Soudan : la désobéissance civile, un acte de protestation et de revendication

Soudan : la désobéissance civile, un acte de protestation et de revendication Le philosophe américain Henry David Thoreau publie en 1849 son essai La Désobéissance civile, texte fondateur des mouvements de contestation sociale du XIXème et XXème siècle, et source d’inspiration majeure d’illustres figures de la révolte, telles que Tolstoï, Gandhi, Martin Luther King.


Son œuvre lyrique et contemplative est un cadeau fait à l’humanité, son œuvre politique, une source d’enseignement intemporelle et universelle. Désobéissance civile donne à l’individu un devoir de conscience et de responsabilité, un devoir d’opposition à l’injustice. C’est un impératif moral que l’actualité internationale exige, et que les récents événements au Soudan illustrent.

Henry David Thoreau, père fondateur de la désobéissance civile

Dans l’Amérique du XIXème siècle, Thoreau s’indigne contre la pratique de l’esclavage et contre la guerre menée par les Etats-Unis au Mexique. Loin d’être moralisateur amer, Thoreau veut élever l’individu et ce qu’il appelle la « petitesse des commencements » :

« Le devoir de l’homme n’est pas, en général, de se vouer à l’éradication de la moindre injustice, fût-elle énorme […] ; mais son devoir veut à tout le moins qu’il s’en lave les mains et […] qu’il ne lui donne pas son soutien objectif. ».

L’héritage de Thoreau constitue une source d’inspiration inestimable en tout temps et en tous lieux. L’histoire en a fait le témoignage, à travers les actes politiques de non-violence de Gandhi dans la lutte pour l’indépendance contre la domination coloniale britannique en Inde, et ceux mis en œuvre par Martin Luther King dans son combat contre la ségrégation raciale et pour la reconnaissance de la dignité humaine aux Etats Unis.

La désobéissance civile réside dans le refus catégorique de la résignation. C’est un acte de résistance contre l’oppression et l’arbitraire : « Tous les hommes admettent le droit à la révolution ; c’est-à-dire le droit de refuser l’allégeance au gouvernement, et celui de résister quand sa tyrannie ou son inefficacité sont grandes et insupportables ».

Les récents évènements au Soudan, à travers l’appel à la tenue de plusieurs jours de grève, témoignent à la fois de la pertinence et de l’actualité de la thèse de désobéissance civile. En novembre et décembre 2016, la société civile soudanaise, tirant les constats des répressions et arrestations violentes lors des manifestations pacifiques passées, a formulé un nouvel appel pour la lutte contre l’autoritarisme du régime militaire. La population de Khartoum a respecté, du 27 au 29 novembre 2016, la tenue de trois jours de grève pour protester contre la hausse des prix du carburant (http://rfi.my/2iPp3V4). Le 19 décembre, un deuxième appel était lancé, moins suivi que le premier. (http://sudantribune.com/spip.php?article61160).

Division territoriale et constance de l’autoritarisme au Soudan

L’ex « Royaume des deux Nil » n’est plus. Le pays des « Deux Soudans » s’est scindé en 2011. Le 1er janvier 1956, la République du Soudan accède à l’indépendance. Le nouvel Etat hérite de promesses de prospérité et de grandeur, et hérite des défis structurels et politiques propres des lendemains d’indépendance.

Dès 1955, les premiers soulèvements et heurts éclatent dans les régions sud. Les gouvernements se succèdent, le régime militaire et despotique s’installe et manque terriblement à sa mission de réduction des écarts entre le centre et les périphéries, legs de la pratique coloniale britannique du « divide and rule ».

Dans sa lutte, l’ancien vice-président John Garang menait le combat pour l’établissement du « new Sudan », surpassant les clivages et réhabilitant les périphéries marginalisées, toutes les périphéries marginalisées, au sein d’un Soudan uni. Sa mort et les évènements suivant l’accord de paix de 2005, puis la tenue du référendum, ont eu raison du projet de l’unité : la République du Soudan du Sud est proclamée en juillet 2011 et devient le plus jeune Etat de la communauté internationale.

