Le gouvernement continue de nier l’existence de l’esclavage alors que des milliers de personnes en sont encore victimes
• Des militants arrêtés et torturés pour avoir simplement dénoncé l’esclavage
• Plusieurs dizaines d’organisations luttant contre la discrimination restent interdites
Selon un nouveau rapport d’Amnesty International publié jeudi 22 mars, les défenseurs des droits humains mauritaniens qui dénoncent la pratique persistante de l’esclavage et de la discrimination dans le pays subissent arrestations arbitraires, torture, détention dans des prisons éloignées et interdiction systématique de se rassembler.
Dans ce document, intitulé « Une épée au-dessus de nos têtes ». La répression des militants qui dénoncent la discrimination et l’esclavage en Mauritanie, l’organisation expose la répression croissante à l’égard des personnes et des organisations qui osent dénoncer l’esclavage et la discrimination, ainsi que le refus des autorités de reconnaître le problème.
“Les autorités mauritaniennes font preuve d’un mépris honteux pour les droits humains, alors qu’elles ont aboli l’esclavage il y a près de 40 ans, en continuant non seulement de tolérer cette pratique mais aussi de réprimer les personnes qui la dénoncent”
Alioune Tine, directeur du bureau régional pour Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale à Amnesty International.
« Les autorités mauritaniennes font preuve d’un mépris honteux pour les droits humains, alors qu’elles ont aboli l’esclavage il y a près de 40 ans, en continuant non seulement de tolérer cette pratique mais aussi de réprimer les personnes qui la dénoncent, a déclaré Alioune Tine, directeur du bureau régional pour Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale à Amnesty International.
« À l’approche d’élections cruciales cette année et l’an prochain, le risque de troubles sociaux est élevé si toutes les voix – même les plus critiques – ne sont pas respectées. Les autorités doivent cesser cette attaque contre les défenseurs des droits humains et prendre des mesures concrètes et efficaces pour mettre fin à l’esclavage et à la discrimination. »
Le rapport présente les différentes tactiques utilisées par les autorités mauritaniennes pour faire taire les défenseurs des droits humains et les autres militants, notamment l’interdiction de manifestations pacifiques, le recours à une force excessive contre des manifestants, l’interdiction d’organisations militantes et l’ingérence dans leurs activités.
D’après les estimations d’organisations internationales antiesclavagistes, jusqu’à 43 000 personnes étaient réduites en esclavage en Mauritanie en 2016, soit environ 1 % de la population totale.
Amnesty International a constaté que la police, les procureurs et l’appareil judiciaire ne répondaient pas de façon appropriée aux cas d’exploitation signalés, qu’il s’agisse d’identifier les victimes ou de punir les responsables présumés. En 2016, seulement deux personnes ont été condamnées par les tribunaux du pays compétents pour connaître des affaires d’esclavage, alors que ces juridictions avaient été saisies de 47 dossiers, dans lesquels 53 suspects étaient impliqués.
Pratiques discriminatoires touchant Haratines et Afro-mauritaniens
Le rapport révèle que les pratiques discriminatoires touchent particulièrement les membres des communautés haratine et afro-mauritanienne. Ceux-ci sont absents de pratiquement toutes les positions de pouvoir et rencontrent des difficultés pour se faire enregistrer sur les registres de l’état civil, ce qui limite notamment leur accès à des services essentiels.
Le droit de manifester est également visé par la répression en Mauritanie, où 20 groupes de défense des droits humains ont informé Amnesty International que les autorités avaient interdit ou dispersé leurs rassemblements pacifiques ces dernières années – parfois en ayant recours à une force excessive provoquant de graves blessures, y compris des fractures et des traumatismes crâniens.
Ainsi, en avril 2017, une marche d’une centaine de jeunes militants qui demandaient que les politiques éducatives soient destinées au plus grand nombre a été violemment dispersée à Nouakchott, la capitale, et 26 militants ont été arrêtés.
Le 28 novembre 2017, les forces de sécurité ont frappé des membres d’une association de veuves et d’orphelins après que 15 d’entre eux ont été arrêtés au cours d’une manifestation pacifique. L’un des orphelins a dû être hospitalisé après avoir reçu un coup de poing à la tête.
Les manifestations ne sont pas les seules cibles des interdictions ; les organisations luttant contre l’esclavage et la discrimination sont également visées. Le rapport mentionne les cas de 43 associations qui n’ont jamais été autorisées à exercer leurs activités, bien qu’elles aient renouvelé leur demande à plusieurs reprises. Parmi ces organisations figurent l’association de jeunes pour la démocratie Kavana (« ça suffit ») et l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), qui est un mouvement de lutte contre l’esclavage.
Yacoub Ahmed Lemrabet, président de Kavana, a déclaré à Amnesty International :
« Ne pas être une association autorisée, c’est avoir une menace qui plane au-dessus de nos têtes en permanence. Nous continuons les activités, mais nous savons qu’à tout moment les autorités peuvent venir suspendre nos associations et nous jeter en prison. »
“Bienvenue à Guantánamo.’’
Depuis 2014, Amnesty International a recueilli des informations sur 168 cas de défenseurs des droits humains arrêtés arbitrairement, dont 17 au moins ont été torturés et soumis à d’autres mauvais traitements.
Au cours de cette période, les autorités ont arrêté 23 membres du Mouvement du 25 Février, qui regroupe des jeunes en faveur de la démocratie, et 63 membres de l’IRA.
Parmi ces derniers, au moins 15 ont été condamnés à des peines d’emprisonnement à l’issue de procès iniques ; certains ont subi des actes de torture et d’autres mauvais traitements visant à leur soutirer des « aveux ».
Amadou Tijane Diop, militant antiesclavagiste arrêté en 2016, a raconté son calvaire à Amnesty International en juin 2017 :
« Ils m’ont attaché les mains et bandé les yeux. Je ne voyais pas où ils m’emmenaient. Quand nous sommes arrivés, un officier a dit : “Bienvenue à Guantánamo.’’ […] Avant l’interrogatoire, un garde m’a dit : “Dis-leur ce qu’ils veulent entendre. Tu sais que nous avons les moyens de te faire parler.’’ »
Campagnes de dénigrement
De virulentes campagnes de dénigrement, des agressions et des menaces de mort sont perpétrées en toute impunité contre les défenseurs des droits humains, qui sont souvent qualifiés de traîtres, de criminels, d’agents de l’étranger ou de racistes, voire accusés d’apostasie ou de manœuvres politiciennes.
Il arrive que ces actes d’intimidation soient commis aux plus hauts niveaux de l’État et par des groupes religieux, parfois même lors de rencontres internationales en Europe.
Par exemple, la défenseure des droits humains Mekfoula Brahim est visée par une intense campagne coordonnée de dénigrement sur les réseaux sociaux et reçoit des menaces de mort depuis qu’elle a réclamé l’annulation de la condamnation à mort du blogueur Mohamed Mkhaïtir.
Les campagnes décrivant les défenseurs des droits humains comme des menaces pour la sécurité nationale ou les valeurs culturelles mettent les militants et les militantes en danger et ont un effet destructeur sur la liberté d’expression
« Les campagnes décrivant les défenseurs des droits humains comme des menaces pour la sécurité nationale ou les valeurs culturelles mettent les militants et les militantes en danger et ont un effet destructeur sur la liberté d’expression, a déclaré Alioune Tine.
« Les autorités mauritaniennes doivent montrer que toutes les voix dissidentes sont respectées, en libérant toutes les personnes arrêtées uniquement pour avoir dénoncé la discrimination, et en reconnaissant le travail des défenseurs des droits humains. »