Le Rapporteur des Nations Unies sur la torture, Juan E.Mendez est en Mauritanie depuis lundi 25 janvier 2016 à la tête d’une forte délégation. Après les officiels, il devra rencontrer les acteurs de la société civile et les autres parties prenantes.
A ce propos, Mohamed Mahmoud Ould Sidi Mohamed, activiste des droits de l’homme a souligné que « le Rapporteur et sa délégation venue de Genève se trouvent dans un marché florissant en termes de violations des droits de l’homme et que l’ampleur de ces violations est si importante que si on les convertissait en devises fortes, les coffres du Commissariat et de la Commission nationale des droits de l’homme n’auront pas assez de place pour les contenir ».
Sitôt arrivé à Nouakchott, lundi 25 janvier 2016, à la tête d’une importante délégation, le Rapporteur spécial des Nations Unies pour la torture, Juan E.Mendez, s’est entretenu avec les plus hautes autorités du pays.
Après l’audience que lui a accordée le président de la République, Mohamed Abdel Aziz, il s’est rendu au ministère de la Défense nationale, au ministère de l’Intérieur, puis à l’Etat-major de la Gendarmerie nationale et au ministère de la Santé. Au cours de son séjour qui devra durer plusieurs jours, la délégation onusienne devra se rendre dans d’autres régions du pays, rencontrer d’autres acteurs et parties prenantes sur les questions de torture, en l’occurrence les administrations judiciaires, les services de sécurité et la société civile.
L’objectif de la mission est « d’engager un dialogue avec les dirigeants et les acteurs clés, afin d’aider les autorités à faire respecter l’état de droit, à promouvoir la lutte contre l’impunité pour les abus commis, à enquêter sur les allégations de torture et mauvais traitements, à poursuivre leurs auteurs et à respecter le droit des victimes à une indemnisation » avait-il déclaré.
« La visite du Rapporteur intervient dans un contexte mauritanien marqué par des défis sécuritaires liés à des menaces et attentats terroristes dans la région du Sahel » selon une note diffusée à l’occasion. Qu’à cela n’empêche, M.Mendez qui est en visite en Mauritanie sur invitation du gouvernement, dit vouloir s’assurer de l’application des deux nouvelles lois votées par le parlement et promulgué en septembre 2015 sur la prévention et la répression de la torture, ainsi que la mise en place d’un mécanisme de prévention conformément aux instruments internationaux. Cette tournée devra être sanctionnée par une conférence de presse le 3 février 2016 et un rapport final d’observations et de recommandations.
Le dernier rapport en date sur l’état de la torture en Mauritanie remonte au 18 juin 2013. D’emblée dans l’introduction, le Comité contre la torture qui avait adopté le rapport initial de la Mauritanie, devait noter que le rapport « n’est pas conforme aux lignes directrices en matière de présentation et regrette qu’il ait été présenté par l’Etat avec sept années de retard ».
Les points positifs relevés par le comité à la lecture du rapport semblent être circonscrits uniquement à l’aspect institutionnel, la Mauritanie ayant ratifié la quasi-totalité des instruments internationaux, plus d’une quinzaine de traités. Mais là où le Comité se dit inquiet, et a formulé des recommandations dans ce sens, c’est au niveau de l’application effective de ces instruments et traités au niveau local.
Ainsi, huit ans après son adhésion à la Convention, le Comité contre la torture s’est dit préoccupé du fait que l’Etat mauritanien n’avait adopté aucune disposition pénale qui définisse et criminalise explicitement la torture comme infraction pénale autonome et que les actes de torture ne puissent être sanctionnés qu’en tant que coups et blessures, ou homicide. Le comité avait ainsi exprimé sa préoccupation de voir perdurer ce vide juridique propice à l’impunité.
Le Comité s’est toutefois réjoui de l’introduction dans le code pénal de la disposition selon laquelle « tout aveu obtenu par la torture, la violence et la contrainte n’a pas de valeur » saluant la décision de la Cour Suprême qui en 2007 avait rejeté les aveux obtenus sous la torture dans le procès des « Salafistes ». Cette information constituait cependant pour le Comité une indication que la torture et les mauvais traitements sont pratiqués en détention. Cependant, le Comité s’était dit préoccupé par l’information selon laquelle, en l’absence d’une infraction pénale autonome, les actes de torture ne peuvent être sanctionnés qu’en tant que coups et blessures.
Le Comité avait aussi émis son inquiétude face à l’article 57 du Code de procédure pénale qui autorisait la prolongation de la garde-à-vue en matière de crimes terroristes et des atteintes à la sûreté d’Etat à 15 jours, renouvelables deux fois sur ordre du Procureur.
Et cela, alors même que les gardés à vue ne disposent d’aucune voie de recours pour contester la légalité de leur détention et qu’il n’existe pas dans les textes locaux d’une définition stricte et précise du terrorisme. Il a émis dans ce cadre certaines inquiétudes face aux allégations quant à la pratique de la détention au secret, recommandant à l’Etat mauritanien à garantir la tenue à jour d’un registre des personnes privées de liberté. A en juger par le cas de notre confrère, Ian Mansour, détenu pendant plusieurs jours au secret, cette recommandation ne semble pas avoir produit d’effets.
Le Comité avait aussi relevé des inquiétudes face à des allégations relatives à l’inféodation du pouvoir judiciaire à l’Exécutif, soulignant que le fait que la Constitution mauritanienne en son article 89 stipule que le Président de la République est « garant de l’indépendance de la magistrature » et préside le Conseil supérieur de la magistrature ne fait que renforcer cette préoccupation. Sans ambages, le Comité contre la torture avait soulevé son inquiétude face à l’absence de garantie d’une indépendance effective du corps judiciaire. D’autres recommandations ont été formulées sur le statut des refoulements, des migrants et demandeurs d’asile, mais aussi l’octroi de documents d’identité aux Mauritaniens expulsés par le passé et rapatriés.
Le Comité contre la torture s’est surtout dit profondément préoccupé par le fait qu’aucune juridiction mauritanienne n’ait eu à traiter de cas de tortures, qu’il n’existe aucun registre de plaintes pour tortures et qu’aucune enquête n’ait été diligentée suite aux cas d’allégation de torture signalés en 2011 et 2012 àNouakchott, Kaédi et Ould Yengé. Le Comité s’était aussi dit concerné par l’insuffisance d’information pour le cas de Hassane Ould Brahim, décédé en octobre 2012 en prison après avoir été torturé par les gardes pénitentiaires.
Le Comité a également exprimé son inquiétude face à l’impunité accordée aux acteurs présumés des crimes commis entre 1989 et 1992, soulignant sa préoccupation face à l’approche adoptée par l’Etat mauritanien, confirmée oralement par sa délégation, vis-à-vis des demandes de certaines victimes et de leurs ayants-droits qui ne souhaitent pas se prévaloir des mesures d’indemnisation au profit d’une action judiciaire civile en réparation, et que l’Etat partie considère comme inopportune.
Ainsi, la visite actuelle du Rapporteur spécial de l’ONU sur la torture devra permettre de mesurer l’état d’application des recommandations issues du dernier rapport. Le cas des deux détenus d’IRA, Birame Dah Abeid et Brahim Bilal Ramadan sera aussi certainement au cœur des préoccupations de la délégation de Genève, ainsi que la menace qui pèse aujourd’hui sur la liberté de presse et le harcèlement dont sont victimes les journalistes et les rappeurs. Plusieurs activistes non tendres avec le pouvoir, sont aujourd’hui forcés à l’exil.
Cheikh Aïdara
Source : L’Authentique (Mauritanie)