Le président du mouvement abolitionniste, Biram Dah Abeïd, a programmé, au 15 Janvier à Rosso, date et ville symboles, son retour au bercail, en compagnie de la vice-présidente Coumba Dada Kane, après une longue absence, relevant, plutôt, « d’une volonté de respecter un calendrier de séjour international établi depuis fort longtemps », selon ses proches, que d’un « exil forcé », selon d’autres.
Biram balaie cette dernière interprétation d’un revers de main : « Je n’ai jamais dit que je quittais la Mauritanie pour ne jamais y revenir », martèle-t-il dans une interview à l’Authentique. « J’avais opté pour un retour immédiat au pays [NDLR : suite à l’arrestation des treize cadres et militants abolitionnistes], mais j’ai été mis en minorité par notre conseil dont la majorité préférait une contre-offensive et une stratégie de riposte à partir de l’extérieur. Riposte à travers tous les leviers de la Communauté internationale, ONG, missions diplomatiques, organismes internationaux, Etats démocratiques mais, aussi, media internationaux du monde libre et diverses organisations des droits de l’homme en Afrique, en Europe, en Amérique, en Asie et jusqu’en Australie.
Sur un autre front, non moins important, il fallait mobiliser la logistique, d’abord au profit des détenus – nourriture, bien-être – de leurs familles, des militants du mouvement, sauvagement torturés et blessés par les forces de l’ordre. Nous avons dû subvenir aux soins et à la prise en charge de chacun et de tous. Tout cela, nous l’avons mobilisé à partir de l’extérieur et nous en remercions tous ceux qui nous y ont aidés ».
La journée du 15 Janvier 2017 sera-t-elle de tous les dangers ? « Le matin, je quitterais Rosso-Sénégal pour rejoindre, par le bac, Rosso-Mauritanie, le plus naturellement du monde », annonce le dirigeant abolitionniste. On se souviendra, ici, que c’est au moment où il rejoignait la caravane contre l’expropriation foncière dans la vallée, que Biram fut interpellé et détenu, en compagnie de Brahim Bilal Ramdane et Djiby Sow, dans la capitale du Trarza, avant d’être condamné, le 15 Janvier 2014, à deux ans de prison ferme.
Sur les réseaux sociaux et les canaux habituels du mouvement, des appels à la mobilisation générale ont été lancés pour réserver un accueil grandiose au leader des droits de l’homme. Occasion certainement mise à profit, par l’ancien candidat à la présidentielle de 2014, pour appeler ses militants, à rester vigilants, à ne pas céder à la provocation, « à rester attachés à l’action pacifique, légale et reconnue par la Constitution mauritanienne. Je les adjoins d’être particulièrement attentifs à l’infiltration de personnes de mauvaise foi, visant à pousser des militants non avertis à la violence. N’acceptez pas les infiltrations et le détournement de notre action pacifique ! ».
Rappel des troupes
En décidant de revenir au pays en ce moment précis, après avoir défié le régime d’Ould Abdel Aziz et mis à mal le système, aussi bien en Afrique, qu’en Europe et aux Etats-Unis, Biram semble avoir mesuré les risques encourus et les points qu’il pourrait engranger. Toutefois, force est de constater que ce comeback politique soulève beaucoup d’appréhensions, dont l’accueil que lui réservent les autorités qui semblent l’attendre de pied ferme. Mais Biram compte sur « la capacité de mobilisation d’IRA, inégalée, même par les partis et organisations les plus anciennes ». « Le pouvoir a subi », dit-il, « des défaites retentissantes et cuisantes, lors de la bataille diplomatique », et ne lui fera, sans doute, pas de cadeau. C’est de bonne guerre et le leader abolitionniste mesure les risques : « Cette rentrée est symbolique bien sûr, car il y a beaucoup de menaces qui fusent de la Mauritanie à mon égard, promesses en provenance, à défaut du pouvoir, de milieux qui lui sont très proches. Des menaces censées me faire peur, m’inciter à ne pas rentrer au pays. Mais mon rôle et ma place sont en Mauritanie, que je sois libre ou en prison. Mon rôle, je le joue en Mauritanie, pas ailleurs, je l’ai toujours dit. J’ai terminé ma mission, j’ai clôturé ma tournée et rempli le mandat qui m’a été délégué par le Comité de crise d’IRA, au lendemain de l’emprisonnement de nos camarades. Maintenant, je rentre au pays », tranche-t-il.
Scénarios possibles ?
Plusieurs scénarios sont envisageables. Dans sa stratégie de répression des militants abolitionnistes, mise en œuvre depuis les échauffourées de la gazra Bouamatou, le pouvoir pourrait ne pas faire de concessions, cette fois-ci encore. Enième prétexte, donc, pour tenter, encore, de mater les sympathisants d’IRA et jeter, une nouvelle fois, leur leader en prison. Cette répression pourrait s’accompagner par des arrestations abusives et des passages à tabac, espérant ainsi en finir avec IRA.
La couleur semble avoir été donnée, le jeudi 5 Janvier, avec la violente répression de la marche réclamant la libération des trois abolitionnistes – Moussa Biram, Abdallahi Matalla Saleck et Abdallahi Abou Diop – encore détenus à Bir Moghreïn. Des blessés et des arrestations ont été enregistrés dans les rangs des protestataires.
Mais Biram semble n’en avoir cure. Dans un entretien à un quotidien sénégalais, il déclare ne rien craindre, même « pas peur de retourner en prison ». « Non pas du tout : qui n’a rien fait ne craint rien. Nous n’avons pas commis de crime. Si notre persévérance et notre combat vont encore nous conduire en prison, bon, bienvenue la prison ! Nous n’allons pas reculer dans notre combat pour une Mauritanie juste et égalitaire. Le pouvoir en Mauritanie doit tirer les leçons de ses échecs, les emprisonnements et multiples arrestations contre IRA-Mauritanie n’ont jamais fait mouche. Aucune organisation internationale, aucun partenaire international, aucun parti politique mauritanien ni, encore moins, la population, n’ont jamais accepté les thèses diaboliques que le gouvernement mauritanien prêtait, dans sa propagande, à notre organisation. J’appelle le gouvernement Mauritanien à revenir à la raison pour nous aider à unifier la population Mauritanienne autour du rejet total de l’esclavage, du racisme, de la gabegie et de la torture. Notre détermination est sous-tendue par le droit mauritanien et la religion qui nous unit : c’est une religion de tolérance et de fraternité ».
Autre scénario possible, le pouvoir peut banaliser ce retour, en laissant les militants abolitionnistes accueillir leur dirigeant ainsi à même de goûter, à nouveau, aux délices des bains de foule et de profiter de l’aubaine pour dézinguer le pouvoir raciste et esclavagiste. Quoi qu’il en soit, tous les regards des mauritaniens seront braqués, dimanche prochain, sur Rosso.
Thiam Mamadou