Mauritanie : selon un rapport de l’ONU, les trois quarts du pays vivent dans une extrême pauvreté

Mauritanie : selon un rapport de l’ONU, les trois quarts du pays vivent dans une extrême pauvreté Jeune Afrique – Un rapport de l’ONU pointe l’extrême pauvreté dans laquelle vivent les trois quarts de la population et l’exclusion qui frappe les Haratines. Mais les cercles du pouvoir persistent dans le déni…

C’est un rapport sévère que présentera à la 35e session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU (6-23 juin) Philip Alston, rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté en Mauritanie, où il a effectué une mission du 2 au 11 mai 2016.

Les conclusions qu’il en a tirées ne sont pas réjouissantes, constatant que « si la Mauritanie avait réalisé des progrès notables dans la lutte contre la pauvreté ces dernières années », les trois quarts de la population vivent « dans un état de pauvreté multidimensionnelle ou dans un état proche ». Outre l’insuffisance de leurs revenus, ils affrontent des difficultés multiples.

Revenus

Selon une enquête gouvernementale de 2014, la pauvreté (revenu d’un ménage inférieur à 1,34 dollar par jour) a été ramenée de 42 % en 2008 à 31 % cette année-là ; 74 % des pauvres vivent dans les zones rurales. Le taux de pauvreté des ménages grimpe à 59,6 % quand le chef de famille est agriculteur.

Accès à l’eau

« Dans les zones rurales où le rapporteur spécial s’est rendu, il constituait un problème majeur et persistant » : niveau des puits très bas contraignant les villageois à faire de longues queues, sources à des kilomètres du village, points d’eau partagés souvent à sec et hors de prix (504 dollars par an, soit plus que le seuil de pauvreté national, fixé à 474 dollars).

Alimentation

« Selon le Programme alimentaire mondial, le pays serait en proie à une insécurité alimentaire chronique et à une forte prévalence de la malnutrition » : d’après l’enquête de suivi de la sécurité alimentaire réalisée en juillet 2015, 26,8 % des ménages étaient confrontés à une insécurité alimentaire durant la période de soudure.

En zone rurale, ce taux montait à 34,7 %. Les wilayas de Hodh el-Charghi, Assaba, Gorgol, Brakna, Tagant et Guidimagha affichent des taux de malnutrition aiguë supérieurs au seuil d’urgence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Éducation

« Sur le plan international, la Mauritanie se situe dans la moitié inférieure des pays en ce qui concerne les dépenses consacrées à l’éducation en pourcentage du PIB. » Le taux de scolarisation dans le primaire était de 81,1 % en 2014-2015 et de 26 % dans le secondaire. La même année, seulement 380 écoles primaires sur 4 430 disposaient de l’électricité.

Santé

« Les difficultés pour accéder aux installations de santé ont été citées à maintes reprises parmi les préoccupations majeures », notamment en zone rurale : dispensaire très éloigné ou fermé et personnel de santé rare font que « le taux de mortalité maternelle est parmi les plus élevés du monde : d’après le recensement de 2013, il s’élève à 582 décès pour 100 000 naissances vivantes ». Le taux – « accablant » – de mortalité en 2015 chez les enfants de moins de 5 ans est de 84,7 décès pour 1 000 naissances, alors que le plan d’action 2010-2015 prévoyait 45 pour 1 000.

Exclusion sociale

Philip Alston analyse ensuite l’exclusion qui frappe les Haratines (Maures noirs descendants d’esclaves) et les Afro-Mauritaniens (Peuls, Soninkés, Wolofs). Alors qu’ils représentent plus des deux tiers de la population, ces deux groupes « sont systématiquement absents des postes de responsabilité et constamment exclus de nombreux aspects de la vie économique et sociale », écrit-il.

Il s’appuie sur un rapport de 2014 d’après lequel « seulement 5 des 95 sièges à l’Assemblée nationale étaient occupés par des Haratines et un seul sénateur sur 56 appartenait à ce groupe. De plus, seulement 2 des 13 gouverneurs régionaux et 3 des 53 préfets régionaux sont haratines ». Les proportions sont comparables chez les officiers de l’armée et les gradés de la police. La domination des Beydanes (Maures blancs) est écrasante.

Le rapporteur écrit que « les responsables gouvernementaux n’ont cessé [de lui] répéter qu’il n’existait pas de discrimination en Mauritanie » et de prétendre que « les statistiques citées plus haut n’avaient pas un caractère scientifique, mais sans en proposer d’autres ». Il en conclut que « le fait de nier l’importance que revêtent les origines ethniques et d’affirmer que tous les citoyens sont traités sur un pied d’égalité, en ne faisant aucun effort pour cibler spécifiquement les groupes désavantagés, permet de maintenir en place le système actuel ».

Trois facteurs perpétuent cette exclusion : la langue, le régime foncier et l’état civil. La langue officielle est l’arabe, que de nombreux Mauritaniens ne parlent pas. Ils ne comprennent donc aucune communication officielle et, souligne Philip Alston, « il n’est pas difficile de déterminer qui profite et qui pâtit d’une telle politique ».

Des situations inextricables

Ensuite, l’abolition du régime foncier traditionnel en 1983 associée à l’expulsion en 1990 vers le Sénégal de 50 000 Afro-Mauritaniens de la vallée du fleuve Sénégal puis à leur retour progressif ont créé des situations inextricables. Sans titre de propriété ni pièce d’identité, ils ne peuvent obtenir de prêts pour les semences et les engrais et sont souvent menacés d’éviction sans indemnisation par des propriétaires beydanes ou de grands groupes du Golfe.

Enfin, « les Haratines et les Afro-Mauritaniens constituent l’écrasante majorité de ceux qui n’ont pas pu obtenir une carte d’identité nationale, sans laquelle on ne peut pas faire grand-chose en Mauritanie », insiste le rapporteur. Sans carte d’identité, pas d’école après le primaire, pas de droit de vote, pas de droit de propriété, pas d’aides publiques.

« De nombreuses démarches administratives ont été introduites en droit et dans la pratique, ce qui a pour effet de dissuader un grand nombre de demandeurs, essentiellement des Haratines et des Afro-Mauritaniens », ajoute-t‑il.

En conclusion, Philip Alston préconise que, préalablement à toute stratégie de lutte contre la pauvreté, le pays se dote d’une base de données de recensement « qui reconnaisse l’appartenance ethnique ». Cette stratégie suppose aussi des « consultations approfondies et authentiques avec un large éventail de la société civile », dont le pouvoir a trop tendance à se méfier.

Enfin, il propose d’organiser « un dialogue national sur les questions foncières » qui donnerait à toutes les personnes concernées la possibilité de dire leurs difficultés. Ce dialogue devrait déboucher sur « une importante révision du cadre juridique du régime de la propriété foncière ».

Ce rapport est-il antigouvernemental, comme l’ont affirmé des ONG proches des autorités ? Non, ce qu’il met en lumière, c’est le déni des cercles du pouvoir, qui ne veulent pas voir les vraies causes de la grave pauvreté qui persiste dans leur pays, parce qu’il leur faudrait reconnaître que leur jeune nation est multiethnique.

Par Alain Faujas

Source : Jeune Afrique