L’année judiciaire 2024 connut des événements marquants: entre autres, la reconduction du ministre de la Justice et la continuité de son système de gestion, l’affaire de supposé narcotrafic, la reprise du procès en appel de l’ex-président et les actes d’atteinte aux symboles de l’Etat.
1/ Continuité du mode tribaliste de gestion des magistrats
Sans surprise, Mohamed Mahmoud Ould Boye fut reconduit au poste de ministre de la Justice, dans le gouvernement post-présidentiel de 2024, son maintien étant en effet lié au procès en appel de l’ex-président Mohamed Ould Abdel Aziz. Sa confirmation eut pour conséquence la reconduite de son mode de gestion basé sur le tribalisme.
En effet, notre ministre considère « la fonction de juger » comme un attribut culturel de sa communauté tribalo-ethnique. Selon sa conception, la conduite des tribunaux et de leur Parquet respectif doit être confiée aux magistrats appartenant à celle-là; leurs collègues issus de groupes sociaux différents devant être placés dans des postes secondaires.
Le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM), tenu en Décembre 2021 sur initiative d’Ould Boye, procéda ainsi à un vaste mouvement dans la magistrature, accordant une place prépondérante aux magistrats issus de la communauté tribalo-ethnique du ministre qui se sont vus attribuer les postes-clés de l’appareil juridictionnel. Les éléments du corps judiciaire appartenant aux autres groupes sociaux furent rétrogradés à des postes secondaires: substituts, conseillers etc. Les sessions ultérieures du CSM ont conforté l’orientation tribalo-ethnique dans les nominations et suscité un sentiment d’injustice d’une partie des magistrats vis-à-vis du système de nomination mis en place.
Cette stratégie de refondation du système judiciaire s’accompagne d’une tendance aux affectations arbitraires et illégales de magistrats jugés indépendants dans la conduite de leurs dossiers.
Les magistrats, regroupés au sein du Club des juges,ont dénoncé à plusieurs reprises ces pratiques, appelant au respect des garanties statutaires et au rejet de toute forme de tribalisme dans l’attribution des postes.
2/ L’affaire de supposé narcotrafic et de blanchiment d’argent
Tout a commencé avec une série de Facebook-live dans laquelle un célèbre journaliste d’investigation émit des hypothèses sur la fortune d’une célèbre famille soufie et interpella les autorités judiciaires à ouvrir une enquête à ce sujet. S’estimant diffamée, la famille déposa une plainte contre le journaliste responsable des diffusions.
Face à l’ampleur suscitée par cette affaire, le ministre de la Justice Ould Boye ordonna l’ouverture d’une enquête à la mi- Septembre sur les « faits supposés contraires à la loi », sans toutefois exiger la mise en application des mesures liées à l’enquête préliminaire: garde à vue, perquisition, saisie d’objets, transmission du PV à la justice. Une commission sécuritaire et judiciaire fut alors créée sous l’autorité du Procureur Général de la Cour d’Appel, et comprenant entre autres des officiers de police et un expert de la Banque Centrale.
La Commission procéda à l’audition des personnes concernées, dont les gérants de quatre bureaux de change.
A l’issue de ses investigations, ladite commission publie un communiqué signé du Procureur de la République qui conclut à l’absence de preuves justifiant les allégations de narcotrafic et de blanchiment d’argent portées contre ladite famille.
3/ Reprise du procès en appel de l’ex-président de la République
Le 13 Novembre 2024, le procès en appel de l’ex-président Aziz et ses coaccusés s’ouvrit devant la Chambre criminelle de la Cour d’appel de Nouakchott-Ouest
Pour rappel, l’ex-président fut condamné par la Cour anti-corruption le 5 décembre 2023 à cinq ans d’emprisonnement pour enrichissement illicite et blanchiment d’argent. Des condamnations moins sévères furent retenues contre cinq des coaccusés. Le Parquet et la Défense décidèrent alors de faire appel contre le jugement rendu par la Cour.
Dès l’ouverture de l’audience et après lecture des chefs d’accusation par le Président du tribunal d’appel, la défense, dirigée par Me Ichidou, souleva la non-conformité de l’article 2 de la loi no 2016-14 sur lequel s’appuya la Cour anti-corruption pour condamner l’ex-président, arguant que cet article ne s’applique qu’aux fonctionnaires publics et que le président de la République ne peut être assimilé aux fonctionnaires.
Les avocats de l’Etat mauritanien rétorquèrent en audience par la voie de Me Ebety en soutenant que l’expression “fonctionnaire public“ renvoie à “ toute autorité législative, exécutive, judiciaire, rémunérée ou non rémunérée“.
Après délibération, le tribunal décida de sursoir au procès, en attendant que le Conseil Constitutionnel se prononce sur le recours formulé par la défense de l’ex-président sur l’exception d’inconstitutionnalité de l’article 2 de la loi no 2016/14 relative à la corruption. (Affaire à suivre)
4/ Les actes des atteintes aux symboles de l’Etat
L’année 2024 fut marquée par une multiplication des actes d’injure et d’atteinte à l’honneur visant les symboles nationaux (président de la République, responsables publics), commis par des personnes par le biais des techniques nouvelles de communication. Ces actes étant en effet réprimés par la loi n°2021-021 qui punit d’un an à trois ans d’emprisonnement la commission de tels actes.
Les auteurs d’injures et autres propos infamants proférés sur les médias sociaux à l’encontre des symboles nationaux sont régulièrement poursuivis devant la justice.
La dernière en date remonte au mois de Septembre, impliquant un haut fonctionnaire qui avait proféré des propos jugés attentatoires aux symboles de l’Etat. Il fut placé sous mandat de dépôt par le procureur de la République puis remis en liberté provisoire en attendant son procès.
Mohamed Bouya Ould Nahy
Ex-Procureur de la République au près du tribunal de la Wilaya de Nouakchott