Le douloureux chapitre de la déportation des Africains en terres d’Islam, est comparable à un génocide. Cette déportation ne s’est pas seulement limitée à la privation de liberté et au travail forcé. Elle fut aussi – et dans une large mesure – une véritable entreprise programmée de ce que l’on pourrait qualifier « d’extinction ethnique par castration. »
Sur le sujet, bien des écrits témoignent des traitements abominables que les Arabo-musulmans réservaient aux captifs africains, et aussi de leur solide mépris envers les peuples du bilad as-Sudan (le Pays des Noirs.) Ainsi et à ce propos, l’historien Ibn-Khaldum énonce : « les seuls peuples à accepter l’esclavage sont les nègres, en raison d’un degré inférieur d’humanité, leur place étant plus proche du stade animal », jugement qui se passe de commentaires.
LES HOMMES ESCLAVES EN TERRE ARABE
Bien des peuples africains s’étaient pourtant converti à l’Islam, notamment depuis l’arrivée des Almoravides.
Cette conversion ne les préservait nullement de l’état de « proie », en dépit de leur statut d’ « étrangers » et de « récents convertis. » Car si la loi islamique ne revêt aucune forme de discrimination liée à ce qu’il fallait bien nommer « la race » à l’époque, les Arabes prendront leurs aises avec l’esprit du texte. C’est ainsi que le marocain Ahmed al-Wancharisi décrétait que « seul un incroyant peut être réduit en esclavage… Mais s’il y a un doute sur la date à laquelle un homme est devenu esclave et s’est converti à l’Islam, on ne peut remettre en question sa vente ou sa possession. » Il ajoute que « la conversion à l’Islam, ne conduit pas forcément à la libération, car l’esclavage est une humiliation due à l’incroyance présente ou passée. » Argument que reprendront à leur compte les « soldats du Christ » dans le nouveau Monde à propos des peuples à peau brûlée qui sans doute étaient « trop cuits dans la matrice » (Ibn al Faqi.)
L’interprétation des textes sacrés laissait libre cours à ceux qui en avaient jugé de décider du sort des musulmans africains. Mais pourquoi cet impérieux besoin d’esclaves dans le monde arabe ? Et pour quel usage ? Nombreux furent les esclaves affectés à la surveillance des harems. Ceux-là, comme bien d’autres parmi les plus jeunes, subissaient au préalable le supplice de la castration pour des raisons aisément imaginables. La plupart cependant étaient affectée aux tâches domestiques ou bien incorporés dans de véritables corps d’armée. Les adultes mâles « entiers » étaient employés aux travaux domestiques et guerriers, dans les mines de sel et d’or, voire dans les propriétés agricoles. Quant aux « femelles », les harems en étaient remplis, tout au moins pour les plus belles ! Celles dépourvues de charmes rejoignaient le troupeau des gardiennes de troupeaux et de « bonnes à tout faire » et cela, quelle que fût leur origine ethnique, il faut le préciser.
LES FEMMES ESCLAVES EN TERRE ARABE
Avant la traite des Noirs Il y eut d’abord les jeunes «slaves» (Européens) emmenés de force en Espagne pour y subir l’amputation les privant de leur virilité. La loi coranique interdisant aux vrais Croyants de pratiquer en personne l’opération, celle-ci était l’apanage d’un «peuple cousin» c’est-à-dire les Juifs. Ensuite, ce fut au tour des garçons du Continent noir de subir la même atteinte. Leurs chances de survie étaient minimes, la mort emportant de 70 à 80 % des « patients. » Pour le reste, s’il existe bien des descendants de Noirs en terres arabes, ceux-la sont une exception. Ils doivent leur existence au désir des anciens maîtres, d’augmenter leur « cheptel » à bon compte et dans des buts essentiellement pratiques. Dès les débuts de la traite orientale, les Arabes avaient décidé de castrer les Noirs, pour empêcher qu’ils ne fassent souche. Ces malheureux étaient soumis à de terribles contraintes, pour éviter qu’ils ne s’intègrent en implantant une descendance en terre arabe.
