Conglomérat ethnique et tribal , agrégé en entité politique et administrative centralisée, à la faveur de la pénétration coloniale, la population mauritanienne, dans sa diversité raciale a la chance de partager la même religion : l’islam .
Cet atout majeur qui constitue le meilleur ciment de son unité a malheureusement cohabité avec des pratiques d’injustice et d’inégalité qu’il a souvent été instrumentalisé pour justifier ou légaliser.
C’est ainsi que, cinquante ans après l’accession du pays à la souveraineté internationale, notre société continue de trainer, comme une tare congénitale, les stigmates d’un système d’organisation traditionnel de castes, fortement hiérarchisé, qui perpétue des formes de rapports moyenâgeux au sein d’une population répartie en nobles guerriers ou marabouts, anciens esclaves, tributaires, griots, forgerons etc. etc.
En dépit des luttes que mènent depuis plus de quarante ans, des mouvements politiques représentatifs des couches sociales les plus défavorisées et d’autres forces démocratiques du pays, cet anachronisme continue de se nourrir, de nos jours, des pesanteurs de la tradition, du rapport de forces, économiques en particulier, du nombrilisme des uns, du fatalisme et de la lâcheté des autres.
Plusieurs fois séculaire, cette stratification a permis aux franges dites nobles aussi bien parmi les arabes qu’au sein des populations négro-africaines de dominer et d’exploiter les autres castes pour les maintenir dans un état de dénuement économique quasi total et d’infériorité sociale et culturelle sourdement résignée. Ce qui explique et continue d’entretenir nombre de préjugés, de cloisonnements et de frustrations qui handicapent et interdisent à bien des égards, toute évolution vers l’édification d’un état et d’une nation égalitaires et démocratiques..
Aujourd’hui, à la croisée des chemins, en dépit de quelques tentatives timides de démocratisation que le pays a connues ces dernières années et malgré l’adoption de lois qui criminalisent la pratique anachronique de l’esclavage, notre société est plus que jamais menacée dans son unité et notre état dans sa pérennité.
En effet, la persistance et l’aggravation de ces disparités sociales, économiques et culturelles qui ont fini par générer un discours politique cru et violent, en particulier chez certains jeunes leaders de la nouvelle génération, constituent une grave menace qui peut dégénérer à tout moment.
Dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité, J.J. Rousseau disait : *la force a fait les premiers esclaves, leur lâcheté les a perpétués* . Chez nous, en l’occurrence, il faut être aveugle et sourd pour ne pas voir et entendre les prémisses de l’orage.
Cette sombre perspective interpelle la conscience de tous les patriotes pour prendre ce problème à bras le corps. Le pays doit envisager d’y faire face non plus à travers des opérations ponctuelles d’assistanat et de replâtrages insignifiants mais plutôt par une adhésion collective à la nécessité d’un plan stratégique destiné à éradiquer ce fléau au moyen d’une véritable politique de nivellement de ces gaps partout où ces inégalités sont encore notoires.
Il s’agit d’un véritable plan Marchal dont le pays doit s’engager à faire bénéficier les franges de sa population qui ont souffert le martyre des siècles durant, au service des autres, en particulier les anciens esclaves. Ce sacrifice est d’autant plus indispensable qu’il constitue, désormais, la condition sine qua non de notre survie en tant que pays.
Dans cet ordre d’idées, la société civile se doit de s’investir au niveau de la réflexion, de l’élaboration et plus tard, de l’accompagnement d’une telle stratégie.
Il revient aux plus hautes autorités du pays et à la classe politique en général, après avoir publiquement reconnu la pertinence de la lutte menée par les pionniers de cette émancipation et le mérite de tous ceux qui y ont participé jusqu’ici, de se l’approprier, avec eux, et de la promouvoir en vue de la mettre en œuvre sous forme d’une politique prioritaire d’état.
Les objectifs de ce plan, à court, moyen et long terme ainsi que les ressources à mobiliser pour leur réalisation devraient faire l’objet d’un consensus au niveau national et être largement vulgarisés auprès de nos partenaires extérieurs.
En tout état de cause, ce plan doit être fondé sur la reconnaissance ouverte des injustices endurées et la ferme détermination d’y mettre fin sur la base des principes d’équité de l’Islam authentique et des valeurs universelles auxquelles le pays a souscrit. Il devra s’attaquer en priorité à l’esclavage et à ses séquelles et se placer dans la perspective d’un effort global en faveur de toutes les composantes de la société souffrant d’iniquité et d’injustice.
Je suis tenté, pour marquer l’exceptionnelle importance du sujet et la solennité du moment, de suggérer qu’une telle stratégie, une fois élaborée et largement débattue au niveau national, soit approuvée par la majorité de nos concitoyens à la faveur d’un scrutin référendaire à organiser à cet effet.
Novembre 2011
Cheikh Sid’ Ahmed Ould Babamine