Le régime actuel peut-il instaurer l’école républicaine ?

Depuis trois ans, les autorités du département de l’Éducation nationale et de la réforme du système éducatif font montre d’une ferme volonté d’instaurer – restaurer ? – l’école républicaine. Dans ses objectifs affichés, cet engagement politique courageux est évidemment louable, crucial, existentiel même. Mais il semble malheureusement que cette réforme semble être hélas engagée dans la précipitation. Une grande incertitude demeure quant à sa réalisation concrète. Malgré la volonté du pouvoir de camoufler, par la propagande, les difficultés rencontrées dans l’exécution du projet, ces dernières sont mises à nu par les insuffisances en infrastructures scolaires et en personnel enseignant qualifié. Insuffisances qui se sont d’ailleurs fortement aggravées et mises en relief par le processus de limitation de l’enseignement fondamental à la seule école publique.

Le ministère patauge indéniablement. Prétextant de la pertinence de l’idée générale du projet, il cherche à imposer le bricolage d’une réforme qui devrait mériter beaucoup plus d’intérêt et d’’attention. Du coup, l’opinion publique nationale et la famille scolaire en particulier entrevoient le spectre d’une énième réforme ratée. Par sa fuite en avant incompréhensible, le pouvoir risque de donner le coup de grâce à notre système éducatif, d’hypothéquer l’avenir de nos enfants et, par conséquent, celui de notre pays.

En plus des insuffisances susdites, la loi d’orientation 2022-2023 suscite encore des controverses sur les langues d’enseignement et peine à être mise en œuvre, à cause de l’imprévoyance, et de l’improvisation. Comme d’habitude, le régime actuel a voulu imposer avec insouciance et irresponsabilité un plan d’exécution conforme à ses agendas électoralistes irréalistes et démagogiques. Il était donc fort prévisible que les calculs politiques empiètent sur le professionnalisme, le réalisme, la rationalité et l’objectivité indispensables à la réussite d’une si importante réforme.

 

Désillusion

Le projet de l’école républicaine va inévitablement pâtir de l’enracinement de la mauvaise gestion qui gangrène le pays et de l’incivisme de nos décideurs. La désillusion causée par les difficultés rencontrées dès l’entame de sa mise en œuvre ravive en nous l’amertume envers la piètre gouvernance de notre pays, par l’inamovible système qui nous régente depuis plus de quarante ans. Actuelle variante de ce système – la plus aguerrie, la plus expérimentée et la plus intraitable en matière de gabegie – le régime de Mohamed Cheikh El Ghazouani est-il d’ailleurs capable de concrétiser ce projet on ne peut plus républicain et patriotique ? Rien n’est moins sûr, eu égard aux velléités de redressement qu’a tenté d’opérer notre Président et qui n’ont abouti à aucun changement.

Après cette longue expérience vécue sous ce système gabegique qui prend le pays en otage et le mène vers l’incertain, les Mauritaniens devraient être suffisamment incrédules pour savoir que le projet de l’école républicaine ne peut être qu’une illusion, une énième réforme ratée ! Et pour cause : sa réalisation nécessite de changer radicalement le régime qui l’a initié. Pour s’en convaincre, il suffit de poser la question de ce projet en termes de conditions de faisabilité, partant de la réalité socio-politique de notre pays. En d’autres termes, le régime actuel peut-il garantir une gestion saine des affaires de l’État ? Qu’a-t-il, lui, de républicain à faire valoir pour ambitionner d’instaurer une école républicaine ?

Normalement, son premier atout devrait être la volonté du président de la République. Trois raisons prouvent que ce dernier n’est pas et ne peut pas être républicain : il fut tout d’abord l’un des acteurs principaux du putsch contre le Président Sidi Mohamed Cheikh Abdallahi, le mieux élu de la Mauritanie moderne et le plus porteur d’espoir. En deux, le pouvoir lui a été adjugé par son prédécesseur, pour lequel il fut un fidèle collaborateur lors dudit putsch et pendant plus d’une décennie de gabegie et d’affairisme qui valent à celui-là de se retrouver en prison. Et, en trois, son premier quinquennat a été décevant, plein de désillusions, voire désespérant, confirmant son incapacité à se départir de l’incivisme des oligarques tribaux, militaires et affairistes qui l’ont porté au pouvoir et qui tirent les ficelles de la Mauritanie profonde, conservatrice et chauvine.

Puisque nous sommes soumis à un régime présidentiel et que l’État est sous la direction souveraine d’un tel président, on ne peut logiquement pas espérer, de notre gouvernement, de notre administration, de nos services publics, de nos responsables, tous imbus de plusieurs décennies de gabegie et d’incivisme, d’être habilités à instaurer l’école républicaine. Il n’était pas judicieux que les responsables de la déchéance de notre école publique supervisent les journées de réflexion sur notre système éducatif. Même s’ils ne peuvent qu’accepter son état des lieux lamentable et accablant, leur tutelle a de toute évidence influencé l’évaluation et les conclusions de leurs travaux, en occultant soigneusement de situer les responsabilités.

Dégradation

Car les questions sont là : pourquoi et comment sommes-nous arrivés à ce degré de dégradation de notre système éducatif ? Qui sont les responsables ? Normalement, on devait plus insister sur les réponses à ces interrogations, si l’on voulait réellement délier les nœuds du problème. Mais nos réformateurs ont évité les problèmes fondamentaux et sensibles, pour s’appesantir sur la conception d’une nouvelle approche de notre politique éducative, répondant à nos impératifs sociaux, politiques et économiques. Certes, chercher à gérer ceux-ci est pertinent, constitue même la raison d’être de toute réforme de l’éducation digne de ce nom et les résultats de leurs travaux constituent, dans leur ensemble, un consistant plaidoyer sur la base duquel on devrait pouvoir bâtir un projet d’école républicaine. Mais encore faut-il qu’on soit dans une vraie république, un État de droit, avec une administration et des institutions républicaines qui fonctionnent normalement, régulièrement, avec toute la déontologique républicaine requise.

Où en sommes-nous par rapport à tous ces idéaux ? Très loin ! Nous vivons dans une république formelle, avec des citoyens de seconde zone où sévissent l’injustice, l’iniquité, l’exclusion, la paupérisation, la marginalisation, la gabegie, l’insouciance et où les institutions de l’État sont inféodées au pouvoir exécutif et à la nomenklatura chauvine et affairiste. Dans ces conditions, espérer réaliser l’école républicaine relève tout simplement de l’utopie. C’est cette réalité qui nous a mené là où nous en sommes. Elle demeure le problème majeur qui entravera la réalisation de la nouvelle réforme.

Et puisque le régime du président Mohamed Cheikh Ghazouani n’arrive pas à se libérer du périlleux mode de gouvernance dont il a hérité, en laissant en état de nuire les fossoyeurs de notre système éducatif, sans qu’ils ne soient jamais inquiétés pour leurs forfaitures et sans qu’ils ne craignent de rendre compte un jour, il est légitime de douter qu’il puisse réaliser le projet de l’école républicaine, en toute évidence voué à l’échec.

Mohamed Daoud Imigine