Le Calame : Les Mauritaniennes viennent de célébrer, à l’instar des autres femmes de la planète, la Journée internationale qui leur est dédiée. En quoi celle de 2016 aura-t-elle été différente de la précédente, pour l’AFCF ?
Aminetou Mint Ely : Certes les femmes mauritaniennes fêtent cette Journée internationale du 8 Mars 2016 dans un contexte assez particulier, marqué par la crise économique profonde qui affecte le panier de la ménagère et la stabilité des ménages.
Cette situation engendre une recrudescence de la violence à l’égard des femmes (violences conjugales, viols, mariages de mineures, meurtres, traite et trafics…) et le développement de la criminalité, au sein d’une société en pleine mutation, tandis que perdurent l’impunité, l’absence de mécanismes nationaux fiables de lutte contre ces violences, la complicité de certains magistrats et le manque d’indépendance de la justice.
En cette journée du 8 Mars 2016, l’AFCF a consacré ses efforts, comme ses consœurs dans le Monde, à la promotion de l’égalité genre en 2030. Certes, la femme mauritanienne est encore très loin du résultat escompté.
Il faut sérier les priorités. Aussi avons-nous commémoré cette journée, à l’AFCF, par une analyse du contexte économique et social qui nous amène à insister sur l’autonomisation économique des femmes, par leur implication dans la conception, la planification, la mise en œuvre et le suivi-évaluation. Elles doivent aussi avoir l’accès aux grands prêts bancaires, au même titre que les hommes, pour développer un entreprenariat puissant et avoir l’accès à tous les privilèges jusqu’à présent réservés exclusivement aux hommes.
– N’avez-vous pas le sentiment que l’éclatement des manifestations, chacune dans son petit coin, rend peu lisibles les activités de vos organisations et, partant, diminue leur lobbying auprès des pouvoirs publics ?
– Je suis tout à fait d’accord avec vous qu’il faut développer une dynamique de réseautage, seule capable de constituer, par son unité d’action, une force de plaidoyer et de lobbying, auprès des décideurs. L’AFCF a toujours milité pour le rapprochement des organisations de la Société civile, avec la mise en place de réseaux.
Le COMEDUC marche très bien mais celui pour la promotion des droits humains, essentiellement composé de femmes, ne fonctionne pas, comme beaucoup d’autres réseaux inactifs. Notre grand problème, à nous, les organisations de la SC, c’est l’instrumentalisation, par l’Etat, de certaines d’entre nous, ce qui lui permet de les dresser les unes contre les autres.
Son leadership, très poussé, au sein des associations de femmes, devient un frein à l’attente et la compréhension de ne pas agir en ordre dispersé. Malheureusement, nous sommes encore, il faut le reconnaître, une société civile – en particulier les organisations de femmes – sans vision, ni objectif, ni principe.
Cela entrave nos actions et met en cause notre crédibilité. Nous déplorons l’éclatement des activités et des efforts mais, à défaut d’une entente claire entre les ONG de femmes, il est préférable que chacun ait sa part de gâteau, en sachant que tous les malaises de cette société civile sont principalement la course vers l’argent, en ordre dispersé et vers lui seul.
– L’émancipation de la femme s’est accompagnée, presque partout, par l’éclatement des familles et la prolifération de divorces… Beaucoup de femmes se retrouvent, aujourd’hui, chefs de famille, avec, souvent, de lourdes charges sur le dos, à commencer par l’éducation des enfants. Quelle explication pouvez-vous donner à ces phénomènes, nouveaux chez nous ?
– Les femmes mauritaniennes sont très éloignées de l’émancipation. Elles sont trop souvent encore esclaves de la pauvreté, de l’ignorance et de la discrimination, à tous les niveaux.
Comme vous l’avez bien souligné, le taux de divorce est très élevé, le chômage et le manque de prise en charge sociale sont des facteurs qui ont beaucoup contribué à l’abandon des filles de l’école, développé la criminalité, la traite et le trafic des domestiques.
On assiste, d’autre part, à une dégradation constante des conditions de vie des ménages, en particulier ceux dirigés par les femmes, tandis que perdure l’inapplication des lois qui permettraient, à celles-ci, d’accéder aux maigres revenus de la pension alimentaire.
Un blocage engendré par la lenteur des procédures judiciaires, souvent à l’avantage de l’homme de surcroît, et le manque d’accès aux services et à l’aide judiciaires. En ces circonstances, il faut pouvoir disposer d’un avocat, pour espérer obtenir pension alimentaire et droits des enfants issus de couples séparés.
– Certains accusent vos organisations d’abuser un peu trop des textes pour, en quelque sorte, « régler des comptes » au sexe réputé fort. On traîne des hommes devant les tribunaux, confisque presque tout le salaire, les renvoie de leur maison… Que répondez-vous ?
– L’AFCF est une organisation de défense des droits pour la stabilité des ménages mais, en respect total de la dignité de la femme et de l’intérêt suprême des enfants, premières victimes des conflits au sein du couple. L’AFCF intervient, tout d’abord, en médiation et recherche de solutions entre les époux, en mettant en exergue la responsabilité de chacun et en instituant un climat de dialogue et de consensus entre les parties.
Les tribunaux sont nos derniers recours, pour protéger les droits de la femme et de ses enfants, souvent bafoués par les coutumes et les traditions archaïques. La majorité des femmes divorcées furent à l’origine, sinon du moins impliquées activement dans l’accumulation des biens, de longues années de mariage durant. Et les voilà mises à la porte avec leurs enfants, sans aucun moyen de survie.
Contraintes à se prostituer ou à contraindre leur famille de naissance à la charge non plus d’une seule personne mais de plusieurs bouches à nourrir… Tout cela dans un climat de crise mondiale mal gérée, par la Mauritanie, qui laisse un impact, catastrophique, sur les ménages déjà pauvres.
– La célébration du 8 Mars intervient au lendemain de la décision du gouvernement d’instituer une Journée internationale de lutte contre l’esclavage. Comment avez-vous accueilli cette décision ? N’est-ce pas, en sus de l’important arsenal juridique déjà décrété, un pas supplémentaire dans la lutte pour éradiquer ce fléau ?
– Ecoutez, l’AFCF a toujours salué les efforts qui visent à éradiquer, réellement, l’esclavage et ses séquelles. Cette journée était une des revendications des organisations qui travaillent en ce domaine. Mais nous constatons qu’elle ne marque aucun évènement particulier, alors qu’elle devrait célébrer, en pareilles circonstances, un évènement marquant, le combat d’un individu ou d’un groupe pour la cause.
On aurait été très heureux de voir cette journée dédiée, par exemple, à Aïchanaqui s’est battue pour sortir, elle et sa famille, des griffes des esclavagistes, ou aux militants d’El Hor qui furent emprisonnés pour leur juste engagement. Force est de constater, aujourd’hui, que cette journée est très artificielle, elle est comme tombée du ciel.
Pour répondre plus précisément à votre question, cette journée, l’arsenal juridique et tout le tapage qui l’entoure paraissent plus dédiés à la consommation étrangère, alors que le pays est plongé dans de très grosses difficultés. Il est au bord d’une guerre civile inévitable, si nous ne prenons pas au sérieux la situation.
Propos recueillis par Dalay Lam