LE CRI DU HARTANI N° 2 (janvier 2002)

Le Cri du Hartani n°2 du 2 janvier 2002

La naissance d’un bulletin trimestriel dénommé  » Cri du Hartani « 

Poème en HASSANIA du poète Haratine Mohamed Deya Ould M’Khattii
 » Si j’ai traversé vers la terre de Rome
C’est parce que je veux me séparer des Arabes.
Je ne suis pas les chiens qui n’apprécient
Que ceux qui les étranglent. « 

 » La lutte et la révolte impliquent toujours une certaine quantité d’espérance, tandis que le désespoir rend muet. « 

Charles Baudelaire

Le  » Cri du Hartani  » est le bulletin de l’A.H.M.E. (Association des Haratine de Mauritanie en Europe), 3, allée Fernand Lindet – 93390 Clichy-sous-Bois.

L’A.H.M.E. a été créée le 13 juillet 2001 et déclarée au Journal Officiel Français n° 32 du 11 août 2001 sous le n° 2136. L’A.H.M.E. peut être consultée sur Internet: www.joumal-offciel.gouv.frr.

Le  » Cri du Hartani  » répond à un besoin fondamental, celui d’évoquer les multiples problèmes que vivent les Haratine, c’est-à-dire les esclaves de Mauritanie. Qu’il s’agisse de la négation humaine (réduire la personne humaine à l’animal), en passant par la vente, le viol, le lynchage, la castration ou de supprimer la vie, tout ceci est vécu, au jour d’aujourd’hui par les Haratine (esclaves) de Mauritanie du fait des esclavagistes dont l’État est un des membres.

Quelle est la place des Haratine ?
Quels rôles jouent-ils dans la société arabo-berbère ?
Que représentent-ils sur le plan démographique ?
Que fait l’État mauritanien à leur adresse
et quel rôle joue celui-ci dans le maintien de l’esclavage ?
Que dit l’Islam et que fait-on en son nom ?
Quelles sont les différences et les interactions entre l’esclavage arabo-berbère
et l’esclavage dans la société négro-mauritanienne ?

Le système de contrôle de ma nomination de Consul général en Guinée-Bissau

Dans le numéro 1 du Bulletin trimestriel  » Le Cri du Hartani « , je vous avais promis de revenir sur le détournement des deniers publics, organisé par deux tribus berbères (Smassid et ldaouali) de R’Kiz sur le budget du Consul général de Mauritanie en Guinée Bissau en 1996 et 1997. Réflexion faite, j’ai opté de vous faire le récit de mon calvaire depuis ma nomination, comme Consul général de Mauritanie en Guinée-Bissau en août 1992 jusqu’à ma destitution programmée en 1998. Ce récit est imprégné de l’esclavage du début à la fin .Comment

peut il en être autrement dans une société elle-même esclavagiste ?

Mai 1992, un ami Haratine m’a téléphoné de Nouakchott alors que j’étais Consul
classe, au Consulat général de Mauritanie à Paris et m’a dit ceci :  » Votre nomination comme
Consul général au Niger (capitale Niamey), est imminente. Il convient de rentrer rapidement à

 


1 Ould MKhaïtïr est membre de la tribu Oulad Aïd, du Train.

2 Rome désigne le Sénégal sous la colonisation française. Rome ou Romains désignent les français. Les mauritaniens les appellent aussi ici arabes de Rome.

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Nouakchott « . Ma réponse a été que je ne pouvais pas quitter Paris avant deux ou trois mois et ce, pour des raisons personnelles.

 

1. Le personnage clé du système de contrôle

Le 2 août 1992, j’arrivais à Nouakchott. Ma destination n’est plus le Niger, mais laGuinée-Bissau (capitale Bissau). Ahmedou Ould Saleck, comptable au Consulat général de Mauritanie en Guinée-Bissau, vient d’être affecté au Niger.

