Mi-novembre, la chaîne CNN dévoilait la vente de migrants noirs sur des marchés aux esclaves en Libye. Des artistes, intellectuels et militants africains, descendants d’Africains et antillais interpellent l’Union européenne, accusée d’inaction face à ce drame humain.
Le 14 novembre dernier, le monde découvrait avec stupéfaction ce que des ONG savaient et dénonçaient : la vente de migrants noirs sur des marchés aux esclaves en Libye. Africains, descendants d’Africains et Antillais, nous nous sentons profondément blessés par cette actualité qui ravive des douleurs issues des profondeurs de notre Histoire.
Aux côtés d’artistes, d’intellectuels et de militants épris de liberté, nous interpellons ceux qui, par leur silence ou leur complicité passive, laissent le crime se déployer depuis plusieurs années.
Nous sommes au début du 21ème siècle. Mais pour les migrants africains qui sont jetés sur les routes de l’exil par la misère, la guerre ou l’oppression politique, il semblerait que nous soyons revenus au temps où leurs ancêtres étaient soumis à la traite négrière transsaharienne.
Du Sinaï au désert libyen, c’est en effet un crime contre l’Humanité qui se déroule depuis plusieurs années. Des êtres humains y sont battus parfois jusqu’à la mort, rançonnés, violés, séquestrés, affamés et réduits en esclavage.
Il y a quelques jours, des caméras ont saisi dans le sud libyen des images que nous ne pouvions qu’imaginer ou contempler sur de vieilles photos jaunies révélant des scènes surgies d’antan : la vente de noirs sur des marchés aux esclaves. Comme si se reconstituaient les vieilles routes de l’esclavage qui passaient jadis par Koufra ou Barqa.
Nous ne sommes ni naïfs, ni ignorants. Nous savons, sans doute en nous en indignant insuffisamment, que plus de 40 millions de personnes vivent dans le monde dans une situation assimilable à l’esclavage. Nous savons également les supplices que subissent les migrants entre les mains des passeurs et de leurs complices. Mais la situation que vivent en Libye les migrants venus de l’Afrique subsaharienne nous révulse particulièrement pour trois raisons.
Tout d’abord, c’est un pays où même les représentants de la force publique se livrent aux pires sévices au sein de camps immondes qui, dans leur effroyable réalité concentrationnaire, sont tous des offenses à la conception la plus minimale du respect dû aux êtres humains.
Ensuite, c’est un pays membre de plusieurs organisations internationales ou régionales qui ont, jusqu’à aujourd’hui, fait preuve d’une frappante inaction : l’ONU, dont la seule réponse ne saurait être l’indignation, l’Union africaine, la Ligue Arabe et l’Organisation de la Coopération Islamique.
Enfin, c’est également un pays que l’Union européenne a choisi comme un partenaire chargé d’«assurer» la frontière sud de l’Europe. Et ceci dans un but publiquement assumé : éviter que des migrants posent le pied sur le Vieux continent pour y trouver un refuge.
Au regard des exactions dont elle a été alertée par de nombreuses ONG, comment l’Union européenne peut-elle caresser l’espoir d’un accord avec la Libye calqué sur celui qu’elle a, en tout déshonneur, conclu avec la Turquie ?
Comment l’Union européenne peut-elle accepter que l’Italie – qui agit en quelque sorte par délégation des autres pays membres de l’Union – finance des milices locales impliquées dans les horreurs décrites ?
Comment l’Union européenne peut-elle continuer à concentrer son attention sur le renvoi de migrants au sud de la Libye alors que l’urgence est bien celle de mettre fin à un crime contre l’Humanité ?
La responsabilité morale – et judiciaire ? – de l’Union européenne dans ce cauchemar est davantage qu’un constat : elle est une honte dont nous refusons qu’elle soit recouverte par les habituels propos lénifiants sur l’illusoire «amélioration des conditions de détention». On n’améliore pas la pratique esclavagiste et les réalités concentrationnaires. On les combat jusqu’à leur disparition totale.
C’est pourquoi, dans cette interpellation qui s’adresse également aux pouvoirs africains, nous exigeons de l’Union européenne et des Etats-membres qu’ils indiquent sans délai les mesures qu’ils comptent prendre afin de mettre un terme aux souffrances qui frappent des noirs que l’on dirait ramenés aux heures sombres de l’esclavage.
Retrouvez l’ensemble des signataires et signez la pétition à http://abolition.wesign.it/fr
Premiers signataires :
Dominique SOPO, président de SOS Racisme
Audrey PULVAR, présidente de la Fondation pour la Nature et l’Homme
Baki YOUSSOUPHOU, porte-parole de « Quoi ma gueule »
Omar SY, comédien
Marie-Roger BILOA, journaliste
Cheick Tidiane SECK, artiste
Benjamin ABTAN, président de l’European Grassroots Antiracist Movement
Abdennour BIDAR, philosophe
Rachid BOUCHAREB, réalisateur et producteur
Clémentine CELARIE, comédienne
Patrick CHAMOISEAU, écrivain
Laurent DESMARD, président de la Fondation Abbé Pierre
Jacob DESVARIEUX, artiste
Doudou DIENE, président de la coalition internationale des sites de conscience
Aïcha ELBASRI, ancienne porte-parole de la MINUAD
Tiken Jah FAKOLY, artiste
Cheikh FALL, bloggeur, entrepreneur et président des Africtivistes
Faïza GUENE, romancière
Mémona HINTERMANN, journaliste
Salif KEÏTA, chanteur et musicien
Angélique KIDJO, chanteuse
Séverine KODJO-GRANVAUX, philosophe et journaliste
Thierry KUHN, président d’Emmaüs France
Gilles LELLOUCHE, acteur, réalisateur, auteur
Alain MABANCKOU, écrivain
Jacky MAMOU, président du collectif Urgence Darfour
Jacques MARTIAL, président du Mémorial ACTe
Achille MBEMBE, professeur d’histoire et de science politique, Université du Witwatersrand
Danielle MERIAN, présidente de SOS Africaines en danger
Etienne MINOUNGOU, comédien et dramaturge
MOKOBE, musicien et acteur
NAGUI, animateur et producteur
Olivier NAKACHE, producteur
Pap NDIAYE, historien
Yannick NOAH, artiste et sportif
Euzhan PALCY, cinéaste
PASSI, artiste
Sonia ROLLAND, actrice et réalisatrice
Serge ROMANA, président du CM98
Harry ROSELMACK, journaliste
Jean-Christophe RUFIN, écrivain, ancien président d’Action contre la faim
Oumou SANGARE, chanteuse
Claudy SIAR, journaliste
Lilian THURAM, président de la Fondation Education contre le Racisme et pour l’Egalité
Source: Libération