LES FEMMES SLAVES
Sur le sujet, les commentaires d’une rare brutalité des Mille et une Nuits témoignent des traitements abominables que les Arabes réservaient aux captifs africains, dans leurs sociétés esclavagistes, cruelles et particulièrement méprisantes pour les Noirs. Sur l’exploitation sans vergogne des peuples africains dès le XVIIème siècle – exploitation motivée par des raisons essentiellement économiques et de « salubrité » -, les Européens, bien après Venise et Byzance, Portugais et Anglais en tête suivis de près par les Français et les Espagnols, ont allégrement remplacé les prédateurs arabo-musulmans en fait de chasse aux esclaves et de commerce ad hoc : c’est la Traite atlantique, de sinistre mémoire.
Toutefois, comme l’a souligné Fernand Braudel, la traite négrière n’a pas été une invention diabolique de l’Europe. C’est bien les Arabo-musulmans qui en sont à l’origine et l’ont pratiqué en grand. Si la Traite atlantique a duré de 1660 à 1790 environ, les Arabo-musulmans ont razzié les peuples noirs du VIIème au XXème siècle. Pendant près de mille ans, ils ont été les seuls à pratiquer la traite négrière. Aussi, la stagnation démographique, les misères, la pauvreté et les retards de développement actuels du continent noir, ne sont pas le seul fait du commerce triangulaire, comme bien des personnes se l’imaginent, loin de là. De même que si des guerres tribales et de sanglantes représailles eurent lieu tout au long des siècles, entre tribus voire entre ethnies africaines, tout cela restait modeste à bien des égards, jusqu’à l’arrivée des « visiteurs » arabo-musulmans.
AFRICAINS CAPTIFS DEVENUS ESCLAVES
Les historiens, dans leur grande majorité, sont formels : bien avant l’Islam, la traite orientale, qui s’est d’abord exercée à l’encontre des « slaves » (Européens : on parle de huit à dix millions de victimes ) a fini par tabler sur la facilité, en se reportant sur les peuples du Continent noir. Peuples que les Arabo-musulmans considéraient comme étant naïfs et dépourvus de moyens de défense efficaces.
Et s’il y eut de grands mouvements abolitionnistes en occident lors de la traite atlantique, on ne trouve nulles traces d’initiatives équivalentes dans le monde Arabo-musulman. Quant aux chiffres de cette traite orientale que nous verrons plus loin – du moins ceux parvenus jusqu’à nous, car ses acteurs ne tenaient pas de relations écrites au contraire des atlantistes -, sont effarants. L’historien anglais Reginald Coupland avance que le « total des Africains importés au cours des siècles doit être prodigieux », ce que soutiennent bien des auteurs qui ne peuvent être suspectés de parti pris. Le Jihad (la guerre sainte contre les Incroyants) aidant, Arabes, Turcs, Persans et négriers du Maghreb ont saigné « à blanc » le continent noir, et ce pendant plus de treize siècles.
L’expansion arabe était comparée par Ibn Khaldoum : « à des sentinelles n’épargnant même pas les forêts. » Ce savant arabe assurait que ses compatriotes, tels des Attila, semaient la ruine et la désolation partout où ils passaient, depuis la terre des Noirs jusqu’aux bords de la Méditerranée. Avec l’arrivée des Arabes les techniques des « collectes guerrières » en Afrique furent progressivement très étudiées et bien huilées. Ce commerce de chair entre certains monarques et les chasseurs d’hommes deviendra florissant.
L’OFFENSIVE DES ARABO-MUSULMANS
L’une de ces « techniques de guerre » consistait à ceci :
Après avoir encerclé un village en pleine nuit, les guetteurs éliminés, un meneur poussait un cri afin que ses complices allument leurs torches. Les villageois surpris dans leur sommeil étaient mis hors d’état de se défendre, les hommes et les femmes âgées massacrées ; le reste était garrotté en vue du futur et long trajet. Ceux qui avaient réussi à s’enfuir étaient pourchassés par les molosses dressés à la chasse à l’homme.
