J’ai suivi sur le net le témoignage émouvant de Monsieur Abderrahmane Ould Ahmed, hartani, civil qui aurait vécu le même calvaire que moi à Inal. J’ai eu l’impression de relire « L’enfer d’Inal », mais d’un autre auteur. Je devrais être heureux de voir un mauritanien issu d’une autre communauté confirmer mes dires avec en sus des détails. Mais ma conscience me dicte une autre attitude.
Loin de moi l’idée de m’accaparer « Inal » qui, symboliquement parlant, appartient plus à ceux qui y sont couchés qu’à n’importe qui, pas plus que je ne cherche à en faire une victimisation exclusivement communautaire. Juste les faits. Sans plus. Je ne suis pas le seul rescapé du camp d’Inal, nous en étions 96 en effet. Et près de la moitié est encore au pays. Mais pas un seul d’entre eux ne pourra confirmer la présence d’un hartani civil parmi nous. Nous nous connaissions tous pratiquement.
Si le 18 mars il totalisait 5 mois de détention, cela signifie qu’il aurait été arrêté en mi octobre, on n’oublie jamais la date de son arrestation. Comment expliquer alors que personne ne l’ai remarqué à Inal, à la base Wajaha de Noudhibou, à Jreïda et à N’ Beyka où le gros du groupe fut libéré le 18 mars 1991 ?
Première incohérence : Partout dans le monde, même en Mauritanie (je devrais plutôt dire surtout en Mauritanie), la police a toujours évité de se mêler de ce qui se passe dans la grande muette. Il n’est peut être pas nécessaire de rappeler que ce qui se passait à Inal n’était géré que par l’armée.
Deuxième incohérence : Dans la région de Nouadhibou des policiers, des gardes, des douaniers, des gendarmes ont été arrêté torturés et enfermés, tous à Nouadhibou. Pas un seul d’entre eux n’a mis les pieds à Inal. Alors qu’on m’explique pourquoi un civil arrêté par la police à Nouadhibou serait envoyé à 255 km de la zone de compétence de cette dernière ?
Troisième incohérence : Nous savons tous que seule la communauté négro-mauritanienne était visée. Pour preuves un groupe de 25 soldats des premières victimes arrêté à Boghe et Alèg ont été envoyés à Inal, de ce groupe, seuls deux personnes ont survécu (Ahmed Salem et Youba DIA ). On a découvert à Inal qu’ils étaient tous deux des métisses hartani et peul. Le fait de n’être pas des négro-mauritaniens à 100/100 leur a sauvé la vie, tant mieux pour eux.
Par contre, ils sont allés grossir le rang des tortionnaires. Pourquoi alors un civil, hartani de surcroît ferait une exception ? Quatrième incohérence : Pourquoi un homme qui dit ne craindre personne et être prêt à mourir pour défendre ses idées aurait-il attendu 25 ans pour sortir de l’ombre. Deux pèlerinages à Inal ont été effectués en 2011 et 2012, où était notre vaillant guerrier ?
Une précision, aucun prisonnier n’a été enterré dans la base, tous l’ont été autour du terrain de sport ou le long de la ligne de crête qui protège la base des vues à partir de la voie ferrée. Je comprends qu’une âme sensible puisse être choquée par le vécu des rescapés au point de se reconnaitre dans leur douleur face à une telle barbarie, mais de là à tenir des conférences de presse en se faisant passer pour un rescapé …
Les faits sans plus disais-je plus haut, laisser passer un pareil mensonge serait rompre l’engagement que j’ai pris ce 24 novembre 1990 au matin à Inal quand j’ai croisé pour la dernière fois le regard du Lieutenant SALL Abdoulaye et que j’ai compris que c’était fini. Ce jour-là je me suis promis de faire savoir tout ce qui s’était passé à Inal, si je m’en sortais. Donc me taire serait participer à une falsification de l’histoire.
Je suis encore plus choqué par la légèreté avec laquelle certains se sont jetés sur cette histoire pensant tenir le bon bout parce que cette fois c’est quelqu’un d’autre qui la leur contait. Aucun civil maure, hartani ou pas n’a été torturé à Inal en 1990. Pas un seul.
© ODH-Mauritanie ODH-Mauritanie
Vendredi 14 août 2015
DROIT DE REPONSE :
Abderrahmane Ould Ahmed, rescapé des camps de la mort «Oui, il y avait des Haratines à INAL !»
«Peu de gens savent qu’il y avait des Haratines dans les camps de la mort durant les années de braise, notamment entre 1990 et 1991 ! » C’est l’une des principales informations, et elle est de taille, que Abderrahmane Ould Ahmed, un des 96 rescapés d’INAL, a lâché lors de la conférence de presse qu’il a animée, lundi 10 août 2015 au siège du FONADH, à Nouakchott.