Le nouveau comptable du Consulat général de Mauritanie en Guinée-Bissau, originairede la région du Hodl El Charghi a pris contact avec moi et m’a informé qu’il doit aller à Bissau pour prendre service- Le jour de son départ sur Bissau, à l’aéroport de Nouakchott, ordre leur a été donné de ne pas partir. Pourquoi ? L’intéressé ne sait pas, moi non plus. L’ordre vient de Khattry Ould Jiddou à l’époque, Secrétaire général du ministère des Affaires étrangères. Renseignements pris : le nouveau comptable deGuinée-Bissau va partir au Niger et Ahmedou Ould Saleck, ancien comptable et toujoursen poste à Bissau, reste à Bissau.

La question est: pourquoi Ahmedou Ould Saleck, qui était à Bissau, depuis 1988, ouverture du Consulat, est subitement affecté au Niger, puis de nouveau maintenu àBissau ?

    1. Explication officielle avancée par Khattry Ould Jiddou, Secrétaire général du ministère des Affaires étrangères :  » Ahmedou Ould Saleck a vécu en Guinée-Bissau. Il parle le portugais (langue officielle de Guinée-Bissau), ainsi que le créole (dialecte), utilisé dans votre circonscription consulaire. Pour cette raison, il vous sera utile « . Ould Moine, alors ministre des Affaires étrangères, m’a répété la mêmechose. D’ores et déjà, je peux affirmer que les raisons qui mont été avancées par lesdeux responsables du ministère des Affaires étrangères sont fausses. Ahmedou Ould Saleck ne sait ni écrire ni parler le portugais. J’ajoute qu’il ne parle pas non plus le créole (dialecte de Guinée-Bissau). En revanche, il parle l’espagnol parce qu’il a vécucinq ans en Espagne comme comptable à l’Ambassade de Mauritanie à Madrid. Le portugais et l’espagnol sont deux langues latines, mais tout à fait différentes.

Ahmedou Ould Saleck a abandonné l’école primaire au CE2 (4è année) en 1967. La même année, il a travaillé à Dakar (Sénégal) comme aide boutiquier. En 1968, sansformation, sans diplôme, il a été nommé comptable dans les Ambassades de Mauritanie accréditées dans les pays suivants : Koweït, Iran, Libye, Espagne et Guinée-Bissau, presque sans interruption jusqu’en 1998, soit trente ans de service àl’extérieur. Il n’y a qu’en Mauritanie, où un berbère ou un arabe peut travailler commecomptable pendant si longtemps, sans niveau d’études, sans formation aucune. Lacomptabilité a été apprise dans une boutique à Dakar. Son seul atout est d’appartenirà une famille berbère, de la tribu Idaouali. J’ajoute aussi que Ahmedou Ould Saleckne sait ni lire ni écrire en arabe et en français. Dans un pays où règne le racisme etl’esclavage, l’appartenance à une race, à une ethnie est un privilège ou un handicap.

  1. Explication non dite. Dans la réalité, Ahmedou Ould Saleck est un informateur de l’État mauritanien, placé auprès du cadre Haratine que je suis. Aujourd’hui enMauritanie, chaque cadre Haratine, ayant un poste de responsabilité, est surveillé, contrôlé, suivi par un fonctionnaire de son service qui rend compte directement auministère de Tutelle ou à la Présidence, ou les deux.

 

II. Le contrôle tribal

Pourquoi Ahmedou Ould Saleck et pas quelquun dautre? Parce que Ahmedou Ould Saleck est de la même contrée géographique que moi : le département de R’Kiz Sa propre tribu (Idaouali) domine culturellement (par la religion, ici c’est l’Islam), économiquement et politiquement la tribu Haratine (Oulad Aïd) à laquelle j’appartiens. La dominations’exerce par le biais de lIslam La confrérie Tijania, véhiculée dans la région du Trarza, par la tribu Idaouali, est une véritable machine de transformation mentale etpsychologique, qui permet une exploitation économique de lensemble des Haratine dudépartement de RKiz et au-delà. Le système traditionnel dasservissement social ne sebasait pas uniquement sur un système de soumission

