Interview du DR Mohamed Mahmoud Ould Mah

Dr. Mohamed Mahmoud Ould Mah :  »Le Pouvoir joue avec le feu, en érigeant le communautarisme en système de gestion politique, économique et sociale »

Dans cette interview exclusive, Dr Mohamed Mahmoud Ould Mah, qui ne mâche pas ses mots, passe à la vitesse supérieure. Il attire l’attention sur les dangers du communautarisme et se dit sceptique sur le dialogue en cours entre le pouvoir et l’opposition.

Le Calame : vous avez été approché et invité par les organisateurs du Forum pour la Démocratie et l’Unité (FDU), mais finalement vous n’avez pas été vu à ce forum. Peut-on savoir pourquoi et quelle évaluation faites-vous des ses résultats ?

Dr. Mohamed Mahmoud Ould Mah : J’ai finalement décidé de ne pas participer à ce forum, car j’ai relevé de nombreuses contradictions dans les déclarations et les comportements de certains responsables de l’organisation. Il y avait plusieurs zones d’ombre. La mise sur pied du bureau du Forum, un mois après sa tenue, dans des conditions peu transparentes, et la composition de ce bureau, n’ont fait que justifier mes appréhensions.

Peut-on connaître ces zones d’ombre ?

La première zone d’ombre : les observateurs avisés, pour qui le Forum est censé être une émanation de la COD élargie aux syndicats, à la société civile et à des personnalités indépendantes, n’ont pas bien compris que Monsieur Kane Hamidou Baba, président de la Commission de Communication du Forum soit l’invité du journal parlé de 21 h 30, une faveur rare que le pouvoir réserve souvent à des événements qui lui sont importants ; heure à laquelle le principal parti de l’opposition, le RFD, n’était pas encore participationniste à ce Forum.

Pendant ce temps, au siège du RFD, une délégation du Forum, tentait de convaincre le Président du RFD de prendre part à ce Forum de la Démocratie et de l’Unité. Le Bureau Exécutif de ce parti, réuni dans une autre salle du siège, trouvait humiliante la place réservée par les organisateurs du Forum à son leader au sein d’une sombre direction collégiale, composée d’Ely Ould Allaf, d’Aïssata Sy et d’Ahmed Ould Daddah. Il est à noter que l’intervention principale à ce Forum a été réservée au président de Tawassoul, qui ne fait plus partie de la COD et dont l’installation, en sa qualité de président du principal parti de l’opposition, n’a pas encore eu lieu.

Vers une heure trente du matin, un compromis fut trouvé, soit 4 heures après l’intervention à la télévision de Monsieur Kane Hamidou Baba et quelques heures seulement avant l’ouverture officielle du Forum pour la Démocratie et l’Unité.

Désormais, c’est M. Ahmed Ould Daddah qui prononcera le discours politique à l’ouverture officielle du FDU. Ses organisateurs ont sûrement donné aux autorités le planning à l’appui de la demande d’invitation au journal parlé, du président de la Commission de la Communication, M. Kane Hamidou Baba. Une décision que le Ministre de la Communication ne saurait prendre sur sa responsabilité, sans se référer à ses supérieurs, eu égard aux relations conflictuelles qui existent entre le pouvoir et la COD.

Nombreux sont ceux qui pensent que le Gouvernement n’aurait pas donné son accord pour l’invitation du porte-parole d’un Forum organisé par la COD. La ‘’surprenante sortie de l’APP’’ à l’annonce de la tenue de ce forum, confirme cette hypothèse : «l’APP juge inopportun un dialogue bis», estimant qu’il a déjà eu lieu en 2011. Il est à noter que le Gouvernement a toujours accepté le veto de la CAP quant à un dialogue bis avec la COD. Les organisateurs du FDU ont-ils vendu la peau de l’ours avant de l’avoir tué ?

La menace de la non participation du RFD n’était pas un secret ?

Absolument pas, mais le Gouvernement n’a jamais invité au journal parlé le porte-parole d’un événement organisé par la COD et rien n’a changé.

