On me rétorquera que ces peines ne sont pas appliquées. Soit. Mais elles existent. Elles font partie de notre arsenal juridique. N’importe quel juge peut décider de les utiliser. Et c’est bien là le vrai problème.
Notre pays a ratifié les conventions contre les actes de torture et les traitements inhumains. La lapidation est un acte de torture. La flagellation idem. Nous sommes en 2017 et l’on condamne encore à la lapidation pour adultère. Le vrai problème, le terrifiant problème, c’est bien que ces peines barbares, qui vont à l’encontre de toutes nos conventions signées, EXISTENT dans notre arsenal juridique et qu’il suffira, un jour, que des extrémistes prennent le pouvoir en Mauritanie, pour qu’elles soient réellement appliquées…
Oui, l’on sait que, pour le moment, la femme condamnée à la lapidation pour adultère ne sera pas assassinée à coups de pierres. Mais elle est condamnée à la lapidation. Elle restera toute sa vie entachée par ce jugement pour adultère. Elle restera celle qui a été condamnée à mort par lapidation. Nous sommes incapables de nous mettre à jour, face aux conventions que nous signons. Nous sommes incapables d’affronter les « religieux », afin de revoir, de faire le ménage dans notre arsenal juridique.
Nous nous contentons de faire comme si rien de tout ceci existait, nous abritant derrière une forme de moratoire qui a suspendu et ces peines et la peine de mort. Mais tant que ces peines existeront, elles seront comme une épée au-dessus de nos têtes. Elles sont indignes d’un Etat moderne, qui se veut dans le monde. Elles sont torture, ignominie, sang, sadisme, violences… Elles ne sont pas peines. Elles sont traitements inhumains. Elles sont barbares, quels que soient les arguments qu’on puisse m’opposer.
Vous savez ce que c’est, une lapidation? On enterre le corps de la victime jusqu’aux trois-quarts, de façon à ce qu’elle ne puisse tenter de se protéger avec les bras. Puis, on la tue, en lui faisant exploser la tête à coups de pierres. Pierre après pierre, l’agonie est horrible, terrible. L’innommable pour justifier une morale… L’innommable pour justifier une foi. L’innommable pour justifier d’une présupposée bienséance…
Le crime de la ou du lapidé(e)? Avoir aimé. Ironique, non ? Dans notre pays, des hommes ont tué d’autres hommes, pendant les années de sang, les ont exécutés, dans des conditions atroces… et ils sont libres. Une femme a trompé son mari… et elle est condamnée à la mort la plus atroce qu’il soit.
Dans notre pays, des assassins sont restés impunis, affaire d’Etat, mais on condamne à la flagellation.
Dans notre pays, des humains ont été maintenus en esclavage, dans toutes les communautés, contre la loi qui l’interdit… et ont été, dans de rares cas, condamnés à des peines de prison légères. Mais une femme qui a trompé son mari est condamnée à mort.
Dans notre pays, nos commerçants spéculent en période de jeûne, augmentant les prix, volant les gens… et ils restent impunis. Dans notre pays, un homme mûr peut forcer une petite fille de douze ans, après l’avoir mariée… et il ne sera jamais accusé de pédophilie ni de viol.
Mais une femme qui a trompé son mari est condamnée à mort par lapidation… Dans notre pays, on peut torturer une petite fille en l’excisant… et ni l’exciseuse ni la famille de la victime ne sont jamais poursuivies pour actes de barbarie.
Si nous nous glorifions de ces peines abominables, c’est que nous avons perdu tout sens commun et mesure. Si nous nous glorifions de la torture, qu’offrons nous au monde ? Oui, ces peines ne sont pas appliquées. Mais elles sont là. Les magistrats les utilisent pour condamner. Elles sont là. Un jour, elles seront appliquées.
Cela dépendra du nouvel homme fort du pays, à ce moment-là. Je me souviens de cette époque, honteuse pour nous, celle d’Haïdalla, où la Sharia était appliquée, dans sa lecture la plus étroite, et où l’on a coupé des mains en public, où l’on a exécuté en public. C’était bien chez nous, au sein du même peuple que nous sommes. C’était hier. Et ça peut revenir demain.
Il nous faut tout repenser. Avoir le courage, oser, oser. Ne pas se contenter de signer toutes les conventions Internationales mais les faire appliquer, refuser le diktat mortifère d’une certaine frange religieuse, refuser le chantage à la peur et à la violence. Nous devons permettre, aux juges, de pouvoir prononcer d’autres peines.
Car eux-mêmes sont coincés dans ce grand écart permanent entre réalité, compassion et peines encourues. Nous devons aussi nous arrêter un moment, nous regarder, nous demander quelles sont nos priorités, hiérarchiser nos indignations.
L’adultère est- il crime si grand qu’il mérite la mort ? Est-il crime si grand, dans un pays où une partie de la population a soif, ne mange pas à sa faim? Est-il crime si grand qu’il mérite la mort par lapidation? Quelle est notre échelle de valeurs morales ? Une échelle où certains crimes restent impunis, au nom d’une « raison d’Etat », pendant qu’une femme, banale, humaine dans toutes ses faiblesses, est condamnée à mort, pour avoir trompé son mari ?
Et, même si cela fâche certains qui me lisent, oser aborder, de face, ce que nous tentons d’éviter, en faisant le grand écart permanent : pour qu’il n’y ait plus tortures et peines inhumaines, il faudra repenser notre justice, en termes de « laïcisation » de celle-ci. Sans cela, toutes nos ratifications resteront vœux pieux… et sculpture sur les nuages. Salut.
Mariem Mint Derwich
Source : Le Calame (Mauritanie)