L’esclavage politique peut être défini comme l’utilisation des Esclaves et des Haratine dans le domaine politique.
En Mauritanie, les rapports entre communautés sont au cœur des enjeux politiques.
La constitution mauritanienne ignore la communauté haratine. Elle ne mentionne ni son existence, ni sa langue, ni sa culture.
L’article 6 de la constitution mauritanienne affirme: «les langues nationales sont: L’arabe, le poular, le Soninké et le Wolof. La langue officielle est l’arabe». A travers cette article, les Haratine sont oubliés car la langue qu’ils parlent n’est pas citée dans cet article.
D’une manière générale, très peu de Mauritaniens parle arabe. La communauté arabo-berbère ( maure) parle le hassania. Le hassania est une langue issue du mélange de l’arabe, du berbère et des langues négro-africaines.
Aux termes de l’article 6 de la constitution, le hassania est assimilé à l’arabe. Ce qui n’est pas exact. Le hassania n’est pas l’arabe. Si tel était le cas, ceux qui parlent hassania comprendraient l’arabe. Or, cela n’est pas vrai.
Les Haratine parlent le hassania comme les Maures et non l’arabe. La constitution considère les Berbères et les Haratine comme des Arabes. Ce qui est une contre-vérité historique, scientifique et existentielle. Il convient ici de noter une différence de taille entre les Berbères et les Haratine. Les premiers sont concepteurs et bénéficiaires de l’esclavage, les seconds en sont victimes.
Le fait de considérer les Haratine et les Berbères comme des Arabes relève d’une démarche idéologique.
Une analyse des termes de la constitution nous permet de dire qu’il s’agit d’une volonté politique visant à assimiler les Haratine et les Berbères aux Arabes en vue d’obtenir une majorité au nom de laquelle on légitimerait la prise et l’exercice du pouvoir. Ainsi, les tenants du pouvoir affirment que les Arabes représentent 80% de la population mauritanienne. Ce pourcentage revendiqué ne peut exister sans la comptabilisation des Haratine comme des Arabes.
Le recensement des Haratine est laissé à l’appréciation des Maîtres ou Anciens maîtres d’esclaves. L’État n’a aucune volonté de les recenser en tant qu’êtres indépendants auxquels seraient attachés des droits de citoyens. Les intérêts des détenteurs du pouvoir et de la féodalité se rejoignent. Les dirigeants du pays sont issus de cette classe et sont eux-mêmes détenteurs d’esclaves. Pour gouverner, ils s’appuient sur la féodalité comme clientèle politique.
Les Maîtres d’esclaves recensent leurs esclaves ou haratine en fonction de certains critères d’opportunité et de circonstances ( soumission, élections …).
Dans les recensements de 1977 et 1988, le pourcentage des Haratine au sein de la population mauritanienne est délibérément omis. Seules, des statistiques françaises de 1964-1965 évaluent les Haratine et les Abid à 45% de la population.
Dans les campagnes électorales, les candidats ne s’adressent pas au Haratine et aux Esclaves mais à leurs Maîtres ou Anciens maîtres pour obtenir leur voix.
Les Maîtres ou Anciens maîtres négocient avec les candidats les avantages qu’ils peuvent obtenir ( nominations des membres de leur famille à des postes, des avantages pécuniaires, des réalisations d’infrastructures, etc.). C’est ainsi que l’on trouve en Mauritanie des élus arrivés au pouvoir grâce à des votes haratine mais qui s’opposent à leur affranchissement. C’était le cas du Sénat en 2007. Les Sénateurs ont rejeté en majorité la loi incriminant l’esclavage.
La participation des Haratine aux campagnes électorales est déterminante. Ce sont eux qui dressent les tentes pour abriter les animateurs de campagne et les électeurs. Ce sont eux qui assurent le thé, le méchoui, le tabala (tambour maure). Ils sont aussi chauffeurs. Ils assurent les services liés à la campagne électorale et son animation.
En principe les élus sont redevables à leurs électeurs. Ils sont leurs représentants et doivent défendre leurs intérêts. Or en Mauritanie, les Haratine ne sont pas défendus par leurs élus. Cette situation s’explique par le statut des Esclaves et des Haratine dans la société traditionnelle maure. Les Esclaves et Anciens esclaves ne sont pas considérés comme des êtres humains ayant des droits. Dans la conception maure, tout ce qui appartient à l’Esclave revient de droit au Maître. Pour ce qui est du Hartani, il continue à être redevable de son Ancien maître. Malgré les textes juridiques déjà adoptés qui, logiquement, font de l’Esclave ou du Hartani des citoyens, ils continuent à être considérés comme des sous-hommes, objets de leurs Maîtres ou Anciens maîtres. La pratique continue à faire d’eux des esclaves.
En Mauritanie, avant même la publication des textes de 1981 et suite, abolissant l’esclavage, la féodalité soutenue par le pouvoir a toujours violé la loi islamique relative à l’affranchissement. En droit musulman, un esclave affranchi (hartani) devient l’égal de son ancien maître. Aucune obligation ne le lie à celui-ci. Pourtant, l’affranchi demeure l’obligé de son Ancien maître. Ce qui est contraire aux règles du droit musulman.
Cette situation perdure malgré la promulgation des textes condamnant les pratiques esclavagistes. Ceci s’explique par l’utilité des Esclaves sur laquelle repose la société maure . Celle-ci s’est édifiée autour de l’exploitation des Esclaves et des Haratine.
Sur le plan économique, les Esclaves et les Haratine sont la force productive. Qu’il s’agisse de l’économie traditionnelle ou moderne, ils sont au cœur de la production.
Dans l’économie traditionnelle, ils cultivent les palmeraies et champs, gardent le bétail, conduisent les caravanes, creusent les puits, font la cueillette, pratiquent l’extraction du sel, etc.
Dans l’économie moderne, ils travaillent pour les Maures dans leurs magasins, boutiques, etc. Ils chargent et déchargent les marchandises. Les propriétaires maures de sociétés ne paient pas leurs esclaves qu’ils font travailler, etc. Ainsi, ils ne paient guère ni les charges sociales, ni les salaires, etc.
Dans une expression hassania, il est dit: «Z’ra idbëch mawkoul wou melmoum». Ce qui veut dire «le mil contenu dans les bagages est mangé et caché». Appliqué à ce cas, les Esclaves et les Haratine constituent le grenier des Maures mais on masque leur rôle déterminant dans la prospérité et la survie de la société maure telle qu’elle a été toujours et demeure aujourd’hui. Ainsi, on camoufle leur nombre, leur utilisation et leur utilité.
Comme en matière économique, les Haratine sont utilisés à des fins politiques par l’Etat mauritanien et les Maures.
Mohamed Yahya Ould Ciré
Lexique
Abid : Esclaves
Abd : Esclave
Haratine : Affranchis
Hartani : Affranchi
Haratine : communauté ( esclaves et affranchis ) victime de l’escavage maure
haratine : adjectif
haratine : désigne une partie des Haratine, et non la totalité
Arabe : tribus hassan ( guerrières ) venues en Mauritanie par vagues successives de la péninsule arabique. Très peu nombreux.
arabe : origine des Arabes de Mauritanine et revendiquée par les Berbères.
Berbères : tribus Sanhaja originaires de l’ Afrique du Nord. Les premières à cohabiter avec les ethnies noires de Mauritanie.
Berbères : Ils revendiquent une origine arabe. Et ce, par intérêt politique et culturel (Islam). Ils sont les premiers bénéficiaires du système politique mauritanien. Dans la communauté maure, les Berbères constituent la majorité.
Maures : Arabes et Berbères réunis