Une nouvelle fois, des membres d’IRA (Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste) ont été condamnés à de la prison ferme par la Cour criminelle de Nouakchott, le 18 août.
Le président de cette ONG qui lutte contre l’esclavage en Mauritanie, Biram Dah Abeid, 51 ans, dénonce une campagne de persécutions. Il est lui-même un descendant d’esclaves, membre de la caste des Haratins ou «Maures noirs».
Distingué par le prix des Nations unies pour la cause des droits de l’homme en 2013, il a passé dix-huit mois derrière les barreaux pour avoir symboliquement brûlé, en 2012, un manuel de jurisprudences malikites (école du sunnisme majoritaire en Mauritanie) qui, selon IRA, prônent l’esclavage et le justifient. Depuis Bamako, étape d’une «tournée régionale auprès des sociétés civiles», il revient sur les «abus du pouvoir en place».
Il y a trois mois, vous étiez libéré sur ordre de la Cour suprême. Aujourd’hui, 13 militants d’IRA sont condamnés à des peines allant de trois à quinze ans de prison. Que s’est-il passé ?
L’arrestation des militants d’IRA n’a absolument aucun rapport avec les motifs donnés par le pouvoir en place [«rébellion, usage de la violence, attaque contre les pouvoirs publics, attroupement armé et appartenance à une organisation non reconnue, ndlr»]. Le régime était en train d’expulser 435 familles haratines [ancienne caste d’esclaves, ndlr] qui habitaient dans un bidonville de Nouakchott, parfois depuis plusieurs décennies. Aucune alternative, aucune offre de relogement ne leur a été proposée. Les Haratines sont connus pour leur docilité, ils sont «chosifiés» par le pouvoir. Nous avons dénoncé cette situation. Mais le gouvernement a fomenté des incidents. Il a tout fait pour montrer la violence supposée d’IRA, pour montrer des images de troubles. La police est venue avec ses caméras, et des agents provocateurs. Sur les images, on voit juste des gens enturbannés qui mettent le feu à une voiture et des enfants qui regardent. Il n’y a pas un seul membre d’IRA ! D’ailleurs, les 13 militants ont été arrêtés chez eux ou dans la rue, dans les jours qui ont suivi. Et six d’entre eux ont été condamnés à trois ans de prison ferme uniquement pour appartenance à une organisation non-reconnue.
Pourquoi ce durcissement des autorités envers IRA, selon vous ?
Le général Mohamed ould Abdel Aziz [élu puis réélu président depuis 2009, après un putsch qu’il a lui-même mené] entend baliser le terrain pour préparer la reconduction de son pouvoir. Un coup d’Etat institutionnel se prépare. Il va soit tripatouiller la Constitution pour briguer un troisième mandat, actuellement illicite, soit faire élire un de ses protégés dont il tirera les ficelles dans l’ombre, comme il l’a fait par le passé. Il doit donc éliminer l’adversaire le plus efficace, le plus déterminé, le plus populaire, qui a le plus de crédit à l’international : c’est-à-dire éliminer le candidat déclaré Biram Dah Abeid [9% des voix à la présidentielle de 2014]. Mohamed ould Abdel Aziz confisque petit à petit tous les acquis démocratiques en Mauritanie. Il n’y a désormais ni liberté d’expression, ni liberté d’association, ni liberté d’entreprise…
Où en est le mouvement abolitionniste en Mauritanie ? Y a-t-il des avancées ?
Les Haratines représentent 50% de la population [il n’existe pas de recensement officiel, ndlr]. Au total, IRA estime que 20% de la population mauritanienne est soumise à un esclavage d’un autre âge. Contrairement à ce qu’on imagine souvent en Occident, ces pratiques ne sont pas réservées aux endroits reculés des campagnes ou du désert. Les esclaves sont là où il y a des esclavagistes ! Dans les villes, dans les quartiers chics. Ce sont souvent des fonctionnaires, voire des hauts-fonctionnaires, des policiers, des banquiers, des juges, des hommes d’affaires, etc. Souvent, ces gens-là héritent des esclaves, comme des vieux meubles. Ou bien ils sont donnés en cadeau à la naissance, c’est la coutume. On offre un esclave de l’âge du nouveau-né. On voit aussi des esclaves offerts en cadeau de mariage. Nous avons recensé des dizaines de cas à Nouakchott. La Mauritanie vit une situation d’apartheid non-écrit. Il y a d’ailleurs une indignation sélective à ce propos. Pourquoi l’Union africaine ne se mobilise-t-elle pas ? Le régime mène une politique d’extrême droite arabo-berbère, à l’idéologie négrophobe. L’idée de la propagande du pouvoir, c’est que la communauté arabo-berbère est en danger. Le général Mohamed ould Abdel Aziz veut se présenter comme le sauveur. Mais il n’y a pas de menace, c’est une peur artificielle ! IRA est un mouvement non-violent.
Une nouvelle législation abolitionniste, beaucoup plus sévère, a été votée l’an dernier…
La législation est destinée à vous, les Occidentaux, aux fonctionnaires onusiens. Dans la pratique, elle n’est pas appliquée. Car la justice est aux ordres du pouvoir politique. Je n’ai aucune illusion sur les tribunaux mauritaniens. Et c’est une mauvaise nouvelle pour les 13 membres d’IRA qui ont été condamnés, dont une grande partie de la direction de l’organisation : le pouvoir a décidé de casser notre mouvement, qu’il perçoit comme une menace.
Cela complique-t-il votre candidature à la présidentielle et votre future campagne ?
Je ne pense pas. J’ai foi en Dieu et en la lutte que nous menons pour la libération totale des opprimés mauritaniens. Le combat d’IRA est celui de tous les Mauritaniens, sans distinction de race, de caste ou d’ethnie. Notre seul adversaire est le régime. Nous souhaitons une cohabitation pacifiée entre les différentes ethnies. Je lance donc un appel au général Ould Abdel Aziz : qu’il se retire dans la dignité. Quand il quittera le pouvoir, il ne voudra certainement pas finir en exil ou en prison. Il ne doit pas s’accrocher au prix du fer et du sang. En organisant des élections libres et transparentes, sans se présenter ni présenter l’un de ses militaires, il pourrait partir dans la dignité.
Célian Macé