Jusqu’à présent, l’appel pour une plus grande indépendance de la justice en Mauritanieprovenait du camp des opposants, alors que le pouvoir en place, quel qu’il soit à travers l’histoire politique nationale, a toujours chanté un État de droit, tout juste sortie de son imagination.
Aujourd’hui, la réalité amère au sein de cette institution vitale pour la paix civile et le développement socioéconomique est décriée de l’intérieur. Le club des magistrats vient en effet de publier un communiqué dans lequel il interpelle le président de la République pour le respect de l’indépendance de la justice enMauritanie.
Le club des magistrats mauritaniens semble être inquiet face aux manœuvres du ministère public, donc l’Exécutif, tendant à intimider les juges par l’envoi délibéré et ciblé de l’Inspection général d’Etat (IGE).
C’est le cas pour les inspections diligentées auprès de la Cour pénale et de la Chambre correctionnelle près le tribunal d’Appel de Nouakchott-Ouest juste après les dernières sentences qu’elles viennent de prononcer, comme ce fut le cas pour la Cour d’Appel de Kiffa qui reçut l’IGE, juste après son verdict réfutant la saisie d’un bus dans le cadre d’une affaire de drogue.
Les magistrats trouvent qu’au lieu d’envoyer les inspecteurs d’Etat pour « intimider » les juges, le ministère public doit contrer les décisions judiciaires émanant des cours et tribunaux en suivant les procédures légales et judiciaires prescrites par la loi en faisant appel plutôt que d’utiliser « l’intimidation ».
Un tel état de fait ne conduira selon eux qu’à travestir les jugements et pousser les magistrats, sous l’effet de la pression et de la peur, à prendre des décisions injustes, voire, contraires à la loi.
Les magistrats ont rappelé à cet effet le serment fait par le président de la République lors de l’ouverture de l’année judiciaire 2016 dans lequel il a déclaré en substance qu’il ne ménagerait aucun effort pour garantir l’indépendance de la justice.
L’occasion pour les magistrats de rappeler au gouvernement, le respect des engagements pris par la plus haute autorité du pays, en respectant le principe de séparation des pouvoirs, de l’indépendance du juge par rapport à ses arrêts dans le respect de la loi et de sa conscience professionnelle, loin de toute ingérence et de toute immixtion dans ses décisions.
Aussi, les magistrats voient-ils d’un mauvais œil l’envoi des inspecteurs pour enquêter et contrôler les décisions prises par les instances judiciaires en totale contradiction avec les principes d’un Etat de droit respectueux du pouvoir de ses juges, de leur indépendance et de leur probité.
Cette critique interne des magistrats sur ce qu’ils appellent « l’immixtion flagrante du pouvoir exécutif dans leur domaine de compétence » vient ainsi corroborer les critiques et autres faits que les différents bâtonniers de l’ordre des avocats ont toujours reprochés au système judiciaire mauritanien.
Beaucoup lient ainsi certaines décisions prises, contre tout entendement, par la justice dans plusieurs affaires comme le fait du Prince. Il en est ainsi dans des affaires où des hauts fonctionnaires ou des hommes d’affaires ont été mêlés et dont les péripéties semblent avoir été tissées en dehors des tribunaux, les magistrats n’ayant été utilisés dans beaucoup de cas que comme de simples faire-valoir, chargés d’appliquer des décisions prises en « haut lieu ».
Il en est de même pour des cas ayant touché des hommes politiques ou des défenseurs des droits de l’homme. Des décisions judiciaires qualifiées « d’anachroniques » prises en dehors des débats juridiques en audience. Des sentences émanant des plus hautes instances judiciaires jamais appliquées par l’Exécutif, tant bien même que les charges de la preuve lui sont défavorables.
Face au danger de la manipulation de la justice à des fins personnelles pour la paix civile, l’alarme ne cesse également d’être sonnée par les milieux économiques qui expliquent l’absence de l’investissement direct étranger massif en Mauritanie par la déliquescence de son système judiciaire, marqué par la corruption et son contrôle par l’Exécutif.
Ahmed B.
Source : L’Authentique (Mauritanie)