Portant les stigmates d’une longue souffrance, dont seuls subsistent un physique affaibli et des séquelles morales visibles, Abderrahmane Ould Ahmedse bat depuis quelques petites années, selon ses dires, «contre tout un système qui détient le pouvoir politique, économique et militaire ».
Cette redoutable machine, dira-t-il en substance, «se protège et protège ses membres pour garder dans les limbes de l’histoire scabreuse de la Mauritanie, un nauséeux passé peu glorieux ». D’après lui, l’inconscient collectif associait jusque-là, le génocide perpétré en 1989 sur ces terres de l’Islam, à l’épuration ethnique qui avait visé essentiellement la composante Halpulaar du pays.
En trois ans, des dizaines de milliers de paysans et d’éleveurs de la Vallée subiront massacres et déportations de groupes vers la rive sénégalaise, déchus de leurs biens et de leur nationalité. Par ailleurs, la quasi-totalité des cadres ont été chassés de l’administration. Des civils et des militaires ont été conduits vers des «camps de la mort ». Mais jusque-là, l’histoire n’avait retenu comme victimes de ce pogrom que les éléments «rebelles de la communauté halpulaar, accusés d’appartenir aux FLAMS et de comploter contre la Mauritanie» précise-t-il.
Aujourd’hui, Abderrahmane Ould Ahmed, ancien Directeur général d’une société privée de nettoyage industriel et de représentation commerciale à Nouadhibou, divulgue des informations contraires. «Au camp d’INAL, nous étions trois Haratines » selon lui. «En plus de moi, il y avait Brahim Vih El Barka et Mohamed Ould Mouh».
Brahim Ould Vih El Barka mourra selon lui de la plus atroce des manières. «On avait enserré un fil de fer autour de ses testicules et quand elles se sont gonflées, elles se sont déchirées, laissant échapper les deux boules et il mourut aussitôt»dira-t-il. «Les exécutions étaient systématiques à INAL, certains écartelés entre deux véhicules, d’autres pendus, comme les 28 prisonniers exécutés le 28 novembre 1991 jour de l’indépendance du pays » ajoute-t-il.
A INAL, les prisonniers, dira Abderrahmane, vivaient dehors, en plein air, attachés à des poteaux, sous le soleil ardent du jour et la fraîcheur de la nuit, certains étaient nus et d’autres avaient eu la chance de porter des culottes» Il est arrivé un moment, selon Abderrahmane, où tout le monde était fatigué, bourreaux comme victimes. «On ne prenait plus la peine de nous torturer ; on venait marquer le jour ceux qui devaient être exécutés la nuit ». Le plus atroce, selonAbderrahmane, «on laissait les morts sur les poteaux jusqu’au pourrissement, puis on creusait un trou sous leurs pieds, pour les y précipiter, masse gluante».Dans le raffinement de la mort à donner, il est arrivé un jour où 17 jeunes prisonniers furent désignés pour creuser un trou de deux mètres de profondeur, puis lorsqu’ils disparurent complètement, ils furent ensevelis vivants»
Puis, un jour du 18 mars 1991, après 150 jours dans l’enfer d’iNAL, c’est la délivrance. De 256 prisonniers, 96 sortiront morts vivants, avec des séquelles qui en emporteront la majeure partie, témoigne-t-il. Libérés. Ils seront jetés par groupe, nuitamment, chacun sur l’axe qui mène chez lui. Abderrahmane déclare avoir été jeté tout près de chez lui, masse inerte, n’ayant aucune force pour bouger. Le lendemain, les ménagères sur la route du marché le découvriront, diable sorti de sa boîte, sans visage humain. Le croyant mort, ses biens ont été partagés entre ses héritiers et son épouse après son veuvage était rentrée chez elle puis s’est remariée.
Il lui faudra des années pour se rétablir et recouvrer sa santé. Puis, il attendit que le régime qui avait sécrété les camps de la mort quitte le pouvoir pour trouver des interlocuteurs valables. «Lorsque Maaouiya fut renversé en 2005, qui l’avait renversé ? Ely Ould Mohamed Vall, son ancien Directeur de la Sûreté et le tortionnaire en chef de son régime. Il n’y avait pas toujours d’interlocuteur » note-t-il, pour expliquer les raisons de son silence depuis toutes ces années.Abderrahmane déclare que ce n’est qu’avec l’arrivée de Mohamed Ould Abdel Aziz au pouvoir et sa prière à Kaédi que les dossiers relatifs à cette période commencèrent à se poser ici en Mauritanie d’une manière ouverte.
