Mais, pour éradiquer les pratiques esclavagistes, il faut plus» ont-ils recommandé. Ils ont ainsi insisté sur « la prise de mesures visant la mise à niveau économique des victimes de l’esclavage.»
Certains députés «ont proposé la construction d’infrastructures dans les adwaba, d’autres un fonds d’aide aux descendants d’esclaves économiquement faibles. » Le député du parti Hatem, Saleh ould Hannane, a clairement, lui, plaidé « la discrimination positive » au profit des victimes de pratiques esclavagistes.
Discriminer dans les domaines du développement, de l’éducation, la culture…
Autre parti qui prône la discrimination positive : Tawassou (Rassemblement national pour la reforme et le développement, RNRD), d’obédience islamiste. Ce parti, première force politique de l’opposition en termes de représentation parlementaire, revendique 100 000 adhérents.
En juillet 2010, Tawassoul a rendu public un document de 12 pages sur « sa vision de l’esclavage et ses séquelles en Mauritanie. »
Dans ce document, le parti islamiste, dit modéré, propose « une politique de discrimination positive en faveur de la couche des anciens esclaves dans les domaines du développement, de l’éducation, de la culture et de la santé, y compris l’octroi de priorités aux collectivités de cette couche, l’orientation des ressources vers elles et l’incitation matérielle pour pousser leurs enfants à l’éducation…. »
Discriminer en faveur des « couches défavorisées »
Dans le programme du candidat Mohamed Ould Abdel Aziz à l’élection présidentielle de juillet 2009, il est également question de « l’introduction de la discrimination positive en faveur des couches défavorisées.» Quelle est la cible derrière « couches défavorisées »?
Dans le programme du candidat Mohamed Ould Abdel Aziz, élu en 2009 et réélu en 2014, il est fait état de « mécanismes adéquats destinés à l’amélioration de conditions de vie des groupes sociaux vulnérables et des victimes des séquelles de l’esclavage en vue de lutter contre les disparités sociales.»
Dans les programmes, discours et autres interventions des responsables politiques mauritaniens, l’idée d’une « discrimination positive » en faveur des harratines descendants d’esclaves est souvent émise sans plus de précisions sur sa nature, ses mécanismes…Pour approfondir le débat, nous avons interrogé des intellectuels mauritaniens.
Professeur Ely Mustapha, écrivain, universitaire, chercheur
Comme « la saignée du temps de Molière »
La discrimination positive, est un traitement préférentiel d’une catégorie de personnes qui est l’objet d’une discrimination. Les effets de la discrimination positive sont connus et leurs impacts sur la catégorie déterminée l’est aussi. Toutefois, toute discrimination positive se doit d’être contextualisée.
Ce n’est pas sa mise en œuvre qui pose difficulté, c’est la capacité de ceux qui doivent la mettre en œuvre. La Mauritanie, ne reconnait pas encore, ni de fait, ni légalement un statut économique et social différencié pour les haratines.
Le système politique traine d’ailleurs à leur reconnaitre une quelconque spécificité sinon à travers la notion d’esclavagisme qui n’a aucune portée économique et sociale, sinon une volonté traduite en droit de combattre les séquelles de l’esclavage (et non pas forcément l’esclavage, qui est une notion non partagée dans la communauté maure).
Dans les pays où la discrimination positive est reconnue, elle l’est à travers trois démarches essentielles: une reconnaissance sans équivoque par le pouvoir politique de la nécessité de son application. Ensuite, le caractère manifeste de la situation socio-économique des bénéficiaires. Enfin, une réalité de la différenciation.
Or, pour cette dernière démarche, penser une discrimination positive dans un pays, comme la Mauritanie où la majorité de la population (toute race et classes, tribus confondues) souffre de misère et de difficultés sociales manifestes, serait vue non pas comme une action bénéfique à applaudir mais une volonté de privilégier les haratines au détriment reste de la population avec ce que cela comporte comme réactions dans un pays où ce n’est certainement pas le bons sens ni la tolérance, ni l’éducation qui militerait en faveur de la discrimination positive en faveur des haratines.
