont en arabe, à l’exception de certaines activités du Ministère des affaires étrangères.
L’expression de ce chauvinisme, sans cesse en extension aux champs intellectuel et décisionnel, procure, aux Noirs Mauritaniens, le sentiment d’endurer, sans recours, une oppression de moins en moins rémissible. Il en découle la certitude de la déculturation par l’effet double, de l’effacement des langues nationales et de l’enrôlement discriminatoire à l’état-civil ; de cette combinaison, qu’accentue la guerre ouverte au français, la discrimination atteint sa vitesse de croisière, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays (Mauritaniens de la diaspora).
Recommandations
A ce stade avancé d’exclusion des groupes d’extraction subsaharienne, le risque de basculement des générations d’enfants mauritaniens dans la tentation djihadiste et le délire du nationalisme arabe qui la nourrit, il est important – sinon urgent – que le gouvernement :
– cesse d’encourager la campagne contre la langue française, politique qu’aucun Etat limitrophe n’applique, bien au contraire ;
– se mette à mieux promouvoir le versant africain de l’identité nationale parce qu’il parle à l’aspiration d’environ 70% de Mauritaniens.
CONCLUSION
Le gouvernement du Président Mohamed Ould Abdel Aziz persiste à nier que le racisme et la discrimination existent en Mauritanie. Tous les faits démontrent le contraire.
Les rapports récents de trois organisations de défense des droits de l’homme, mondialement reconnues, attestent de cette situation :
Amnesty International dans son Rapport sorti le 21 mars 2018 (https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2018/03/mauritania-slavery-anddiscrimination- human-rights-defenders-repressed/)
Human Rights Watch dans son Rapport du 12 février 2018 « Ethnicity, Discrimination and other red lines » (https://www.hrw.org/report/2018/02/12/ethnicity-discrimination-and-otherred- lines/repression-human-rights-defenders)
et Alkarama dans son rapport du 27 octobre 2017 sur la Commission Nationale des Droits de l’homme de Mauritanie. (https://www.alkarama.org/fr/documents/mauritanie-alliance-globale-desinstitutions- nationales-des-droits-de-lhomme-ganhri)
Les signataires du présent Rapport à la 95ème session au CERD du 23 avril au 11 mai 2018 à Genève remercient les membres du Bureau de l’attention et de la suite qu’ils apporteront à cette communication et s’engagent à produire, le cas échéant, tout complément requis.
IRA Mauritanie (Initiative de Résurgence du mouvement Abolitionniste)
Biram Dah Abeid, Président (wagueye9396@gmail.com)
Coordination européenne de l’IRA (iramauritanie.europe@gmail.com)
Les sections européennes de l’IRA en Italie, France, Allemagne, Pays Bas, Espagne, Royaume Uni et Belgique,
Les sections américaine et canadienne de l’IRA,
Les sections africaines de l’IRA au Sénégal et en Côte d’Ivoire.
Le 28 mars 2018.
Source : IRA-Mauritanie