Appelez cela comme vous voulez, la revanche des contextes, la fin du Vieux Monde ou encore le réveil des Sud, une chose est certaine : la planète est en train de basculer dans un nouvel ordre dont les contours restent flous, mais dont on sait déjà qu’il marquera la fin de l’hégémonie de ce que l’on appelle « l’Occident ».
On ignore encore si ce nouveau monde sera capitaliste ou anticapitaliste, s’il sera dominé par une nouvelle superpuissance (après les États-Unis, la Chine ?) ou s’il sera véritablement multilatéral, ou encore s’il sera plus humain – ou moins inhumain – qu’il ne l’est aujourd’hui. Ce que l’on sait, c’est que « l’Occident » est définitivement tombé du piédestal sur lequel il s’était lui-même placé, au nom de valeurs qui, en réalité, ne s’appliquaient qu’à celles et ceux qui en étaient issu·es ou qui lui avaient prêté allégeance.
L’Afrique du Sud et l’honneur de l’humanité
Cette position en surplomb, qui a un temps donné l’illusion d’une supériorité morale, est dénoncée depuis des années aux quatre coins du monde, et notamment en Afrique – le rejet de la France dans ses anciennes colonies en est une des nombreuses déclinaisons. Mais tout s’est accéléré ces derniers mois. Le nettoyage ethnique mené par Israël dans la bande de Gaza depuis cent jours, l’entreprise génocidaire mise à l’œuvre par Tel-Aviv depuis l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023, et la complicité, active ou passive, des États occidentaux qui ont laissé faire sans hausser le ton, et en continuant d’apporter leur soutien économique, diplomatique et militaire à l’État hébreu, ont brisé le mythe.
Une image résume le basculement actuel : le 11 janvier, alors que les avocat·es mandaté·es par l’Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice (CIJ) déployaient leurs arguments à La Haye, aux Pays-Bas, pour convaincre les juges de mettre fin aux massacres en cours en Palestine, à Ramallah, en Cisjordanie occupée, des manifestant·es palestinien·nes brandissaient des drapeaux sud-africains au pied de la statue de Nelson Mandela – une statue en bronze offerte par la ville de Johannesburg à celle de Ramallah en 2019, au nom de la communauté de destin qui lie les deux peuples soumis à la colonisation et à l’apartheid.
Un constat aussi : c’est l’Afrique du Sud, un pays certes important sur le continent africain, mais qui reste fragile trente ans après la fin du régime raciste de l’apartheid, qui a osé saisir la justice internationale pour mettre fin au génocide en cours. Ce n’est ni la France, qui se rêve toujours en « pays des droits de l’homme », ni la Grande-Bretagne, qui a une responsabilité historique dans la situation des Palestiniens, ni les États-Unis, qui continuent à se voir comme « la plus grande démocratie du monde », ni même les pays scandinaves, qui sont souvent présentés comme moteurs en matière de progrès humains.
C’est l’Afrique du Sud – et l’Afrique du Sud seule, au nom de son histoire – qui a entrepris de documenter les crimes de l’armée israélienne et les intentions génocidaires des dirigeants de l’État hébreu, qui les a compilés dans un rapport et qui les a présentés devant les juges de la CIJ, au cours d’une audience historique. L’une des avocat·es mandaté·es par Pretoria, Adila Hassim, a d’ailleurs été très claire dès le début de son intervention : « Cette affaire souligne ce qui constitue l’essence de notre humanité commune. »
En se lançant dans cette démarche, l’Afrique du Sud a sauvé l’honneur de l’humanité. « Voir des femmes et des hommes africains lutter pour sauver l’humanité et le système juridique international contre les attaques impitoyables soutenues/permises par la plupart des pays occidentaux restera comme l’une des images déterminantes de notre époque. Cela marquera l’histoire, quoi qu’il arrive », a réagi sur X (ex-Twitter) Francesca Albanese, la rapporteuse spéciale des Nations unies sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés.
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Source : Afrique XXI