Depuis 1960, date de l’indépendance de notre pays, c’est en tous cas la première fois qu’un régime en place accepte de laisser mener une enquête à propos d’un meurtre commis par des agents des forces de l’ordre ou par des hommes de loi. L‘expression « accepte » désigne bien entendu ici la volonté du régime d’établir toute la lumière sur cet homicide volontaire et probablement prémédité commis par des fonctionnaires dans l’exercice de leur fonction. Dans un édifice public, qui plus est.
C’est une Première. Peut-être un ballon d’essai lancé par les autorités, comme pour dire qu’« elles en ont assez » de prendre les coups à la place des autres. Malheureusement pour elles, cette tentative semble comporter beaucoup d’inconnues, mettant en évidence, comme on va le voir, de parfois graves dysfonctionnements, tant au niveau des commissariats de police de proximité qu’en celui de nos structures médicales.
Une victime, des assassins… mais pas de mobile ?
Déférés au Parquet dès la fin de l’enquête préliminaire, quatre fonctionnaires de police sur les huit impliqués dans cette affaire ont été officiellement inculpés du meurtre avec préméditation sur la personne de l’activiste politique Souvi ould Cheïne. Un cinquième l’a été sous chef d’accusation « d’implication dans l’exécution du crime » et un sixième pour « refus de dénoncer les auteurs » du crime et avoir aidé certains de ces assassins à quitter la scène du drame après avoir commis leur forfait.
Ces premiers éléments donnent déjà à penser que ce premier « ballon d’essai » lancé par les autorités mauritaniennes vole plutôt très bas. La qualification d’« homicide avec préméditation » signifie que l’audition des coupables aurait permis d’établir que le meurtre fut pensé avant d’être exécuté. Cela signifie, en d’autres termes, que le procureur est convaincu que les quatre suspects ont donné la mort à Souvi ould Cheïne de manière intentionnelle et délibérée.
Le code de procédure pénale est clair et précis. Si l’homicide est volontaire et prémédité, l’acte est considéré comme un assassinat. C’est d’ailleurs pourquoi cette infraction pénale est, au regard de la loi, non seulement considérée comme un crime mais surtout comme un crime relevant des infractions les plus graves prévues au code pénal. Est-il ici nécessaire de rappeler que les procédures d’inculpation suivent des règles rigoureuses? Si un individu est inculpé, il l’est sur la base d’une qualification des faits qui définit le profil des charges retenues contre lui.
Cette qualification est d’abord suggérée par l’enquête, en fonction des preuves accumulées, avant de se voir confirmée par l’appréciation, en son âme et conscience, du procureur de la République devant lequel les accusés ont été déférés. En quelque sorte un balisage censé aider le juge d’instruction chargé du dossier à orienter son instruction en fonction des textes qui régissent pénalement l’acte commis. Cette étape est importante car ce seront finalement les conclusions du juge d’instruction qui boucleront le dossier avant d’être enrôlé pour être jugé.
C’est peut-être pour certains trop compliqué mais c’est comme ça. Un comme ça qui n’est parfois pas vraiment comme ça. Pourquoi ? Parce qu’une fois évaluée, par le procureur, la situation en fonction des conclusions de l’enquête, auditions des prévenus et au regard des pièces à conviction mises sous scellés, voilà qu’entrent en jeu les enjeux. Et c’est aussi à partir de là que parfois tout se complique. Or, dans le cas de l’assassinat de Souvi ould Cheïne, les choses risquent bel et bien de se compliquer.
Énigme policière…
Elles le risquent déjà parce que le pôle des médecins légistes réquisitionnés pour le rapport d’autopsie conclut que le corps de la victime présentait deux fractures au cou et des traces de strangulation, ces deux éléments pouvant être, l’un comme l’autre, la cause du décès. Mais ces experts n’ont pas établi avec exactitude lequel des deux était la cause de la mort. Fractures des cervicales ou asphyxie ? Une incertitude que l’enquête préliminaire n’a pas pu mieux cerner en identifiant qui étaient, des quatre inculpés, les responsables de l’une et l’autre causes potentielles de décès. L’instruction y parviendra-t-elle ? Ce flou ouvre en tout cas une brèche pour les avocats qui se battront, chacun de son côté, pour faire porter le chapeau de l’acte mortel à l’un des accusés plutôt qu’à un autre. Des conclusions hâtives qui peuvent remettre tout en cause ?
Et ce n’est pas tout. Depuis le début de cette affaire et tout de suite après le décès de la victime, de nombreux dysfonctionnements ont été constatés : tout d’abord au niveau de l’administration de la police dans la remontée de l’information, semble-t-il. Premier élément. Puis à celui de l’hôpital, quant au diagnostic sur la cause du décès, annoncé à la « hâte » par un premier communiqué officiel pour se retrouver plus que démenti par les conclusions de l’autopsie. Deuxième élément. Il ya par ailleurs cette dissimulation de preuves et indices évoquée dans l’acte d’accusation du Parquet, qui auraient peut-être pu aider à mieux comprendre ce qui s’était réellement passé. Enfin et surtout, « la » grande question : pourquoi ce meurtre ? Y aurait-il, comme certains le pensent, d’inavouables mobiles ? Affaire politique ou judiciaire, elle met en tout cas le régime dans de sales draps.
Au regard de tous ces manques, il est fort probable que ce dossier « très mal ficelé », comme beaucoup ne manquent pas de le souligner, relance une nouvelle enquête qui aurait à reprendre tout depuis le début. Très mal ficelé par un document de médecine légale qui ne répondait pas aux questions essentielles et déterminantes pour situer les responsabilités dans ce décès. Très mal ficelé aussi par le manque d’éléments nécessaires à l’enquête, par négligences ou volontairement passés sous silence.
Si donc les autorités mauritaniennes sont décidées de passer un test de transparence dans la gestion de la crise provoquée par une affaire aussi grave, il reste à savoir si la machine mise en marche à cet effet va avancer, reculer ou s’enrailler. C’est évidemment là toute la question. Il paraît difficile d’y trouver une réponse, tant les « enquêteurs de la police des polices » semblent s’être ingéniés à brouiller les pistes depuis le début de cette sombre affaire… Au final, « sale temps pour les flics ».
Par Mohamed Chighali