  • Une autre zone d’ombre : les conditions dans lesquelles s’est constitué le Bureau du FDU ne sont pas transparentes. En effet, le FDU s’est tenu le 28 février, le 1er et 2 mars, sans élire un bureau. Un mois après, on apprend qu’un bureau a été désigné, on ne sait ni où, ni par qui, à la condition qu’il soit présidé par une personnalité indépendante, Cheikh Sid’Ahmed Ould Babamine ; trois vice-présidents, Kane Hamidou Baba, Samoury Ould Beye et Diabira Maroufa et un secrétaire exécutif Moussa Fall. On constate une entrée en force des représentants des personnalités indépendantes, des syndicats et de la société civile ; des acteurs dont la politique n’est pas la fonction première ; ils étaient plutôt conçus comme un élargissement de la COD. A la suite de sa première conférence de presse, le président du bureau du FDU insiste sur la nécessité du dialogue avec le pouvoir et le passif humanitaire. Les membres du bureau sont immédiatement reçus par le Premier Ministre. Un dialogue bis, auquel participe, à la surprise générale, la CAP, qui s’y opposait jusqu’ici. Le président d’ADIL, membre de l’Alliance Patriotique (AP), dirige ce dialogue côté FDU. Les acteurs principaux du dialogue sont : le pouvoir lui-même, la CAP (dialoguiste depuis 2011 et qui mettait régulièrement son veto à tout dialogue bis entre le Pouvoir et la COD) et le Président d’ADIL, un ancien parti de la Majorité présidentielle, membre influent de l’AP, qui a toujours refusé d’intégrer la COD, tout en gardant des liens avec la CAP.
  • Une autre zone d’ombre : Les divergences des différents acteurs du FDU, quant aux objectifs assignés à ce Forum.

Certains, principalement la COD, comme d’ailleurs l’opinion publique nationale, auraient souhaité que le FDU se consacre à la recherche des voies et moyens susceptibles de procéder à un changement politique au niveau national, seul capable de trouver les solutions aux problèmes présents et futurs qui se posent au peuple mauritanien dans sa globalité.

D’autres, par contre, versent dans un communautarisme, sans ambition politique au sommet et qui fait finalement le jeu du pouvoir : (Arabes, Beidanes pour certains, contre noirs, les haratines, l’éternelle question de l’esclavage dont on parle beaucoup, mais que l’on ne voit pas ; l’irrédentisme des extrémistes des FLAM ; le passif humanitaire ; les extrémistes du mouvement «Touche pas à ma nationalité» que le président vient de recevoir, ils en sont sortis avec une composante ethnique ‘’marginalisée et opprimée’’ disent-ils, les Bambara). Pour ceux-là, comme Kane Hamidou Baba, l’objet du FDU est de «trouver des solutions durables aux problèmes de l’unité nationale et de la cohésion sociale» ; «le FDU n’a pas vocation pour parler des candidatures».

Non pas que ces questions, évoquées plus haut, ne sont pas importantes ou qu’elles ne doivent pas trouver des solutions, mais elles ne constituent pas la priorité des problèmes auxquels se trouve confronté le peuple mauritanien ; ceux-ci sont plutôt d’ordre économique.

Le Pouvoir joue avec le feu, en érigeant le communautarisme en système de gestion politique, économique et sociale. Le communautarisme est l’antinomie de l’Etat. Un Etat comme le nôtre, où cohabitent plusieurs ethnies, doit être consolidé et placé au-dessus des intérêts de toutes les communautés. Il est vrai que le communautarisme est sans ambition politique, surtout au sommet, ce qui sert le pouvoir qui en nommant un ministre à telle ou telle communauté, ou groupe social, tempère le mécontentement de cette communauté ou de ce groupe social. Le communautarisme crée des tensions entre les différentes ethnies. Les TV, créées par des hommes d’affaires proches du pouvoir, sont devenues des tribunes pour des extrémistes haratines ou noirs pour insulter et haranguer la composante arabe de notre peuple, rendue responsable de tous les maux, des haineux, des insatisfaits et des ‘’complexés’’. Le pouvoir appelle cela la liberté d’expression !! mais une liberté qui est refusée à tous ceux qui ne sont pas Biram Ould Abeid, les extrémistes des FLAM ou Breika Ould M’bareck (je rappelle à ce dernier, contrairement à ce qu’il a déclaré à la télévision, que s‘il était aujourd’hui instruit, ce n’est pas parce que son maître, Hommody, l’a envoyé à l’école, à la place des ses fils ; ceux-ci sont allés à l’école indépendamment de lui et sans change ; encore une de ces contre-vérités qu’on ne cesse de distiller), …etc.

Pourquoi le FDU a-t-il évité de discuter le principe d’une candidature unique ?

