Pour Maître El Id Mohameden M’Bareck, député RFD à l’Assemblée Nationale, « la Mauritanie traverse une crise multidimensionnelle dont la solution ne pourrait se trouver qu’à travers un dialogue national inclusif ». Entretien…
Le Calame : Après un accord intervenu entre les partis politiques et le Ministère de l’intérieur dans le cadre des préparatifs des prochaines élections locales, on a assisté à des contradictions autour de la nature de la composition de la CENI et finalement, elle est mise en place avec le retour en force de personnalités connues de l’ère Ould Taya. Que vous inspire cette issue ?
Maître El Id Mohameden M’Bareck : Notre position individuelle sur la question est claire ; celle des groupes auxquels mes amis et moi sommes associés l’est autant. Les autorités, dans la gestion de cette question, ont surtout cherché à faire économie d’un dialogue inclusif et franc que tous ceux qui sont attachés à la paix et à la stabilité dans notre pays appellent de leurs vœux.
Ceux qui ne voudraient pas l’admettre sont libres de leur opinion ; la Mauritanie traverse actuellement bel et bien une crise multidimensionnelle dont la solution ne pourrait se trouver qu’à travers un dialogue national inclusif où l’on poserait sur la table des discussions toutes les questions d’importance nationale qui ne font plus mystère pour personne dans notre pays.
Aller aux élections vaille que vaille, c’est seulement cela le souhait du régime comme si le seul remplacement, à l’issue d’élections, des députés, des conseillers municipaux et des conseillers régionaux suffirait à résoudre les difficultés auxquelles les citoyens et l’Etat mauritaniens sont confrontés depuis plusieurs décennies.
Avocat de métier, d’expérience j’ai appris qu’autant le fond d’un différend est import, autant sa forme d’est aussi. A voir la manière dont le Ministère de l’Intérieur et de la Décentralisation se prépare pour ces élections, on peut légitimement se douter du sérieux qui anime le régime sur la question de l’organisation des élections locales à venir. Que dire de la future liste électorale ?
De l’aveu des autorités, des centaines de mauritaniens détiennent aujourd’hui des cartes d’identité nationales dont la période de validité a expiré. Ceux qui ont atteint la majorité, l’âge de voter, se compteraient aussi en centaines de milliers. Alors que nos visites aux centres d’accueil des citoyens pour l’Etat-civil nous révèlent que matériellement les services qui en sont responsables ne seront pas à même de pouvoir établir des pièces d’identité nationales pour les nombreux demandeurs qui remplissent quotidiennement ces centres d’accueil. Un très grand nombre de mauritaniens ne pourront pas user de leur droit de vote aux prochaines échéances, telles qu’annoncées. Qui voudrait faire la « démocratie » avec seulement une partie des mauritaniens ?
Les entorses aux bonnes procédures dans la gestion de cette période pré-électorale font légion, nous ne pourrions en citer, ici, même pas la moitié. Nous sommes perplexes, pas rassurés par les mesures qui tombent, les unes après les autres et demandons aux autorités concernées plus de sérieux.
Dans ce contexte, pensez-vous que la CENI ainsi constituée pourrait être indépendante dans l’organisation des prochaines élections locales de 2023 et de la présidentielle, une année après?
J’ai un confrère peul, à l’issue de nos plaidoiries au moment où nous attendons les résultats d’un procès, quand il avait des doutes sur une issue favorable, il a l’habitude de dire : «ko welanno ko, sofasiuurat » ; alors que les hassanophones diraient : « Si l’issue est favorable, on doit le sentir avant comme pour les bons plats». A Dafort, au Guidimakha, il parait que les gens disent : «Ñaxabegaliŋonoa gemme xasunxullenya».
C’est une façon de répéter que les préparatifs des élections à venir ne nous rassurent pas. « Nous ne donnerons pas cher pour la peau de l’ours ».
En avril, vous aviez signé avec certains députés, des partis politiques et des syndicalistes un appel à une «mobilisation des forces vives». Une déclaration qui intervenait au moment où les partis politiques recherchaient un dialogue avec le pouvoir. On connaît la suite. Votre appel a-t-il eu des échos favorables au sein des acteurs politiques et de l’opinion nationale ?
Nous avons réussi à faire adhérer bien des groupes à cette vision qui croit fermement en la nécessité de l’organisation d’un dialogue national inclusif. Nous maintenons des contacts suivis avec ces groupes et notre ambition est d’arriver à une plateforme politique qui proposerait aux mauritaniens un projet de société capable de relever les nombreux défis qui se hissent devant nous ; celui de la justice, de l’équité, de l’égalité et celui d’un développement socio-économique harmonieux et durable.
Cette plateforme aboutirait-elle à une coalition électorale à quelques mois des élections locales?
Avec les groupes en question, nous avons une convergence de vues, presque parfaite. En vue de ces élections, si nous devrions choisir des alliés électoraux, ces groupes nous seraient les plus indiqués.
Certaines sources vous suspectent de nourrir des ambitions présidentielles pour l’horizon 2024. Info ou intox ? Vous y pensez en regardant dans la glace chaque matin ?
Potentiellement, tout mauritanien qui remplit les critères requis pourrait être candidat à une élection présidentielle dans notre pays. Je suis un acteur politique soucieux de l’avenir de notre pays.
Aujourd’hui, notre pays est très en retard. Au-delà des problématiques de droit et d’absence de justice et d’équité, les mauritaniens font face à des difficultés énormes dans leur vie au quotidien. Les parents sont inquiets pour l’éducation de leurs enfants, nous nous soignons mal, nous avons faim et soif dans notre grande majorité. Les infrastructures nous font défaut ; comparée aux pays voisins, du nord mais aussi du sud, la Mauritanie fait figure de très mauvais élève.
Les ressources à profusion dont dispose notre pays ne profitent qu’à une infime minorité quand l’écrasante majorité des mauritaniens croupissent sous le poids de la misère. Nous gérons mal notre environnement en général, et en particulier nos ressources naturelles, c’est à se demander si nous avons conscience de notre responsabilité devant les générations futures. Malgré tout notre arsenal juridique, nous peinons encore à solder notre passif, ancien de sept siècles, lié à l’esclavage avec tout ce que cela suppose, à ce jour, d’atteinte à la dignité humaine, alors que notre mère Houleye Sall et notre sœur Maimouna Alpha Sy ne demandent qu’une reconnaissance du tort criminel qui a été fait aux nôtres, à nous tous et que justice leur soit rendue pour la mémoire collective et que plus jamais cela ne se répète dans notre Mauritanie.
Face à ces tares graves non exhaustives, je crois sincèrement que le minimum pour chacun de nous serait de s’inscrire dans une logique résolument engagée de recherche de solutions pour l’avènement d’une Mauritanie rénovée, égalitaire, juste et véritablement démocratique.
Si cet engagement devrait passer par la conquête de la magistrature suprême ; à l’appel du destin, nous ne nous déroberons pas. Mais, cela ne saurait être un projet personnel, ce devrait être l’aboutissement d’une dynamique de groupe, porteuse d’un véritable projet de société pour notre pays. Je vous remercie.
Propos recueillis par Dalay Lam
Le Calame