Des instructions fermes ont été données en décembre dernier : les services régionaux chargés de l’Éducation au niveau des 15 provinces de la Mauritanie devront procéder à la fermeture de plus de mille écoles et au redéploiement de 1800 enseignants dans des écoles à cycle et effectif complets.
Il s’agit, selon les officiels du ministère de l’éducation nationale, de faire d’une pierre deux coups à travers la rationalisation des ressources humaines et matérielles affectées au département de l’éducation et l’arrêt définitif de la création anarchique des écoles hors normes en zone rurale.
« Cette décision fait partie d’une série de mesures adoptées par le ministère de l’Éducation nationale dans le cadre de sa stratégie décennale de promotion d’un enseignement efficient et de qualité. Nous l’avons appliquée à la lettre au Tagant où 46 écoles ne remplissant pas les critères ont été fermées » précise Makhtour Ould Ahmed Jiddou Directeur régionale de l’Éducation nationale en charge de la Wilaya du Tagant.
Même si elle est jugée courageuse par une partie de l’opinion publique mauritanienne et par les partenaires au développement, cette décision n’en demeure pas moins, lourde de conséquences. Ce sont, en effet, quelques 45000 élèves qui subissent de plein fouet cette mesure. Ce qui, en définitive, accentue le phénomène de la déscolarisation en masse déjà très forte en Mauritanie avec la vente de plusieurs écoles publiques l’année dernière et l’éparpillement de leurs élèves.
Les pauvres privés d’enseignement
« Le message est on ne peut plus clair. Les pauvres n’ont pas droit à la scolarité en Mauritanie et il n’y a pas meilleur moyen de le démontrer qu’à travers cette mesure inique, abusive et irréfléchie. Les décideurs de ce pays se soucient peu de nos enfants. Peu leur importe qu’ils apprennent ou pas. L’essentiel pour eux c’est d’assurer l’avenir de leurs fils en les inscrivant dans les écoles les plus prestigieuses. En tout cas nous continuerons à lutter fermement pour la réouverture de nos écoles même s’il faut intenter un procès contre l’Etat mauritanien qui enfreint sciemment la loi N° 2001-054 portant obligation de scolarisation des enfants de 6 à 16 ans » soutient Limam Ould Taghi Président départemental de l’Association des parents d’élèves.
Comme Limam, plusieurs responsables d’associations de parents d’élèves sont montés au créneau pour amener les autorités éducatives à revenir sur leur décision. Ils ne sont pas convaincus des arguments avancés par la tutelle et certains parmi eux n’ont pas manqué de relever des contradictions dans l’application de la décision. « Certaines écoles ne répondant pas aux critères ont été épargnées par le simple fait qu’elles sont parrainées par des politiciens influents » peste Alioune Sall de l’Association des parents d’élèves du Gorgol (au sud de la Mauritanie).
Mohamed Abdallahi Ould Néné Président régional de l’Association des parents d’élève du Tagant (province située au centre du pays) n’est pas contre l’application de cette décision. Selon lui cette situation s’explique par un manque d’enseignants. « Il est normal d’affecter les enseignants en priorité dans des écoles où les effectifs sont plus importants » indique –t-il. Il fustige toutefois le caractère expéditif de la décision qui, pense –t-il, n’a pas été assez débattue. « Il était plus judicieux de mener une large campagne de sensibilisation à l’endroit des parents d’élèves pour leur expliquer les tenants et les aboutissants d’une telle décision. En un mot les amener à y souscrire et y adhérer ».
Administration complice
Un avis que ne partage pas Sidi Mohamed Ould Abdel Jelil Président de la section départementale de la CGTM de Tidjikja, l’une des centrales syndicales des travailleurs Mauritaniens. « Ces écoles qui viennent d’être mise en veilleuse sont dans leur écrasante majorité, des écoles complaisantes. Elles sont érigées dans des endroits où les conditions de vie ne sont pas réunies. Il est temps pour les autorités de ce pays de mettre un terme définitif à l’occupation anarchique de l’espace. Il est de notoriété en Mauritanie qu’à l’approche des élections des localités fantômes poussent comme des champignons sous l’égide de chefs de tribu véreux champions toutes catégories de clientélisme politique. Ces localités servent pompeusement pour justifier le supposé poids politique du chef tribal. Ecoles et points de santé fantaisistes sont créés par le truchement d’une administration corrompue pour donner un semblant de crédit à ces bourgades créées de toutes pièces. C’est inadmissible de laisser se perpétuer cette pratique » indique –t-il.
Menace d’endoctrinement
Mais l’ouverture en parallèle d’écoles à caractère fondamentaliste un peu partout dans le pays rend les mineurs vulnérables à l’endoctrinement salafiste. Sans stratégie du ministère de l’Education nationale visant la réinsertion de ces enfants en déperdition scolaire, le risque de récupération religieuse est grand.
Khalil Sow
Source : Dune Voices