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économique et politique. Il était renforcé par une système de soumission culturel3.Un exemple pour fixer les idées. L’imam de la mosquée de notre village Oumou El Ghoura (Adabaye), à côté de Tékane, est un membre de la tribu Idaouali ; installé en 1988 par le grand marabout Cheikh Tijani Ould Maouloud Val, figure importante de la confrérie Tijania. L’imam de notre village cumule trois fonctions : il dirige les prières, enseigne le Coran et dit et exécute le droit musulman. Ainsi, la communauté Haratine en question, est bien quadrillée. En matière de résultat, aucun enfant du village ne sait lire ou écrire. En revanche, certains récitent le Coran sans rien y comprendre. Mais aucun enfant n’a récité le Coran en entier. C’est une confiscation du savoir. Je précise que le père de l’imam de la mosquée de notre village et le père du comptable Ahmadou Ould Seleck, ont le même père et la même mère. C’est un véritable réseau qui contrôlent les Haratine dans leur vie quotidienne, de la naissance â la mort. Les Ratatine sont enfermés dans un cadre d’éducation inculqué par les esclavagistes, acquis et pérennisé, en partie par les victimes elles-mêmes. Ainsi donc, mentalement, les Haratine acceptent leur état d’infériorité et de soumission. Pire, beaucoup pensent qu’il s’agit d’un salut. La manipulation de l’Islam par les esclavagistes, notamment les marabouts (Zwaya) fait que les Haratine et les esclaves croient qu’après la souffrance, ils iraient au Paradis. Ce système de domination n’a pas besoin de forces de l’ordre pour exister. Au niveau tribal, l’éducation des Haratine est entretenue par les esclavagistes. Sur le plan économique, le lac R’Kiz est la plus grande superficie cultivable du département du même nom. Il est alimenté par les affluents du fleuve Sénégal. De grands barrages ont été construits et ont fait l’objet de financements internes et externes, en vue de permettre la mise en valeur de ce lac. Il n’en a rien été parce que les tribus berbères refusent que les terres soient distribuées aux autres populations, plus nombreuses et plus nécessiteuses, composées essentiellement de Haratine. L’ensemble du lac est contrôlé par cinq tribus berbères : Idaouali, Idad Lehcen, Tâjekânt, Smassid et Oulad Deimane. Ces tribus ne travaillent pas la terre. Elles pratiquent le métayage. Les terres sont louées moyennant la moitié de la récolte, parfois plus. Ainsi, les Haratine nauront jamais de terres à cultiver, encore moins les esclaves des tribus en question, qui, eux, travaillent sans contrepartie, pour leurs maîtres. C’est pourquoi, on peut affirmer qu’un État qui, face à une telle situation, n’agit pas, est au meilleur des cas complice et au pire esclavagiste.

 

1H. Le contrôle étatique

La haute administration mauritanienne est occupée par les esclavagistes. Le système de contrôle des Haratine, dans les structures administratives et étatiques, est conçu et pratiqué par l’État. Exemple : j’ai été nommé par le Décret du 12 août 1992, Consul général de Mauritanie en Guinée-Bissau. Une semaine après, j’ai été convoqué â la Présidence pour un entretien avec le Chef de l’État. Après les salutations d’usage, le Chef de l’État me dit ceci : « J’ai devant moi votre dossier. En matière de diplômes, vous êtes diplômé et vous êtes bien noté par le ministre des Affaires étrangères. Mais ceci n’est pas le plus important. Est-ce que vous parlez l’arabe ?  » Ma réponse : Je suis francisant, donc j’ai suivi l’enseignement en français. En 1958, date de mon entrée à l’école primaire, le français était la langue principale dans l’école moderne. Mais j’ai toujours fait l’arabe comme première langue. J’ai obtenu un Certificat d’études Primaires en arabe et un BEPC franco-arabe. Par conséquent, j’écris et je parle l’arabe, mais mon niveau en français est largement supérieur â cela. En effet, j’ai un Bac (lettres modernes), diplôme de lENA (École Nationale dAdministration) de Nouakchott, Licence, Maîtrise et un DEA en Sciences Politiques à Paris.

Question du Cher de l’État: « Parlez-vous le Hartani (dialecte proche de l’arabe) ?  » Ma réponse est: Je le parle plus ou moins. Réponse du Chef de l’État :  » LArabe et le 1-lassania, c’est la même chose. « 

1) Est-ce que ces questions relatives à la langue arabe, sont posées aux quarante chefs de mission diplomatiques et consulaires que compte le pays, composé à une majorité écrasant? d’arabes et de berbères et de quelques négro-mauntaniens ? Jaffirme que les deux tiers des chef s de mission ne parlent ni n’écrivent en arabe, quil sagisse de négro-mauritaniens, darabes ou de berbères Est-ce que cela diminue de leur efficacité ? Je ne le crois pas.