Il arrivait que des fugitifs se réfugient dans la savane, à laquelle les trafiquants mettaient le feu pour les débusquer. Ensuite pour les rescapés commençait la longue marche vers la côte ou l’Afrique du Nord, à travers le désert impitoyable. Les pertes estimées à environ 20 % du « cheptel », étaient inévitables. La progression des caravanes de captifs à travers cet océan de sable durait parfois des mois. Imaginons leurs conditions de survie, les adultes mâles « accouplés » à l’aide d’une fourche de bois et retenus par un collier de fer (qui à la longue creusait les chairs) au cours de leur interminable et dur trajet.
Le froid des nuits, la chaleur des jours, la faim, les injures et le fouet, les maladies… Le souvenir de la patrie disparue en chemin, la crainte d’un futur inconnu, le voyage interminable sous les coups, la faim, la soif et l’épuisement mortel, ont paralysé leurs dernières facultés de résistance.
LA RÉVOLUTION DES ESCLAVES NOIRS
Arrivés en terres arabo-musulmanes, les captifs africains allaient se révolter. En Mésopotamie, furent déportés une masse considérable de captifs noirs. Ces hommes appelés Zendjs étaient originaires pour la plupart d’Afrique orientale. Ils étaient affectés à la construction de villes comme Bagdad et Basra. Ceci dans le vaste cadre d’un trafic qui allait prospérer pendant plus d’un millénaire, du VIIème au XXème siècle.
Les Zendjs considérés comme des sous-hommes par les Arabes, avaient la réputation, une fois réduits en esclavage, de se satisfaire assez rapidement de leur sort, donc particulièrement destinés au servage. Ainsi, l’essor de la traite transsaharienne et orientale fut aussi inséparable de celui du racisme. Depuis la nuit des temps, c’est un moyen simple et bassement efficace pour nier la dignité humaine de ceux que l’on voudrait asservir. Les Arabes employaient le mot Zendj dans une nuance péjorative et méprisante : « Affamé, disaient-ils, le Zendj vole ; rassasié, le Zendj viole. »
Dans ce pays les Noirs étaient affectés aux tâches les plus rebutantes. Parqués sur leur lieu de travail dans des conditions misérables, ils percevaient pour toute nourriture quelques poignées de semoule et des dattes. Les Africains laisseront éclater leur haine avec l’objectif de détruire Bagdad, la cité symbole de tous les vices. Armés de simples gourdins ou de houes et formés en petites bandes, ils se soulevèrent dès l’an 689.
Cette première insurrection se produisit au cours du gouvernement de Khâlid ibn `Abdallah, successeur de Mus`ab ibn al-Zubayr. Les révoltés qui s’étaient organisés avaient réussi par la suite, à se procurer des armes. Ils se fortifièrent dans des camps installés à des endroits inaccessibles. Et à partir de ces différents points, ils lançaient des raids. Un grand nombre d’embuscades et de batailles tourneront à leur avantage. Ils réussirent par la suite à s’emparer de principales villes du bas Irak et du Khûzistân comme al-Ubulla, Abbâdân, Basra, Wâsit, Djubba, Ahwâz etc. Les troupes abbassides allaient toutefois réussir à réoccuper sans mal, toutes ces villes que les Zendjs avaient prises, pillées puis abandonnées.
Les Zendjs seront finalement vaincus, les prisonniers remis en esclavage ou décapités et leurs cadavres pendus au gibet. Ceci ne les dissuadera pas de fomenter une seconde révolte mieux organisée. Cette insurrection eut lieu cinq ans plus tard, en 694. Elle semble avoir été plus importante que la première, et surtout mieux préparée. Cette fois, les Zendjs furent rejoints par d’autres Noirs déserteurs des armées du calife, des esclaves gardiens de troupeaux venus du Sind en Inde et aussi d’autres originaires de l’intérieur du continent africain.
Les insurgés infligèrent dans un premier temps, une lourde défaite à l’armée du calife venue de Bagdad, avant d’être battus. Les armées arabes furent néanmoins obligées de s’y prendre à deux fois pour les écraser. Quant à la troisième révolte des Zendjs, elle est la plus connue et la plus importante. Elle secoua très fortement le bas Irak et le Khûzistân, causant des dégâts matériels énormes et des centaines de milliers de morts voire plus de deux millions selon certaines sources. C’est le 7 septembre 869, que sous les ordres d’un chef charismatique, Ali Ben Mohammed surnommé « Sâhib al-Zandj » qui veut dire le « Maître des Zendjs » que les Africains se soulevèrent.