Certains acteurs avaient déjà fait leur choix. Si on ne connaît pas encore les intentions du président du RFD, on sait par contre, que Moussa Fall et ses amis par exemple, auraient fait de Mohamed Salem Ould Merzoug leur candidat aux futures élections présidentielles ; mais les déboires financiers de ce dernier, qui n’auraient pas pour origine son enrichissement, mais son ambition politique en Mauritanie, l’ont contraint à soutenir Mohamed Ould Abdel Aziz. Moussa Fall et ses amis soutiendront, sans doute, par transitivité, Ould Abdel Aziz. C’est très habile de la part de Mohamed Salem Ould Merzoug d’éviter la réponse du berger à la bergère. Les islamistes auraient, quant à eux, fait d’Ahmedou Ould Abdallah leur candidat, l’homme des occidentaux (n’a-t-il pas été invité, à la fin du mois d’août 2012, à la traditionnelle conférence des ambassadeurs de France qui réunit à Paris, l’ensemble des représentants français à travers le monde)1. Il aurait, jusqu’ici, décliné l’offre. Le séjour du président de Tawassoul en France le décidera-t-il ? Les islamistes préfèrent éviter la dissolution de leur parti Tawassoul. Ils chercheront à ne pas attirer les foudres du pouvoir sur eux ; ils resteront relativement sages, sauf si Ahmed Ould Daddah, venait à ne pas se présenter, car les islamistes chassent toujours sur ses terrains.

Samoury Ould Beye, aurait volontiers soutenu son cousin de la tribu d’Idawali, Mohamed Salem Ould Merzoug. Sa préoccupation première sera de modifier, dit-il, la Constitution à l’effet d’insérer les haratines comme une nouvelle composante ethnique. Selon lui, les haratines ne sont pas des arabes. Est-il utile de rappeler à Samoury, que l’arabe n’est pas une affaire de peau ni de religion, mais une question de culture, est arabe, celui qui parle l’arabe, avant d’aller à l’école. Cela veut dire qu’il est né dans un milieu culturellement arabe. Ne porte-t-il pas le nom d’un sage de Temiyellé, Samoury Ould Biyé. O Dieu ! Combien Samoury a-t-il changé ! A la fin des années 1990, j’ai eu l’honneur de diriger, en ma qualité de président du Comité National contre la Normalisation avec Israël, la délégation de notre pays au premier congrès arabe, et le dernier jusqu’ici, au Yémen, contre la normalisation avec Israël. M. Samoury Ould Beye était de la partie, et je prends à témoins, entre autres, Mohameden Ould Babbah et Abdallahi El Atigh, qui étaient également de la partie. La rapidité avec laquelle, M. Samoury Ould Beye a changé de camp me donne l’espoir de le voir changer de nouveau de discours et de comportement.

Pourquoi, selon vous, certains insistent pour une candidature unique plutôt qu’un pluralisme de candidatures ?

Parfois la candidature unique est préférable au pluralisme des candidatures. Cela dépend du niveau de culture démocratique atteint par une société donnée ; cela dépend également de la façon dont se présente une élection présidentielle dans un pays donné.

Dans les pays à grandes traditions démocratiques, les candidats font le plein des voix de leurs partisans au premier tour et ce, indépendamment du score attendu. La responsabilité dans ces pays est individuelle. Par contre, dans les pays où il n’y a pas de culture démocratique, comme le nôtre, et où la responsabilité est plutôt collective, les électeurs votent généralement, en fonction de leur appartenance tribale, ethnique ou sur ordre du chef de la confrérie religieuse à laquelle ils appartiennent. Les différents candidats ne font pas le plein des voix de leurs partisans, car nombreux sont ceux qui vous disent : «je suis avec x, mais je sais qu’il ne va pas gagner, je vais donc voter pour y». Dans des pays comme le nôtre, où l’opposition est atomisée et où il y a un seul candidat à battre, une candidature unique serait préférable, car elle crée une dynamique qui susciterait l’espoir de battre l’homme au pouvoir.

Avez-vous un dernier mot ?

Il faut croire que l’Alliance Patriotique (AP) et certains éléments politiques, partisans du président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, avaient quitté la majorité présidentielle, pour rejoindre la COD sans s’y intégrer et pour éventuellement ne pas y rester, tout en gardant le contact avec la CAP (opposition dialoguiste, proche du pouvoir) qu’elle retrouve aujourd’hui dans un dialogue bis avec le Pouvoir.

Les amis de Sidi Ould Cheikh Abdallahi avaient donc rejoint Ahmed Ould Daddah pour s’opposer à Mohamed Ould Abdel Aziz, tombeur de leur mentor. Sont-ils en train de le rejoindre au grand dam de la COD et de son leader, dont la clémence avait pourtant permis à certaines formations politiques et à certains leaders politiques de faire les allées et venues entre le pouvoir et l’opposition.

Propos recueillis par Ahmed Ould Cheikh
Source: LE CALAME

1 – Nicolas BEAU : Papa Hollande au Mali, édition Balland, 2013, p. 143.