La partition conduit à la situation que l’on sait dans le nouvel Etat sud-soudanais : faillite des institutions, affrontements armés, violences contre les civils, plus d’un million de réfugiés (triste chiffre seulement atteint par la Somalie, l’Afghanistan, et la Syrie).

Le Soudan, amputé de sa partie sud souffre des effets de la sécession qui impactent sévèrement sur les secteurs de la vie économique et politique du pays. Répression violente des manifestations et arrestations arbitraires rythment la vie des citoyens soudanais. Suite à la décision du gouvernement d’augmenter les subventions sur le carburant, les médicaments et l’électricité, les membres de l’opposition et activistes soudanais ont appelé à la tenue de plusieurs jours de désobéissance civile.

L’émergence de la désobéissance civile, exigence de l’être

Les conséquences de cette grève restent à ce jour incertaines. Néanmoins, tout porte à croire que cette action sera, vraisemblablement, peu efficace. Les déclarations officielles affirment que le suivi de l’acte de désobéissance civile est demeuré faible. A l’inverse, les activistes et opposants politiques se réjouissent de la tenue du mouvement et se targuent de sa popularité. Certains médias relativisent la portée d’une entreprise qu’ils disent peu plébiscitée, quand d’autres se félicitent du succès et de l’étendue de la mobilisation.

Les augmentations des prix se sont succédées les mois précédents, les arrestations et violences contre les manifestants se sont multipliées, les confiscations de journaux et restrictions à la liberté de presse se poursuivent. A la détermination du gouvernement répond la détermination de la société civile : l’appel à la désobéissance civile est lancé et soutenu via les réseaux sociaux – Facebook, Twitter, WhatsApp, à la fois depuis Khartoum et par la diaspora soudanaise à travers le monde.

Une société civile ainsi consciente et consciencieuse, exigeante vis-à-vis d’elle-même et à l’endroit du gouvernement, c’est cela même qui est au cœur de la désobéissance civile : le refus du soutien à l’injuste, et le devoir de résistance à l’oppression.

Une société civile ainsi consciente et consciencieuse, exigeante vis-à-vis d’elle-même et à l’endroit du gouvernement, c’est cela même qui est au cœur de la désobéissance civile : le refus du soutien à l’injuste, et le devoir de résistance à l’oppression. Cette initiative constitue une démonstration pacifique de l’opposition aux mesures gouvernementales et de blocage de la vie économique du pays : un exemple de résistance démocratique, de détermination politique, et de conscience citoyenne et responsable, qui doit servir de modèle au reste des pays d’Afrique et du monde.

La résistance est un devoir, un effort, contre soi et pour soi. Loin des discours idéalistes et des utopies humanistes, c’est une lucidité et une exigence ; c’est l’ambition d’un réajustement dans le sens de la justice et du respect des hommes. Un effort de l’individu sur son être propre, et une exigence vis-à-vis des structures qu’il se donne. Par cet appel à la désobéissance civile, la société civile soudanaise réhabilite et réinvestit l’esprit de La Désobéissance civile.

L’enseignement de Thoreau nous parvient : « Des lois injustes existent : nous satisferons-nous de leur obéir ou tâcherons-nous de les amender, de leur obéir jusqu’à ce que nous ayons réussi, ou les transgresserons-nous sur-le-champ ? ».

Par Mousry Ahmed Ethmane

Mousry Ahmed Ethmane est chercheure mauritanienne associée au Centre 4S (Centre des Stratégies pour la Sécurité au Sahel Sahara). Elle est étudiante en Master Etudes africaines du Global Studies Institute de l’Université de Genève. Ses domaines de recherche portent sur l’effondrement de l’Etat, les opérations de construction de l’Etat, de maintien de la paix sous mandat de l’ONU dans les cas du Soudan et du Soudan du Sud.
 

Source : WATHI