Il affirme avoir été l’un des premiers à avoir déposé son dossier, mais sans trouver toujours d’interlocuteur car les principaux acteurs et bourreaux de ces époques sanglantes sont toujours aux points névralgiques du pouvoir, dont selon lui, l’actuel Directeur de la Sûreté, le général Ould Meguett, «l’un des plus grands tortionnaires pendant ces années de braise alors qu’il n’était encore que capitaine»
Abderrahmane a lâché des noms d’officiers, de sous-officiers, de commissaires de polices et d’agents, qui ont participé aux massacres des Noirs de Mauritanie entre 1989 et 1991 et qui sont toujours en activité. Certains étaient de simples lieutenants ou capitaines ou commandant et sont aujourd’hui des colonels et des généraux. Parmi ces tortionnaires, l’ancien commandant du camp d’INAL, le commandant Sidina Ould Cheikh Bouya, le lieutenant Mohamed Salah, le lieutenant Isselkou Ould Rabani, et des centaines d’autres. Mais Abderrahmane Ould Ahmed a aussi divulgué une liste de tortionnaires inconnus, principalement de la police, dont l’inspecteur Mohamed Diop, les brigadiers Sidina, Youba Ould Meïssara, Housseynou Sangharé, Baba Ould Baba Doumbiya Alioune…En tout, ils seraient 343 tortionnaires qu’Abderrahmane Ould Ahmed s’est juré de mener devant les tribunaux pour crimes, tortures et génocides. «Et ces tortionnaires sont de toutes les communautés du pays » témoigne-t-il.
Alors qu’à ses débuts, Abderrahmane a déclaré avoir recherché la voie du consensus pour régler son problème hors du grand public, on ne lui a affiché que mépris et arrogance, le poussant à s’adresser le 19 février 2015 à la Cour Africaine des droits de l’homme et des Peuples qui lui a organisé une rencontre à Dakar avec le juge Augustino.
Ce dernier, après leur entrevue, lui conseilla d’organiser sur place une conférence de presse, ce qu’il affirme avoir fait. Puis, dans un échange actif avec plusieurs organisations internationales comme Amnesty International, l’ONG Karama et la Cour Pénale, il reçut une invitation à assister à la 29ème session de la Commission des Nations Unies pour les droits de l’homme qui a eu lieu entre le 15 juin et le 3 juillet 2015 à Genève (Suisse). Il était prévu, selon lui, une confrontation entre lui et la délégation mauritanienne conduite par la Commissaire, Mint MHeiham. Cette délégation fuira le face-à-face en séchant les assises, affirme-t-il. Aujourd’hui, Abderrahmane Ould Ahmed dit attendre de pied ferme les représentants de l’Etat mauritanien à la Revue annuelle à mi-parcours sur la situation des droits de l’homme en Mauritanie prévue le 20 novembre 2015 à Genève pour les interpeller sur les atrocités commises entre 1989 et 1991.
En attendant ces échéances, Abderrahmane Ould Ahmed affirme vivre sous d’énormes pressions. De hauts responsables de l’appareil d’Etat le harcèleraient pour clore ce dossier. Parmi eux, le gouverneur de Nouakchott-Nord, le commissaire Mohamed Lemine, qui l’a appelé en pleine conférence de presse pour lui demander s’il l’a tenu, car il lui avait demandé, selon lui, de le surseoir et qu’une solution à son problème allait être trouvé. Hier d’accord pour une réparation morale pour les préjudices qu’il avait subies, Abderrahmane affirme qu’aujourd’hui, il ne cherche ni argent, ni privilège, mais seulement, la Justice, jusqu’à ce que les tenants du pouvoir sachent que les Noirs de Mauritanie et les Haratines sont citoyens à part entière et qu’ils doivent jouir de leurs droits sans aucune partialité. Il a enfin exhorté l’union de tous les opprimés de la Mauritanie contre cette terrible machine qui selon lui, n’a aucune pitié pour les faibles.
Dernier rebondissement, Abderrahmane dit craindre pour sa vie, relatant la tentative d’assassinat qui l’a visé dimanche 9 août dernier, alors qu’il attendait un taxi près de la station d’essence de l’immeuble Ould Khteïra à Dar Naïm. Une V8 noire, toute neuve, sans immatriculation et aux verres teintées aurait foncé sur lui. N’eût été la clameur des vendeuses de menthe, il dit qu’il serait aujourd’hui mort, car la voiture serait venue heurter selon lui le bord de la pompe où il était debout. Son conducteur a manœuvré puis poursuivi son chemin sans s’arrêter. Il a déclaré avoir porté plainte contre X. «Je sais que ma vie est en danger, mais le dossier, j’en ferais une décharge à un homme de confiance, qui poursuivra le combat même après ma disparition » a-t-il conclu.
Avaient assisté à la conférence de presse, plusieurs chefs de partis politiques,Kane Hamidou Baba, Bâ Mamadou Alassane et Bâ Soma dit Balas, en plus de plusieurs activistes des droits de l’homme, dont des militants du mouvement IRA.
Cheikh Aïdara
Source : L’Authentique (Mauritanie)