 

Ould Mahand Hussein — « Mode de l’esclavage » in Journal Calame — Supplément libre — Mensuel — Mars 1994. p.3

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2) Pourquoi veut-on savoir si je parle arabe ou Hartani? D’abord, je suis persuadé que ce questionnaire est exclusivement destiné aux Haratine. Ensuite, l’objectif était de me situer par rapport à la communauté arabo-berbère. Pour le Chef de l’État, le fait de parler l’arabe ou le Hartani, c’est déjà une affinité linguistique4`. N’en déplaise au Chef de l’État, le Hartani n’est pas l’arabe. Car la quasi-totalité des arabes et berbères parle Hartani. Pour autant, ils ne parlent ni n’écrivent en arabe. Pour un arabe ou un berbère, un Hartani est le produit de l’esclavage arabo-berbère et doit parler au moins le Hartani. C’est aussi le signe d’une allégeance à cette communauté. Rappelez-vous les événements de 1989 où l’État mauritanien a déporté des milliers de négro-mauritaniens au Sénégal notamment. Parmi les citoyens mauritaniens déportés, il y avait des Haratine. Leur tort était qu’ils ne parlaient pas le Hassania. C’est une grave erreur parce que les Haratine qui ont eu fui l’esclavage arabo-berbère, se sont souvent réfugiés dans les villes et villages négro-mauritaniens. Donc, ils finissent par ne parler que les langues négro-

mauritaniennes, sauf à les châtier pour avoir fui l’esclavage.

Enfin, cet interrogatoire que j’ai subi, qui n’a rien à voir avec la diplomatie pour laquelle je suis nommé, prouve aussi que je suis différent des autres et que les critères de confiance sont autres que la compétence, le travail et l’efficacité. Il faut donc une allégeance totale à la communauté arabo-berbère et à l’État dans leur lutte contre la communauté négro-mauritanienne. Cela veut dire aussi et surtout qu’il faut renoncer à la lutte que mènent les Haratine dans le cadre d’El Hor (organisation de Libération et d’Émancipation des Haratine). C’est aussi la preuve qu’au plus haut niveau, l’État impulse cette politique de soumission des Haratine que j’appelle le néo-esclavagisme politique.

 

IV. L’Interdépendance du contrôle étatique et tribal

Les réseaux qui contrôlent les Haratine dans les tribus ont leur prolongement dans les structures de l’État. C’est pourquoi les tribus arabo-berbères ont leur avis sur les nominations des Haratine de leur contrée, à des postes de responsabilité par l’État C’est ainsi qu’elles proposent un membre de leur tribu comme agent informateur auprès du cadre Haratine en question. Ici, il s’agit de ma modeste personne. Lequel agent informe et l’État et la tribu en question. Les intérêts de l’État et ceux des esclavagistes (tribus) se rejoignent, car il s’agit de contrôler, donc de contenir les Haratine, pour pérenniser leur domination. La carte politique du département de R’Kiz est édifiante à cet égard. La population composée à 60 ou 70 % de Haratine. A l’Assemblée nationale, le département de R’Kiz a deux députés : un de la tribu Idaouali et l’autre de la tribu Idab Lehcen. Au niveau du Sénat, un sénateur de la tribu Tâjekânt . Le maire de R’Kiz, chef-lieu du département, est de la tribu Smassid, tribu du Chef de l’État Les quatre représentants du département sont tous issus de tribus berbères. En Mauritanie, il y a des tribus arabes, mais les tribus citées ne sont pas des tribus arabes. Conclusion : les Haratine sont exclus et à dessein, du jeu politique.

 

Mohamed Yahya Ould Ciré Président de l’A.H.M.E.

Fin
Suite au prochain numéro

 


4 Dans l’administration mauritanienne, aujourd’hui, ci à l’égard des Haratine, il vaut mieux être un bon abd (esclave) ou  » bon nègre  » que compétent et efficace.