En résumé, la discrimination positive est une technique qui répond à des conditions qui sont loin d’exister en Mauritanie. Enfin, la discrimination positive constitue une charge économique et financière importante.
Il faut la planifier, la budgétiser et la mettre en œuvre dans le cadre de la politique économique et sociale de l’Etat (exemples: écoles de soutien, la scolarisation des adultes, des enseignants délégués, des structures d’encadrement des harratines pour l’emploi et la formation technique professionnelle etc.).
On n’applique pas une discrimination positive du jour au lendemain ; une pléiade de services de l’Etat et de l’administration publique (dans tous les domaines se doit d’être mobilisée).
Donc, une stratégie à long terme, un plan d’action annuel, une administration spécifique, une budgétisation des investissements récurrents et le dégagement de ressources supplémentaires pour la mise en œuvre de la stratégie est des plans d’actions. Existe-t-il une volonté politique en Mauritanie capable de mettre en œuvre tout ce processus ? L’incompétence, le népotisme, la corruption…y sont déjà des barrières incontournables.
Mais la question de la discrimination positive se doit d’être posée, au moins pour que l’on continue à espérer qu’une telle solution, même difficilement applicable, puisse en drainer d’autres mieux « acceptées » dans le contexte mauritanien, féodal, tribaliste, clanique et dominé par un régime qui divise pour régner. Un régime pour lequel la question « harratine » est un instrument de gestion de cette division.
Donc il ne cherchera pas de solution pour une situation qu’il gère de manière machiavélique
Telle est hélas! La triste réalité. Une réalité mauritanienne dans laquelle la technique de la discrimination positive ressemble à la saignée du temps de Molière. Le malade pouvant en mourir.
Idoumou Mohamed Lemine Abbas, professeur de lettres, écrivain
« La discrimination positive, une solution si…»
La discrimination positive peut être une solution si elle est appliquée dans des domaines pouvant structurer la société à moyen et long termes sur des bases égalitaires : l’éducation, la santé, le crédit agricole, l’emploi, l’accès aux moyens de production… Telle que prônée aujourd’hui par certains (réservation de quotas dans les postes administratifs et autres), la discrimination positive profitera peut être à une infime partie de l’élite haratine mais jamais à la grande masse des marginalisés.
Ould Oumeir Mohamed Fall, historien, éditorialiste
«Eviter la stigmatisation»
Tout effort dans le sens de la discrimination positive des haratines sert la cause de l’émancipation et corrige les torts accumulés. Mais à condition d’être accompagné par un travail rigoureux portant sur l’égalité des chances, la justice sociale et l’équité dans la distribution des biens communs.
On doit tendre vers une normalisation des rapports et des comportements pour éviter la stigmatisation au prétexte de permettre de rattraper les écarts forgés par un long passé de servitude.
Gourmo Abdoul Lo, universitaire, professeur de droit
« Une exigence pour une communauté dominante… »
La notion de discrimination positive implique l’idée que l’Etat, en prenant conscience d’inégalités profondes qui affectent une fraction de la population en raison d’une situation historique objective de diverses natures, décide de procéder à la prise de mesures correctives pour restreindre puis effacer les inégalités en question
La situation d’inégalité dont est victime la communauté hrattine répond à cette exigence à tout point de vue, notamment parce qu’elle constitue la partie dominante de notre société en termes démographiques et en termes de forces de travail L’une des raisons de cette inégalité tient au fait que les hrattines sont l’objet de beaucoup de préjugés et victimes de la faiblesse de leur capacité d’influence dans les décisions.
Cela signifie donc qu’il faut prendre diverses mesures pratiques de correction, pour les insérer dans les circuits économiques stratégiques (fonds d’appui aux PME, facilités bancaires, facilités d’accès à la propriété immobilière etc.)
Il faut y ajouter des positions politiques dominantes de type paritaire (comme celles dont bénéficient les femmes en matière électorale).
Khalilou Diagana
Pour le programme : « Liberté, droits et justice pour combattre l’esclavage par ascendance en Mauritanie promu par le département d’Etat des États Unis»
Source : Le Quotidien de Nouakchott