L’homme était d’origines assez obscures mais avait visiblement pu approcher les classes dirigeantes de son époque. Il était également un poète talentueux, instruit, versé dans les sciences occultes et socialement engagé dans des actions d’aide auprès des enfants. Il leur apprenait à lire et à se familiariser avec des matières comme la grammaire et l’astronomie. Ali Ben Mohammed avait déjà fomenté plusieurs soulèvements dans d’autres régions du pays, avant de réussir, à la tête des Zendjs, la plus grande insurrection d’esclaves de l’histoire du monde musulman.
Cette révolte avait fini par être populaire. Les Zendjs réussirent à gagner la sympathie de nombreux paysans libres et même de pèlerins de passage.
Après s’être affranchis, ils organisèrent un embryon d’État avec une administration et des tribunaux. Dans cette nouvelle entité autonome, ils appliquaient la loi du talion aux Arabes vaincus et aux soldats turcs, qui étaient réduits en esclavage et objet de trafic. Les Zendjs attaqueront par surprise et feront tomber Basra, sur trois fronts, le vendredi 7 septembre 871 à l’heure de la prière. Ils fixèrent ensuite leur capitale dans la ville proche de Al-Muhtara, siège de leur commandement militaire et administratif.
Solidement installés, ils frappèrent leur propre monnaie, organisaient leur État tout en essayant, de nouer des relations diplomatiques avec d’autres mouvements contemporains comme ceux des Karmates de Hamdân Karmat, et des Saffârides de Ya`kûb ibn al-Layth. Les Zendjs tiendront pendant près de 14 ans, avant d’être écrasés en 883, par une coalition de troupes envoyées par les califes locaux.
Pour ce qui est de cette traite en direction des pays arabo-musulmans, elle fut la plus longue de l’histoire car faut-il le rappeler, l’Arabie Saoudite et la Mauritanie n’ont « officiellement » aboli l’esclavage qu’en 1962 pour le premier pays, et en 1980 pour le second — longtemps après la Tunisie et l’Algérie (1846) et les pays d’Europe. On peut soutenir que le commerce négrier et les expéditions guerrières des Arabo-musulmans, furent pour l’Afrique noire et tout au long des siècles, bien plus dévastateurs que la traite atlantique. Dans la traite transsaharienne et orientale, les Arabes destinaient la plupart des femmes noires aux harems et castraient les hommes comme nous l’avons vu, par des procédés très rudimentaires qui causaient une mortalité considérable.
Les descendants d’esclaves africains ont presque tous disparu sans laisser de traces. Ils sont aujourd’hui presque inexistants en Orient. Il est certain que cette pratique généralisée de la castration, en est l’un des principaux facteurs. Leurs possibilités de se reproduire étaient ainsi annihilées. Quant aux conditions de vie de la majorité des survivants, un voyageur anglais rapporte qu’ils « étaient tellement éprouvantés, que cinq à six ans suffisaient pour supprimer une génération entière d’esclaves. Il fallait à nouveau refaire le plein. » Un tel holocauste, chose curieuse, très nombreux sont ceux qui souhaiteraient le voir recouvert à jamais du voile de l’oubli, souvent au nom d’une certaine solidarité religieuse voire politique. En fait la plupart des historiens africains ou autres, ont restreint le champ de leurs recherches sur les traites négrières à celle pratiquée par les nations occidentales. Notre propos n’a rien de moralisateur, car comment comparer ce qui fut, compte tenu des mentalités et des sensibilités de l’époque, avec notre présent. Le souhait est que les générations futures soient informées de l’antériorité et de la dimension de la traite transsaharienne et orientale. Et que les nations arabo-musulmanes se penchent enfin sur cette sinistre page de leur histoire, assument leur responsabilité pleine, entière et prononcent un jour leur aggiornamento comme les autres et c’est cela aussi, l’Histoire !
Source : « Le Génocide Voilé » de N’Diaye Tidiane